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Projet de loi 16 - Pour la FTQ, ce projet de loi doit être retiré

9 octobre 2009

Invitée à la dernière minute à réagir au projet de loi 16, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec a décidé de s’adresser aux parlementaires par le biais d’une lettre mémoire. La FTQ déplore le court délai imposé par le gouvernement pour présenter la position de la Fédération.

Pour la FTQ, ce projet de loi est inutile et n’apporte rien de plus que ce qui est déjà en place. Par ailleurs, ce projet de loi ne cible pas le bon débat. Ce qui irrite au plus haut point, c’est la place de la religion dans l’espace public, et donc la nécessité de faire le débat sur l’accommodement raisonnable religieux. Enfin, la place des femmes dans la société québécoise n’est pas négociable. Pour la FTQ, ce projet de loi doit être retiré.



Le 8 octobre 2009

Secrétariat des commissions,
Commission des relations avec les citoyens

Madame la Ministre,
Mesdames et Messieurs membres de la Commission des relations avec les citoyens,

Nous avons été invités, il y a à peine une semaine, à nous présenter en commission parlementaire pour donner notre avis sur le projet de loi 16, Loi favorisant l’action de l’administration à l’égard de la diversité culturelle. Nous avons dû malheureusement décider de ne pas nous présenter dans de si courts délais mais avons décidé de vous faire parvenir cette courte lettre-mémoire afin que vous ayez un rappel de nos positions antérieures.

Des pratiques inadéquates

Le mode de fonctionnement que l’Assemblée nationale a privilégié pour le travail de cette commission nous semble très inadéquat. Nous nous insurgeons contre de si courts délais qui, s’ils devenaient une pratique généralisée, mineraient le caractère démocratique de l’institution que sont les commissions parlementaires, de même que celui des organismes que vous y invitez.

La FTQ, comme bien d’autres, ne peut développer démocratiquement ses positions en un si court délai. Nous tenons aussi à préciser que les délais dont nous avons besoin ne sont pas moins importants parce qu’un mémoire écrit n’est pas exigé. Avant de venir vous rencontrer et d’exposer même verbalement notre position, vous comprendrez que nous avons tout autant besoin de temps pour analyser le projet de loi et pour en discuter avec nos instances démocratiques. Faire autrement nous condamne à vous
présenter nos positions antérieures qui ne peuvent pas toujours tenir compte des éléments nouveaux qu’un projet de loi peut introduire.

Nous espérons que tous les membres de la Commission des relations avec les citoyens sauront porter ce message aux instances de leur députation respective afin que des modifications soient apportées au mode de fonctionnement qui semble maintenant privilégié pour le travail en commissions.

Nos commentaires sur le projet de loi prennent leurs sources dans le mémoire que nous avons présenté à la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliés aux différences culturelles en novembre 2007.

Un projet de loi inutile

Dans un premier temps, nous voulons souligner que le présent projet de loi nous semble inutile parce que des politiques et plans d’action existent déjà pour répondre aux objectifs de diversité culturelle et de lutte à la discrimination sous toutes ses formes.

Ainsi, le gouvernement a déjà consulté sur le sujet plus large de l’intégration des communautés culturelles en 2006. Il y a à peine un an, en octobre 2008, le gouvernement a présenté une politique sur la diversité culturelle qui met à contribution tous les ministères et organismes dans la réalisation du plan d’action, tel que le précise le site Internet du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles (MICC) que nous citons ici.

    « La politique gouvernementale La diversité : une valeur ajoutée présente les fondements et les orientations des interventions du Québec pour favoriser la participation de tous à l’essor du Québec. Elle convie l’ensemble de la société à se mobiliser et à travailler de concert afin d’atteindre ces objectifs. Cette politique s’inscrit dans l’éventail des politiques et stratégies visant à atteindre les mêmes objectifs d’égalité des chances et de participation d’autres groupes de la population ? les femmes, les personnes handicapées, les jeunes ou les personnes en situation de pauvreté ? et les complète. Elle agit aussi en complémentarité avec la politique d’intégration des personnes immigrantes.

    « Le plan d’action, qui comprend 21 mesures, associe tous les ministères
    et organismes gouvernementaux aux efforts en vue de favoriser la
    participation de tous à l’essor du Québec. »

Avons-nous besoin d’autres politiques et plans d’action sur le sujet de la diversité culturelle ?

Un projet de loi dangereux

Plus important encore, avec ce projet de loi, le gouvernement a encore une foi mal situé le débat. Ce qui irrite, ce qui blesse, ce qui est en jeu, c’est la place de la religion dans l’espace public et non pas la gestion de la diversité culturelle.

Nous ne disons pas que « l’action de l’Administration à l’égard de la diversité culturelle résultant de particularités ethnoculturelles et en matière de lutte contre la discrimination fondée sur la race, la couleur, la religion ou l’origine ethnique ou nationale » (notes explicatives du projet de loi) n’est pas pertinente. Mais nous ne croyons pas qu’il s’agit du débat et du projet de loi qu’attend la population du Québec, aussi important soit-il.

Nous disons cependant, comme en 2007, qu’il est dangereux de ne pas cibler plus précisément le débat qui interpelle l’ensemble de la société québécoise. Les dérives dans la pratique de l’accommodement raisonnable religieux, autant chez les personnes qui l’exigent que chez ceux qui s’y opposent, doivent être examinées sérieusement et le cadre de référence que la FTQ demandait pour l’administration publique visait précisément la place que la religion doit occuper dans l’espace public québécois.

Nous nous demandons même si le dépôt du projet de loi n’est pas une fuite en avant.

Ce projet de loi est en effet un bien mince résultat des travaux de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliés aux différences culturelles.

Nous attendions une politique claire ou un cadre de référence et, seulement si cela était nécessaire, un projet de loi. Nous avons un projet de loi mais rien de ce qui est le plus important : le cadre de référence qui guiderait les ministères et organismes publics.

Plus encore, le projet de loi donne un mandat simultané à la ministre et à chacun des ministères et organismes publics. Croyons-nous sérieusement que, dans une matière aussi délicate que celle des accommodements religieux, il soit judicieux de laisser tout un chacun développer des politiques et des moyens différents ? La preuve a déjà été faite qu’en matière d’accommodements religieux, les décisions des différents organismes de l’Administration ont entraîné trop souvent des accommodements
« déraisonnables » de la part d’administrateurs qui ne savaient plus où donner de la tête. C’est le rôle du gouvernement et de la ministre de donner des directives claires, ce que ne fait pas ce projet de loi, au contraire.

Nous terminons cette courte lettre – mémoire en soulignant ce qui nous semble être au coeur du débat, soit le danger de remettre en cause les acquis des femmes dans notre société. Le gouvernement ne doit pas s’étonner que les réactions actuelles soient encore empreintes d’une telle sensibilité. Parce que la FTQ juge cet enjeu fort important, nous
tenons à réitérer les termes exacts de nos commentaires de 2007.

« Ce qui a particulièrement choqué l’opinion publique québécoise est que
plusieurs des accommodements déraisonnables consentis par des
gestionnaires mal avisés semblaient endosser des attitudes discriminatoires
envers les femmes. On peut penser par exemple aux cas rapportés par les
médias concernant la Société de l’assurance automobile (SAAQ) et le service
de police de Montréal (SPVM), deux institutions publiques ayant accepté
d’accommoder des personnes qui ne voulaient pas être en contact avec du
personnel féminin. Dans plusieurs religions, les fondamentalistes font des
femmes les gardiennes de l’authenticité culturelle et elles subissent de
manière disproportionnée le poids des traditions.

    « À ce sujet, nous considérons que les demandes de ségrégation sexuelle pour des raisons religieuses ne sont pas acceptables dans les services publics. Ces demandes portent clairement atteinte à la neutralité de l’État puisqu’il se trouve alors à cautionner, pour un motif religieux, une remise en question de l’égalité entre les hommes et les femmes.

    « D’ailleurs, dans son avis sur le droit à l’égalité entre les femmes et les
    hommes et la liberté religieuse (septembre 2007), le Conseil du statut de la
    femme souligne que plusieurs de ces accommodements constituaient des
    atteintes graves au droit à l’égalité entre les femmes et les hommes.

    « Nous pensons qu’il appartient aux gouvernements de s’assurer que cet autre élément fondamental de notre identité collective qu’est l’égalité entre les hommes et les femmes soit respecté lorsque des gestionnaires prennent des décisions d’accommodement religieux. Alors que l’Ontario a flirté avec l’idée d’autoriser des tribunaux de droit familial islamique, qu’il soit clairement dit qu’au Québec, le relativisme culturel auquel conduit la politique du multiculturalisme pratiquée dans certaines régions du Canada, n’a pas sa place en matière d’égalité entre les hommes et les femmes.

    « Dans notre société, le rejet de l’Église et la reconnaissance des droits des
    femmes sont allés de pair et représentent, en quelque sorte, les deux
    facettes d’une même pièce. Le passage de l’égalité de droit entre les hommes
    et les femmes à une égalité de fait est un processus bien avancé, mais qui
    est loin d’être terminé et qui n’est pas irréversible – comme on a pu le voir
    dans d’autres pays. Nous, à la FTQ, sommes particulièrement fiers du chemin
    parcouru et de notre contribution à cet égard, notamment dans les milieux
    de travail. Nous n’accepterons pas de nouvelles embûches religieuses sur le
    chemin qui reste à parcourir, en particulier pour que les femmes puissent
    exercer en toute égalité leurs droits économiques, sociaux et culturels. »

Nous enjoignons donc le gouvernement de retirer son projet de loi qui nous semble inutile et dangereux et de refaire ses devoirs en acceptant de répondre à la question qui s’impose, celle de la place de la religion dans notre société. Comme nous l’avons revendiqué dans notre mémoire de 2007, nous croyons que le gouvernement doit avoir le courage de développer un cadre de référence sur la laïcité qui contienne des lignes directrices claires sur la façon dont les demandes d’accommodement religieux doivent être administrées dans les institutions et organismes publics. Ces directives doivent contenir tous les éléments nécessaires à une meilleure compréhension de la laïcité, de ses implications concrètes, ainsi que de l’exercice du droit à l’égalité entre les hommes et les femmes. Ce sont ces directives que nous attendons avec impatience.

Si le gouvernement décidait d’aller de l’avant avec son projet de loi 16, il serait impératif que celui-ci fasse mention de la neutralité de l’État en matière religieuse ainsi que de l’égalité entre les hommes et les femmes comme valeurs fondamentales de toute politique québécoise sur la diversité culturelle et religieuse. Deux principes fortement interreliés comme l’affirme la Politique sur l’égalité entre les sexes (décembre 2006) : « L’État est laïc et la séparation des sphères politique et religieuse est une
valeur fondamentale de la société québécoise ».

Nous vous prions d’agréer l’expression de nos sentiments les meilleurs.

Le secrétaire général,
René Roy
Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec

  • Site de la FTQ.

    Mis en ligne sur Sisyphe, le 8 octobre 2009




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