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Quand religion et égalité des femmes font les manchettes

17 février 2010

par Sisyphe

La profusion d’interventions publiques sur le sujet de l’égalité des femmes sous divers angles démontrent que plusieurs estiment menacés les gains réalisés au cours des dernières décennies. Les débats libres et contradictoires sont un indice de santé démocratique.

Récemment, M. Marc-André Dowd, vice-président de la Commission des droits de la personne, accordait une entrevue au Journal de Québec (que le quotidien qui maintient ses employés en lock-out depuis plus d’un an a repris sans en aviser M. Dowd), reconnaissait pour la première fois : « Le principal problème, c’est lorsqu’il est question de liberté de religion versus l’égalité des sexes. Le défi en accommodement raisonnable, il est là, sur cette question et il faut accentuer la réflexion à ce sujet ». Pas tellement suspect d’"instrumentaliser les droits des femmes", le vice-président de la CDPDJ du Québec. Ni d’ailleurs la journaliste féministe Marie-Claude Lortie, de La Presse, qui commente brièvement le manifeste publié par des professeurs d’université dans Le Devoir (« Manifeste pour une société pluraliste ») et conclut : « Mais je ne le signerai pas parce que je garde ma signature pour ceux et celles qui écriront le manifeste que j’attends vraiment. Celui qui exigera qu’on cesse de parler d’accommodements raisonnables et qu’on parle plutôt réellement, totalement et sérieusement, avec des philosophes et des politologues mais aussi des psychologues et des travailleurs sociaux, et peut-être même quelques féministes un coup parti, de ce qui devrait être au coeur de ces discussions mais ne l’est jamais vraiment : la collision frontale entre la liberté de religion et l’égalité hommes-femmes. » (Chronique de M.-C. Lortie).

Ce manifeste a suscité plusieurs réactions dont voici quelques-unes.

Christian Rioux, correspondant du Devoir à Paris, commence ainsi son article : « En lisant le Manifeste pour un Québec pluraliste publié récemment par un groupe d’universitaires québécois, je me suis dit que j’avais déjà entendu ce discours quelque part. Il m’a fallu un peu de temps pour me souvenir. C’était à Paris en septembre 2008. Cela se passait dans la somptueuse salle gothique du collège des Bernardins. Le pape Benoît XVI y était venu s’adresser à plus de 600 intellectuels français. Il y avait livré un discours passionnant sur les origines de la culture européenne. Il avait aussi consacré quelques instants à prêcher, exactement comme le font nos universitaires, en faveur de la "laïcité ouverte". Bien avant qu’on en parle au Québec, cette "laïcité ouverte" était une constante du discours du pape. » (Texte intégral : Texte intégral.)

La députée Louise Beaudoin et le sociologue Jacques Beauchemin ont co-signé un commentaire sur le sujet en s’interrogeant sur le modèle de pluralisme proposé par les auteur-es du manifeste : « Les auteurs de ce manifeste s’arrogent ainsi le monopole d’un idéal qu’ils refusent de partager avec ceux qui ne communient pas à leur vision particulière du pluralisme, laquelle n’est ici rien d’autre qu’une version du multiculturalisme tel qu’il se pratique au Canada et dans d’autres pays. On peut certainement adhérer au multiculturalisme, mais on ne saurait pour autant en faire l’emblème du pluralisme alors que toute autre manière de faire société serait vouée aux gémonies et récusée au nom des grandes valeurs de la démocratie. » (Texte intégral.)

Pierre Mouterde, professeur de philosophie au Cégep Limoilou, propose son interprétation de la laïcité : « ...on ne peut assurer des conditions égales pour tous et toutes que si l’État peut les offrir à chacun d’entre nous, non pas en tant que qu’individu particularisé par sa culture ou sa religion mais en tant que citoyen défini par de mêmes droits politiques et de mêmes conditions d’existence matérielle et sociale. (...) La laïcité, ça doit aussi être la clarté, écrit-il. Alors à l’encontre d’une laïcité ouverte, molle et incertaine, honteuse en quelque sorte, ne s’agirait-il pas de promouvoir une laïcité active et positive qui, certes avec nuance et ouverture mais aussi avec courage, oserait affirmer les formidables valeurs émancipatrices dont elle est l’expression ? Pas de doute, tout le monde en sortirait gagnant !
(Texte intégral.)

Quant à Diane Guilbault, auteure de Démocratie et égalité des sexes (ed. Sisyphe, 2008), elle a écrit à M. Michael Ignatieff interrogeant le chef du PLC sur son opposition à l’interdiction du voile intégral au Canada. Elle lui demande pourquoi il ne soutient pas le Congrès musulman canadien (CMC), qui plaide pour l’interdiction du voile intégral, au lieu de soutenir une minorité intégriste. « Le voile intégral n’est pas un vêtement : c’est un drapeau politique, écrit Diane Guilbault dans cette lettre. Et c’est aussi un linceul. Amusez-vous à en porter un pendant des semaines cet été. Vous serez à même de constater que ce voile intégral a plus à voir avec les mauvais traitements qu’avec l’exercice de "la liberté". Pensez-vous sincèrement qu’il s’agit d’un geste de femme libre ? Pouvez-vous imaginer que votre femme déambule à vos côtés ainsi couverte ? Et si ce voile était imposé aux personnes handicapées plutôt qu’aux femmes, qu’en diriez-vous ? Est-ce que pour vous, quand il s’agit des femmes, on peut tout autoriser au nom de la liberté de religion ? » (Texte intégral.)

De son côté, Michèle Sirois, anthropologue en sociologie des religions à l’Université de Montréal, a répondu au secrétaire général et aux deux porte-parole de Québec solidaire, Françoise David et Amir Khadir. « Pour plusieurs défenseurs du libre choix du port de signes religieux, écrit l’anthropologue, il suffit de s’affubler du titre de défenseurs de la "laïcité ouverte" pour laisser entendre que les partisans de l’interdiction des signes religieux se rangent dans la catégorie de la "laïcité fermée" – ou carrément dans celle de la "laïcité rigide", comme l’a fait tout récemment l’universitaire Daniel Weinstock. Pas besoin de preuves de sa propre rectitude ni des erreurs de l’autre : ces gens-là sont "coupables", simplement par association. Tout ce qu’il faut pour favoriser un sain débat d’idées, quoi ! Pourtant, la position âprement défendue par QS et la FFQ est loin de rallier l’ensemble des groupes féministes... » (Texte intégral.)

Johanne St-Amour, propose son propre manifeste, rappelant d’abord les luttes des femmes dans presque tous les domaines et affirmant refuser de se plier aux demandes qui menacent les acquis :

  • Nous ne plierons pas devant les croyances qui amoindrissent la représentation des femmes, l’agressent, la violentent, l’inhibent
  • Nous ne plierons pas devant les insultes, les injures, les menaces, le dénigrement, la condescendance, le chantage et les faux-semblants
  • Nous ne plierons pas devant les accusations telles racistes, xénophobes, islamophobes, laïcards et que sais-je
  • Nous ne plierons pas devant les arguments intellectuels de tout acabit qui font fi de l’égalité entre les hommes et les femmes
  • Nous ne plierons pas devant le relativisme qui inhibe le principe d’égalité entre les hommes et les femmes (Texte intégral.).

    Élaine Hémond s’intéresse à l’égalité dans le domaine de la représentation politique. Elle publie une synthèse d’un mémoire qu’elle souhaite aller défendre en commission parlementaire et rappelle que la réforme électorale concerne aussi l’égalité des femmes et des hommes.

    « Tant que nous regarderons à la pièce les expressions de l’inégalité ; tant que nous y verrons les conséquences acceptables de la biologie et de la tradition ; tant que les médias crédibiliseront les personnes et les groupes qui sentent leurs prérogatives menacées par l’égalité ; tant que nous proposerons des solutions tranches de saucissons à ces expressions de l’inégalité ; dans notre société, la valeur d’égalité des sexes restera discutable et l’on continuera à institutionnaliser le concept de l’égalité à la carte. L’égalité à la carte, ce n’est pourtant pas ce que souhaite le Québec. Ni le gouvernement, ni les femmes, ni les hommes. » (Texte intégral.)

    Loin des débats québécois, l’appel émouvant de Mina Ahadi, Mahin Alipour, Shahla Daneshfar et Maryam Namazie, de l’Iran, se fait entendre, sollicitant la solidarité de toutes les femmes contre "l’apartheid entre les sexes".

    « Il y a 30 ans en Iran, le 8 mars 1979, nous, femmes amoureuses de la liberté et hommes épris de liberté, nous nous sommes levé-es face aux réactionnaires qui venaient de prendre le pouvoir, et avons crié "Non au voile obligatoire !". Aujourd’hui, avec derrière nous l’expérience douloureuse et sanglante de trois décennies d’apartheid entre les sexes, d’esclavage de genre et de répression continuelle des femmes, nous déclarons encore plus clairement et encore plus fort, avec la jeune et progressiste génération d’aujourd’hui, que la République islamique doit être renversée en tant qu’État misogyne et en tant que régime d’apartheid sexiste. Nous disons que les dirigeants de la République islamique doivent être arrêtés et jugés pour leurs crimes systématiques contre des millions de femmes, ces crimes contre l’humanité. (...) et appelons toutes les militantes des droits des femmes et les forces laïques et progressistes à soutenir ce manifeste et à se joindre à la solidarité avec le peuple d’Iran dans la lutte pour le renversement du régime islamique d’apartheid sexiste (...) ». (Texte intégral.).

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    Mis en ligne sur Sisyphe, le 12 février 2010

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