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L’égalité d’abord, la liberté religieuse ensuite

27 février 2010

par Lena Andersson, écrivaine

À Almhult (dans le sud de la Suède), un homme a obtenu 6 000 euros de dommages et intérêts du tribunal de première instance pour ses comportements sexistes. L’individu, privé de ses allocations de chômage à la suite d’un comportement jugé offensant lors d’un entretien d’embauche, réclamait devant la justice le poste ambitionné ou le maintien de ses allocations. La première chose qu’il avait faite en arrivant à cet entretien avait été d’humilier la représentante de l’entreprise en refusant de lui serrer la main – ce que tout le monde aurait ressenti comme un affront manifeste – et en évitant de la regarder dans les yeux, au motif qu’il s’agissait d’une femme. C’est pourtant à cet homme que le médiateur suédois pour les questions de discrimination et le tribunal de première instance ont donné raison. N’importe qui estimerait normal qu’une personne qui refuse de serrer la main d’un Noir ou d’un musulman se voie refuser un emploi. En revanche, si Dieu proclame qu’il est interdit de toucher les créatures du sexe opposé, on peut compter sur le soutien des pouvoirs publics suédois.

Sur la page d’accueil du site web du médiateur, on peut lire : "Le médiateur lutte contre les discriminations relatives au sexe, à l’identité sexuelle, au genre, à l’appartenance religieuse, à la religion ou autres convictions personnelles, au handicap, à l’orientation sexuelle et à l’âge." Dans ce cas, pourquoi la défense de la liberté religieuse passerait-elle avant la lutte contre le sexisme ? Cela peut tenir à deux choses : premièrement, au fait que la religion est associée au recueillement et à la fragilité, et que son caractère impalpable inspire la crainte et le respect ; deuxièmement, au fait que les textes et les usages religieux oppriment généralement les femmes et se fondent presque toujours sur une profonde différenciation des deux sexes. L’association de ces deux facteurs a entraîné l’acceptation irréfléchie de certains comportements à l’égard des femmes qui ne seraient jamais approuvés s’ils concernaient un autre groupe. Mais la mission confiée au médiateur par le gouvernement ne peut pas être celle de défendre des pratiques religieuses sans se soucier des valeurs discriminatoires revendiquées par la religion en question. L’égalité doit nécessairement peser plus lourd que la liberté religieuse lorsque les deux se télescopent. Il convient de combattre, et non de soutenir, la division et la discrimination sexuelles.

Naturellement, même l’homme de l’affaire d’Almhult a le droit de s’employer à changer les normes et les valeurs de la société actuelle de manière à ce qu’elles correspondent mieux à son idéal. Mais tout individu qui veut gagner sa vie doit faire preuve d’un minimum de pragmatisme. Même si la soif idéologique de transformer la Suède en Arabie Saoudite est inextinguible chez un individu, celui-ci devra jouer la comédie lorsqu’il cherchera un emploi dans lequel il aura à côtoyer des femmes. Ou alors, il devra comprendre qu’il sera difficile de se faire embaucher tant que sa lutte ne sera pas gagnée.

Un apartheid sexuel pratiqué au nom de la religion

Certes, on choisit sa croyance et son idéologie – quoiqu’il ne soit peut-être plus adéquat de parler de choix à partir d’un certain degré d’aveuglement. Peut-être est-on entré alors dans un autre domaine. Se pourrait-il que le médiateur ait en réalité réglé ici une affaire qui touche non pas à la religion, mais au handicap ? L’homme en question bénéficierait de circonstances atténuantes si le fait de ne pouvoir serrer la main d’un individu sexuellement différent de lui était considéré comme relevant d’une névrose obsessionnelle. Les individus atteints de névroses ou de phobies ont besoin d’aide pour arriver à les dominer. Les pouvoirs publics ne doivent pas conforter ces pathologies, ni les élever au rang d’idéologie à protéger.

Quel que soit le diagnostic établi pour cette affaire, il paraît normal qu’un employeur porte son choix ailleurs que sur un individu affichant des valeurs misogynes. D’autant plus que, en cas d’embauche, il est à craindre que l’homme n’accepte pas de rester seul dans une pièce avec une collègue, considérant celle-ci comme impure une semaine par mois – selon son dieu. Une telle discrimination n’est pas plus agréable pour une femme qu’elle ne le serait pour un Noir. C’est pourtant ce que le médiateur suédois, Mme Katri Linna, entend préserver et défendre. À ses yeux, l’apartheid sexuel pratiqué au nom de la religion n’a pas à subir l’influence de l’égalité et de la laïcité. L’homme en question est discriminé parce qu’il n’a pas le droit de discriminer les femmes. Voilà un raisonnement parfaitement pervers.

* Source : Courrier international sous le titre de « L’égalité d’abord, la liberté religieuse ensuite ».
*Article orginal en suédois dans le Dagens Nyheter

Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 février 2010

Lena Andersson, écrivaine


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