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Il y a 48 000 viols de femmes par an en France !

29 novembre 2009

par Suzy Rojtman et Maya Surduts, porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes

Le 25 novembre est de retour : journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes.



La lutte contre les violences faites aux femmes a déjà une longue histoire en France. Elle a débuté en 1972 par deux journées de dénonciation des crimes contre les femmes à la Mutualité à Paris. Et elle ne s’est pas arrêtée depuis. Le 23 décembre 1980, après des années de manifestations, de procès exemplaires, d’actions de soutien aux victimes, une nouvelle loi sur le viol est votée qui permet, grâce à une définition de cette infraction, qu’il soit enfin considéré comme un crime.

La législation a été depuis considérablement étoffée grâce aux luttes des féministes. Ces lois étaient indispensables pour marquer l’interdit de ce type de violences, tolérées et même excusées durant de nombreuses années. De nouveaux délits ou circonstances aggravantes, prenant en compte la
réalité des violences, ont dû être créés : harcèlement sexuel, violences conjugales.

Mais la mise en œuvre de ce corpus législatif se heurte à la réalité des faits : il est très mal appliqué. En effet, alors qu’il y a, d’un côté, un consensus général proclamé pour condamner ces violences, de l’autre, la tolérance sociale est encore importante : des publicités incitent quasi ouvertement à commettre des violences et leurs promoteurs se retranchent derrière la liberté d’expression ou l’humour ; un chanteur égrène des paroles d’une rare cruauté au nom de la liberté artistique, un cinéaste est rattrapé par une affaire de viol, mais il doit être excusé du fait de sa notoriété et de son talent. Ce genre d’arguments ne serait, et on ne peut que s’en féliciter, jamais invoqué dans des affaires de racisme ou d’antisémitisme. Deux poids, deux mesures. Bien plus près de chacun de nous, qui n’a pas, même en 2009, été confronté à une minimisation des faits de violences à l’encontre des femmes : "Elle a été violée, oui mais ça fait quatre mois, ça devrait passer maintenant", "Il a bousculé sa femme mais c’est un homme si charmant. On entend parfois crier, mais c’est la vie".

Et tout cela influe, cela va de soi, sur les décisions des magistrats. En outre, rien dans la loi n’a été prévu pour organiser systématiquement la prévention en amont. Celle-ci est laissée au bon vouloir des collectivités locales, par exemple, ou des chefs d’établissements scolaires. De ce fait, uniquement la répression est mise en avant. L’empilement des lois répressives (quatre lois sur la récidive, la rétention de sûreté et maintenant la castration chimique) ne permettra jamais de combattre les violences faites aux femmes. Un
effort considérable et premier doit être porté sur la prévention, l’éducation et la solidarité nationale.

Ces violences ne sont pas un phénomène marginal. Il y a en France, selon l’enquête nationale contre les violences faites aux femmes en France, réalisée en 2000, 48 000 viols par an perpétrés sur des femmes majeures. Et seuls environ 5% d’entre eux feraient l’objet d’une plainte. N’y a-t-il pas de quoi s’interroger ?

Mais y a-t-il une véritable volonté politique de mener cette lutte ?

Citons un exemple pour étayer cette interrogation. Le fait que les ex-conjoints puissent être incriminés pour des circonstances aggravantes de violences conjugales est une revendication ancienne des féministes. En effet, la période de séparation est une période extrêmement sensible dans le cadre des violences conjugales. Des femmes sont tuées à ce moment-là… Il a fallu cependant attendre la loi du 4 avril 2006 pour la voir satisfaite ! De même, alors que le harcèlement moral au travail est considéré comme une infraction depuis 2002, on est toujours dans l’incapacité de définir les violences psychologiques au sein du couple !

Certes, des plans globaux triennaux de lutte contre les violences faites aux femmes existent (2005-2007, 2008-2010). Mais que dire, quand pour faire face au manque criant de structures d’hébergement pour les femmes victimes de violences conjugales, on préconise leur hébergement dans des familles d’accueil, comme si elles étaient mineures ?

L’Espagne ou la Suède font montre, elles, d’une véritable volonté politique de combattre ces violences. L’Espagne s’est dotée en 2004 d’une "loi organique contre la violence de genre". Celle-ci vise à prendre en compte, de façon cohérente et globale, tous les aspects des violences, qu’ils soient éducatifs, préventifs, relatifs à la publicité, à la santé, sociaux, aux aspects judiciaires et financiers, à la formation des professionnels, à la protection des victimes, au
logement, à l’accueil des femmes menacées dans leur pays, etc. Cette loi représente un véritable saut qualitatif dans l’appréhension du phénomène. Et dans son exposé des motifs, il est même fait mention de l’oppression des femmes.

Il paraît qu’en France nous n’avons pas besoin d’une telle loi. Et pourtant, le Collectif national pour les droits des femmes a rédigé une proposition de loi-cadre contre les violences faites aux femmes qui a été déposée en décembre 2007 sur le bureau de l’Assemblée nationale par le groupe de la gauche démocratique et républicaine et au Sénat par le groupe communiste, républicain et citoyen. À la suite d’une pétition qui a recueilli près de 16 000 signatures demandant son inscription à l’ordre du jour, le président de l’Assemblée a réuni une mission de la conférence des présidents d’évaluation de la politique de prévention et de la lutte contre les violences faites aux femmes. Celle-ci a travaillé durant six mois et a rendu son rapport en juillet dernier.

Une proposition de loi serait à l’étude. Nous espérons qu’elle sera la plus proche possible de la proposition de loi-cadre du CNDF.

En fait, toutes ces difficultés montrent bien qu’avec ses 27% de différence de salaires, avec son 57e rang mondial du nombre de femmes députées, avec sa remise en cause de façon incessante du droit à l’avortement, avec son incapacité totale à reconnaître dans ses textes fondateurs l’oppression des femmes alors que nombre de textes internationaux le font, la France est un pays misogyne qui n’en veut rien savoir. Il ne veut surtout pas savoir que les violences permettent d’exercer un contrôle social sur les femmes. Il est le pays des Lumières et cela le dispense de tout. Il est le pays des droits de l’homme, mais certainement pas des droits des femmes.

  • Paru dans Le Monde, le 19 novembre 2009. Transmis à Sisyphe par les auteures.

    Mis en ligne sur Sisyphe, le 29 novembre 2009

    Suzy Rojtman et Maya Surduts, porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes


    Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=3459 -