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Achoura - Répression sanglante en Iran

30 décembre 2009

par Élaine Audet

Après l’écrasement dans le sang de la manifestation de l’Achoura, dimanche le 27 décembre, le régime iranien a appréhendé plusieurs journalistes et personnalités politiques ou religieuses, tel l’Ayatollah Taheri d’Ispahan, trois des principaux collaborateurs de Mir Hossein Moussavi, dont son premier conseiller, Ali Reza Beheshti. On a aussi arrêté Ebrahim Yazdi, chef de la diplomatie après la révolution islamique de 1979, à la tête aujourd’hui du Mouvement de libération de l’Iran qui a déclaré dans une récente entrevue : "Ce sont les femmes qui ont éduqué ces jeunes et le vert s’est développé au sein des familles. C’est pour cela qu’il est impossible de l’effacer." (1)



C’est toutefois dans les rangs étudiants et féministes, militant pour les droits de la personne, les droits des femmes, la liberté d’expression, la séparation de la religion et de l’État, que les forces répressives ont effectué le plus grand nombre d’arrestations. Les agences de presse font état d’au moins 8 morts et 300 arrestations, mais les sources de l’opposition en Iran parlent de 1 100 arrestations et d’au moins 15 morts. Les dirigeants occidentaux ont condamné fermement le déchaînement de brutalité de la République islamique envers son peuple et rendu hommage au courage exemplaire de ce dernier. À Montréal et dans plusieurs villes importantes du monde, les Iraniennes et les Iraniens ont manifesté leur solidarité avec les forces démocratiques dans leur pays d’origine.

Ne pas répéter les erreurs du passé

Notre correspondante de Téhéran, qui a participé aux manifestations depuis les élections volées par le tandem Khamenei-Ahmadinejad, le 12 juin 2009, écrit :"Nous ne voulons ni révolution, ni réforme. Le mouvement vert trouvera sa voie sans recourir aux concepts vieillis et à leur passé honteux. Les spécialistes de l’Iran, inquiets de ’l’absence de dirigeants politiques’, devraient réfléchir un peu plus en se référant à tous ’les dirigeants révolutionnaires’ qui, tôt ou tard, se sont enlisés dans les pires crimes de l’humanité. Toutes ces femmes, tous ces jeunes et vieillards, tous ces artistes et intellectuel-les, sont à la tête du mouvement en Iran. Ils peuvent croire ou ne pas croire. Et nous sommes pour cet arc-en-ciel qui bâtira l’Iran en beauté. Nous ne sommes pas pressé-es. Comme l’a dit Moussavi : ’Chaque personne est un état-major’."

"Le sang coule littéralement dans les rues de Téhéran, ajoute-t-elle, la répression est d’une sauvagerie inimaginable. On a pu voir une vidéo d’une voiture de police fonçant sur les manifestant-es et faisant au moins une victime. Partout dans la ville, l’opposition à la dictature est descendue dans la rue, souvent à visage découvert. Les contestataires prennent désormais l’offensive en lançant des pavés aux milices du régime, en les encerclant pour les forcer à s’enfuir, en incendiant leurs motos, leurs voitures, leurs commissariats, les slogans conspuent ouvertement le "guide suprême", Khamenei. Sur la route de Chemiran, au nord de Téhéran, des centaines de voitures ont klaxonné pendant des heures et toutes les nuits des voix continuent à défier la dictature en criant des slogans sur les toits. En dépit de ses efforts pour isoler l’Iran du monde, le pouvoir est incapable de contrôler Internet et c’est déjà une victoire !"

Selon des sources de l’opposition (2), des miliciens bassidjis auraient tué délibérément Seyed Ali Moussavi Habibi, le neveu de Mir Hossein Moussavi. Après être sorti de chez lui, il aurait été pris en filature par une voiture avec cinq hommes à bord. L’un d’eux est descendu et a tiré sur lui. Son corps aurait ensuite été transporté et gardé à la morgue de Téhéran. Le cinéaste Mohsen Makhmalbaf, proche de la famille Moussavi, parle d’assassinats ciblés pour impressionner l’opposition. En dernière heure, Radio-Canada annonçait que l’épouse de M. Moussavi, Zahra Rahnavard, celle qui avait dit "je suis verte, même morte, je verdirai", venait d’être enlevée par des miliciens, alors que la veille, les locaux du site féminin Iran Dokht (Fille d’Iran) (3), dirigée par Fatemeh Karroubi, épouse de l’autre principal leader de l’opposition, étaient saccagés et les ordinateurs confisqués. En dépit des rumeurs, rien ne prouve aujourd’hui, mercredi 30 décembre, que MM. Moussavi et Karroubi soient sous le contrôle des Gardiens de la révolution.

Une répression pire que celle du Chah

"Les milices d’Ahmadinejad ont répandu le sang le jour de l’Achoura et envoyé une horde de sauvages contre le peuple", s’indigne Mehdi Karroubi en rappelant qu’en 1979, même le régime du Chah, avait observé une trêve dans sa répression du soulèvement populaire lors de ce jour sacré de deuil et de paix (4). Des prisonniers de droit commun auraient été libérés et payés pour épauler les forces de l’ordre dans l’écrasement du peuple.

La lauréate du Prix Nobel de la paix de 2003, l’avocate Chirine Ebadi, a annoncé le 28 décembre, l’arrestation de sa soeur Nouchine, déclarant que le pouvoir tentait ainsi de faire pression sur elle, sa sœur n’exerçant aucune activité politique (5). L’avocate n’entend pas pour autant cesser de dénoncer un régime qui viole si impunément les droits des femmes et de son peuple. À la suite de l’arrestation du dirigeant étudiant, Majid Tavakoli, accusé par le régime de s’être honteusement déguisé en femme pour s’enfuir, de nombreux hommes ont publié sur Internet leur photo en tchador (6). Ebadi n’a pas hésité à saluer "les hommes iraniens qui n’ont pas peur d’être pris pour des femmes" qualifiant d’"école du féminisme" leur dénonciation de la misogynie du régime.

La grande réalisatrice iranienne Rakhshan Bani-Etemad, qui a mis la problématique des femmes au centre de ses films, déclarait dans un site de l’opposition : "Beaucoup de femmes m’ont accordé leur confiance et je me donne le droit de parler au nom des mères qui, dans des conditions catastrophiques, sans refuge et sans ressources, cherchent et pleurent leurs enfants assassinés ou disparus. […] Au moment où aucun des médias ne reflète la réalité et où personne ne répond à la douleur des familles, comment ne pas trembler de peine et de colère devant les arrestations et les assassinats de nos filles et de nos garçons. Laissez-moi utiliser ma caméra pendant quelques jours pour que je dévoile la vérité. Peut-être, ne voyez-vous pas ce qui se passe sous la peau de la ville."

Alors que de nombreuses voix conservatrices réclament "la peine maximale" pour celles et ceux qui défient leur dictature, il est difficile de prédire la suite que prendra le mouvement de contestation en Iran. On remarque que, loin de faiblir, il a réussi à mobiliser des couches plus nombreuses de la population, dans plus de villes, et d’augmenter sa force et sa cohésion. Devant l’impossibilité de manifester pacifiquement, l’opposition a été forcée de riposter aux agressions déchaînées des gardiens (pasdarans) et des miliciens (bassidjis). La prochaine grande étape sera le jeudi 7 janvier alors qu’on demandera aux femmes d’enlever leur voile et aux hommes de le porter. On parle aussi de grève générale, de lutte armée, mais quels que soient les moyens choisis et le temps que cela prendra, ce régime tombera, parce que tout ce qui a un commencement a nécessairement une fin. L’oppression des femmes et la dictature politique n’échappent pas à cette loi inéluctable. Mais combien de sang s’apprête à verser ce régime criminel pour entraver la marche de son peuple vers la liberté ?

Des bouchers sont postés
À tous les carrefours
Avec une bûche et une hache ensanglantée
Quelle étrange époque, ma toute tendre
Ils fendent le sourire sur les lèvres
Et la moindre chanson sur les bouches
Il faut cacher la joie au fond d’un placard

Ahmad Chamlou 1979

Notes
1. Source personnelle.
2. "Iran sanglante répression et radicalisation de l’opposition", Jeune Afrique, 28/12/2009.
3. Iran Dokht
4. Iran : sept opposants interpellés dont l’ancien ministre Yazdi, 28 décembre 2009.
5. Iran, la vague d’arrestations se poursuit, 28-12-09.
6. Chahla Chafiq-Beski, En Iran des hommes se voilent pour dévoiler le régime, 27 décembre 2009.

Mis en ligne dans Sisyphe, le 28 décembre 2009.

Élaine Audet

P.S.

 Voir le site pour avoir une revue de presse quotidienne : Comité indépendant contre la répression des citoyens iraniens.
 Marie-Claude Decamps, "En Iran, Mir Hossein Moussavi propose un plan de sortie de crise en cinq points", Le Monde, 1.01.10.
 Cliquez sur ce lien pour exiger la libération des courageuses militantes iraniennes.




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