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Moi, ex-prostituée, je dis NON à la prostitution !

5 janvier 2010

par Chloé, détenue au pénitencier de Joliette

Bonjour,

On a vu cette année des lettres ouvertes affirmer que la prostitution devait être traitée comme un métier semblable aux autres. J’ai moi-même été prostituée et je dis non à de telles balivernes. C’est une sottise de croire que la prostitution est un métier normal. J’ai peine à croire, qu’à la fin de 2009, nous ayons encore besoin de dire que la prostitution est une chose épouvantable et profondément dégradante pour les femmes. Personnellement, je ne connais aucune femme qui ait une histoire heureuse à raconter à propos de son « travail de putain »…

J’espère que vous allez publier ma lettre, car il faut dire clairement non à toute forme de prostitution.

Merci à l’avance,

Chloé, détenue au pénitencier de Joliette



***

Je suis une jeune femme de 35 ans. Pour moi, la prostitution s’est échelonnée sur une durée d’un an et demi en tout. Je n’ai jamais pensé que cette expérience, somme toute pas très longue, laisserait dans ma vie autant de dommages aussi profonds. J’inclus dans ce bilan la dévastation de mes relations interpersonnelles et sociales et des dommages irrémédiables auprès de mes enfants et de ma famille. Je ne peux estimer les torts laissés à mon corps, mon âme et l’estime de moi, mais le constat de destruction est flagrant. Ma sexualité demeure, pour le moment, affligée de dommages irréparables et les ravages sont aussi colossaux dans toutes mes relations avec les hommes. Ces hommes… « mes clients »… Ces exploiteurs, mes abuseurs, ces pervers, mes pourvoyeurs d’argent et de matériel, mes inconscients, ces hommes… que je ne pourrai plus jamais voir avec les mêmes yeux.

Je suis incarcérée depuis maintenant deux ans et quatre mois. J’ai eu beaucoup de temps pour réfléchir à tout ce qui s’est passé. Des visages de clients me reviennent en tête, avec des scènes de certaines exigences plus que particulières… C’est certain qu’à mes programmes de réhabilitation, le sujet revient souvent sur la table. Lors d’une séance de thérapie, une femme disait récemment que la prostitution n’avait rien changé dans sa vie. Je n’arrive pas à y croire ! On ne peut pas vendre sa sexualité, son intimité, son âme, sa sensibilité, sa dignité, sa féminité, son odeur, sans en subir de conséquences. C’est humainement impossible. Au moment de l’acte sexuel, il se produit une dissociation, comme si ce que je ne voulais pas salir allait se réfugier quelque part en moi… tout devient mécanique, comme si une autre prenait cette place dégoûtante où je ne veux pas être… comme si je repoussais mon humanisme pour pouvoir passer au travers et « faire mon client ». Mais on ne peut pas se détacher complètement, et lorsque le client remonte ses culottes, je n’ai rien oublié. Et c’est lui qui a le beau rôle car, une fois ses culottes remontées, il reprend sa vie là où il l’a laissée une heure plus tôt. C’est-à-dire qu’il redevient un père, un « honnête citoyen », un bon travailleur ou un patron super, un mari « aimant », un homme respecté par sa famille et ses amis… Moi, je reste la pute…

Ma sexualité a débuté à l’âge de quatre ans, imposée par un pédophile pervers. Cet événement a complètement marqué ma sexualité, amorcée beaucoup trop tôt. Plus tard, j’ai vécu une longue relation avec un conjoint. Nous avons été ensemble huit ans et j’en garde des repères d’une sexualité saine et épanouie. Cela me permet de comparer l’avant et l’après de la prostitution et, prenez-en ma parole, tout a changé… J’étais une femme qui avait une bonne libido et si mon amoureux s’absentait quelques jours, je vivais des pensées érotiques liées à lui. Aujourd’hui, depuis mon vécu de prostitution, mon imaginaire sexuel se limite à des « flashbacks » de situations où je me suis retrouvée avec des clients et dont je ne voudrais jamais parler à qui que ce soit. Ces situations étaient humiliantes et, aussi bizarre que cela puisse paraître, la honte revient frapper à ma porte dès que je repense à ces séquences, qui me font peur.

Je me dis qu’il n’est pas possible que les mères et les grand-mères québécoises souhaitent une telle condition pour leurs filles et leurs petites-filles ! D’autres parlent de réduire la violence en légalisant la prostitution… Quand tu te retrouves dans une chambre de motel ou dans une voiture, le danger sera toujours le même, et ce n’est pas la légalisation de la prostitution qui va faire en sorte que les hommes « malades » ne soient plus en circulation. Je ne crois pas que l’on puisse quantifier la souffrance qu’entraîne la prostitution, sous une forme ou une autre. Mais je sais que la prostitution de rue, qui est reliée de très près aux toxicomanies, est une des plus dangereuses et que les filles qui sont en manque sont prêtes à faire beaucoup pour très peu… Légalisation ou pas, rien ne va changer pour ces femmes. Elles n’iront certainement pas déclarer le vendredi combien de clients elles ont faits dans la semaine !

Bref, je me demande où l’on s’en va en investissant temps et argent dans ce genre de spéculation ! Pourquoi ne pas unir plutôt nos forces et se mobiliser pour venir à bout de ce fléau, de cette bêtise humaine ? Investissons dans des programmes pour venir réellement en aide à toutes ces femmes. Des maisons d’hébergement, il n’y en a aucune au Québec en 2009 pour accueillir ces femmes qui souffrent tant. Moi-même, j’aurais parfois bien voulu, à quatre heures du matin, qu’il y ait une maison où l’on m’aurait tendu la main. La prostitution, ce n’est la place de personne. Que faudra-t-il pour qu’on finisse par comprendre que la sexualité ne devrait pas être achetée, mais vécue ?

Mis en ligne sur Sisyphe, le 5 janvier 2010

Chloé, détenue au pénitencier de Joliette


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