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Pour un Québec pluraliste
Laïcité - Un manifeste tendancieux

5 avril 2010

par Micheline Bail, Geneviève Corfa, Guilda Kattan

Le Manifeste pour un Québec pluraliste publié dans la page Idées du Devoir du mercredi 3 février 2010 est un manifeste tendancieux, d’abord parce que son argumentaire débute par un constat gratuit à l’effet que le débat actuel sur l’identité aurait pris un virage dangereux, une affirmation qui ne repose sur rien de précis, et aussi parce qu’il prétend avec condescendance que la « vision ouverte et pluraliste de la société québécoise » serait battue en brèche actuellement par deux courants en rupture avec les grandes orientations du Québec moderne. À savoir une vision « nationaliste conservatrice » et, une « vision stricte de la laïcité ». Deux approches que les auteurs disqualifient en partant et qui se caractériseraient, selon eux, par la même intransigeance et la même fermeture à l’égard des minorités. Des affirmations que rien ne permet d’étayer. Est-il besoin, pour faire avancer ce débat sur l’identité, de ratatiner toujours le nationalisme québécois en le qualifiant d’intolérant, de figé, de retardataire, d’identitaire, ou de conservateur ?

Des valeurs fondamentales

Par ailleurs, si les nationalistes ont pris position comme ils l’ont fait dans ce dossier de l’identité, c’est dans le but de renforcer des valeurs communes arrachées de haute lutte et devenues pour la majorité de la population des valeurs non négociables. Ce sont la démocratie, la laïcité, l’égalité entre les hommes et les femmes, et le français langue commune. Des valeurs qui ne sont pas abstraites mais bien concrètes pour plusieurs citoyens du Québec. Lors des audiences publiques de la Commission Bouchard-Taylor, un exercice d’expression démocratique, de rapprochement et de tolérance rarement vu, à cette échelle, dans d’autre pays, les gens sont venus nombreux témoigner de leur volonté de conserver à tout prix ces valeurs communes. Cela ne s’est pas fait par une opération du saint-esprit ni par une « symbiose mystique », mais par un exercice public qui a eu pour avantage de faire ressortir clairement les véritables valeurs de la majorité québécoise. Le gros bon sens de la population est tout aussi utile et valable, en démocratie, que l’opinion des juristes, des politiciens et des intellectuels de tous acabits.

Une laïcité à renforcer

S’ensuit, dans ce texte, une définition de ce pluralisme rédempteur qui favoriserait les rapports interculturels et approfondirait les valeurs démocratiques, des principes dont se réclament également les tenants des deux approches ci haut décriées, parce que personne n’est contre la vertu. Cependant, il est clair pour nous que la protection de la « liberté de conscience et sa libre expression, de même que l’égalité des citoyens », sont des objectifs primordiaux qui ne peuvent être atteints que par l’élaboration d’une charte québécoise de la laïcité, une opinion que ne partagent pas les auteurs de ce texte. Cette charte permettrait de confirmer le caractère laïque des services publics et pas forcément de la sphère publique, sur laquelle il n’y a guère de consensus actuellement. Et lorsque l’on parle de laïcité, il ne s’agit pas pour nous de laïcité « ouverte », qui n’est qu’un concept vide de sens, mais de laïcité tout court. Un État est laïc ou clérical et ne saurait être les deux à la fois.

Le contexte social et politique actuel fait en sorte qu’il faut éviter que les valeurs religieuses en viennent un jour à primer sur les autres. Une crainte justifiée par le constat que depuis ces dernières années, les chartes canadiennes et québécoises des droits et libertés n’ont pu empêcher, entre autres, la discrimination à l’égard des femmes en faisant primer la liberté de religion sur leur droit à l’égalité. Une charte de la laïcité pourrait pallier la faiblesse du cadre juridique actuel et enverrait un message clair à ceux qui viendraient s’installer au Québec, ainsi qu’à ceux qui seraient tentés d’instrumentaliser les tribunaux pour faire avancer leur agenda politique intégriste.

Montréal le 4 février 2010

Mis en ligne sur Sisyphe, le 23 mars 2010

Micheline Bail, Geneviève Corfa, Guilda Kattan


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