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Cours Éthique et culture religieuse - L’éthique, la culture et le juge

26 juin 2010

par Lise-Marie Gervais, Le Devoir

Très attendu, le jugement Dugré vient d’autoriser l’école secondaire privée Loyola à donner le cours Éthique et culture religieuse selon sa perspective catholique. Cette décision, qui réjouit les opposants au cours, crée pourtant un précédent qui aura un impact dans le milieu de l’éducation et sur la société québécoise. On croyait la religion sortie des écoles, assiste-t-on à un retour à la confessionnalisation ?

Sitôt la décision tombée, Québec interjette appel. Visiblement, le gouvernement Charest est fermement décidé à engager le combat pour que soit respecté l’enseignement d’Éthique et culture religieuse (ECR) tel qu’il l’entend, soit dans une perspective laïque. Forte de sa victoire, l’école secondaire privée Loyola, à qui on vient d’autoriser de dispenser le cours de façon confessionnelle selon les préceptes de la religion catholique, se dit prête à aller jusqu’en Cour suprême s’il le faut.

La décision du juge Gérard Dugré en a réjoui plusieurs. On pense d’emblée aux parents des régions de Granby et de Drummondville qui militent depuis longtemps pour que le cours ne fasse plus partie des matières obligatoires.

Mais les propos du juge ont aussi pu choquer, par le ton sans équivoque et sévère envers la partie défenderesse, en l’occurrence la ministre de l’Éducation, Michelle Courchesne. « [....] l’obligation imposée à Loyola d’enseigner la matière ECR de façon laïque revêt un caractère totalitaire qui équivaut, essentiellement, à l’ordre donné à Galilée par l’Inquisition de renier la cosmologie de Copernic », écrit le juge dans son épilogue en paraphrasant le juge Beetz dans l’arrêt Slight Communications inc.

Le juriste et professeur de l’UQAM Pierre Bosset précise que, techniquement, cet épilogue ne fait pas partie du raisonnement du juge. Ce n’est qu’un ajout discrétionnaire, ce que, dit-il, il n’a pas vu souvent. Toutefois,

M. Bosset soutient que l’allusion à la suprématie de Dieu qui y est faite, et qui la met sur le même pied d’égalité que la primauté du droit, n’est pas tout à fait juste. « On laisse entendre que les deux bénéficient d’une protection constitutionnelle et à mon avis c’est inexact. Pour la primauté du droit, c’est vrai, c’est reconnu par la Cour suprême, dans son avis consultatif sur la sécession du Québec, comme un des principes qui sous-tendent la Constitution du Canada, mais la suprématie de Dieu n’a jamais été écrite comme un principe constitutionnel. C’est écrit dans le préambule, qui n’a pas de valeur opératoire », explique le professeur, qui est également chercheur au Centre interdisciplinaire de recherche sur la diversité au Québec (CRIDAQ).

Le concept d’équivalence

En substance, le juge s’attarde surtout à prouver que le gouvernement du Québec ne peut pas refuser de reconnaître le cours ECR « maison » proposé par l’école secondaire privée pour garçons comme un cours équivalent sous prétexte qu’il aborde l’enseignement dans une perspective confessionnelle.
M. Dugré va jusqu’à remettre en cause le pouvoir discrétionnaire de la ministre et celui de ses fonctionnaires en alléguant qu’ils n’avaient pas le pouvoir de définir les critères d’« équivalence ». Inscrite sur la première page de la décision, la locution latine Delegatus non potest delegare (Le délégué ne peut pas déléguer) donne le ton.

Philosophe à l’Université Laval, Luc Bégin, qui est aussi conseiller du ministère de l’Éducation pour le cours ECR, détecte une anomalie dans le raisonnement du juge, qui préfère s’en remettre à la définition générale du dictionnaire du mot « équivalent », soit « qui a la même valeur ou fonction [...] dont la portée est semblable ou identique ». « Je trouve ça étrange que [le juge] dise qu’il suffit que le cours proposé par Loyola soit similaire ou comparable [à celui proposé par le ministère de l’Éducation] alors qu’il ne revient pas du tout sur la question de la valeur et de la fonction, indique Luc Bégin. Si on se fie à la logique du juge, c’est comme s’il suffisait d’aborder des éléments de contenu du cours, de quelque façon que ce soit. Autrement dit, c’est comme affirmer que la science peut être enseignée de façon créationniste pour autant qu’on retrouve l’ensemble des éléments de contenu à étudier. »

Pour le professeur, cette façon de faire inquiétante n’est pas sans suggérer un retour à l’enseignement confessionnel. « Si c’est ce que le juge pense, alors on peut revoir la fonction des programmes quels qu’ils soient. Et on peut se demander si les anciens programmes confessionnels ne devraient pas être jugés équivalents au cours Éthique et culture religieuse », fait remarquer M. Bégin.

Le tribunal conclut ainsi que « le programme de Loyola est comparable au programme ECR établi par la ministre » et que « l’enseignement de ce programme suivant la confession catholique n’en change pas la nature et ne peut faire perdre le statut d’équivalent au programme de Loyola ». Cette absence de distinction dans les postures étonne Luc Bégin, qui a participé à la conception du volet éthique du cours. « Le programme ECR a une approche culturelle des religions, et non confessionnelle. C’est une différence fondamentale, insiste-t-il. Dans une approche culturelle, on vise à faire comprendre aux jeunes une manifestation du phénomène religieux. On le fait dans le but de former des citoyens éclairés. La référence qu’auront les citoyens, c’est leur raison, alors que quand on est dans une approche confessionnelle, ce qu’on vise en définitive [...], c’est la fonction croyante, pratiquante. »

Selon M. Bégin, il est très tôt évoqué dans le programme ECR que l’élève doit être capable de penser par lui-même, de développer sa raison critique et de se faire une idée de ses propres valeurs. « Dans une posture confessionnelle, on n’est plus dans une entreprise de rendre le jeune capable de comprendre par lui-même, on est dans une entreprise de moralisation. On n’en fait pas un être bête et docile pour autant, mais la réflexion critique est nécessairement assujettie à un cadre de référence qui est celui de la confession religieuse », a-t-il poursuivi.

Dans sa défense, la ministre de l’Éducation invoque notamment l’absence de la compétence « pratique du dialogue » dans le cours que propose de donner le collège Loyola et insiste sur le rôle d’enseignant et son devoir de réserve. Là-dessus, le juge est sans équivoque : il s’agit de prétextes. Luc Bégin y voit une nette exagération. « Ça m’a scié de lire ça parce que le rôle de l’enseignant, on le retrouve dans les premières pages du programme ECR au primaire et au secondaire, au même titre qu’apparaissent les finalités du programme et les compétences. C’est dire à quel point c’est fondamental », croit-il.

Atteinte à la liberté de religion

Enfin, le juge récuse sévèrement la défense de la ministre, qui plaide que l’école secondaire Loyola, comme personne morale, ne peut invoquer une atteinte à sa liberté de religion. Or cette école privée subventionnée a une personnalité juridique, statue le juge en reconnaissant que l’établissement « a donc droit à la protection de l’article 3 de la Charte québécoise puisque son droit fondamental [celui de la liberté de religion] est enfreint ».

Le juriste Pierre Bosset reconnaît qu’il peut y avoir là une atteinte à la liberté religieuse des parents. Mais selon lui, d’importants critères ne sont pas abordés par le juge, comme le fait que l’objectif poursuivi pour limiter la liberté religieuse puisse être légitime et valable. « Le vivre ensemble, le développement d’une certaine culture religieuse chez tous les citoyens... Ces objectifs sont peut-être légitimes, mais le juge n’aborde pas certains de ces aspects », souligne M. Bosset.

Même si le jugement est sévère, il estime que le gouvernement détient quelques cartes dans son jeu. Si, sur le strict plan administratif, la loi ne donne pas le droit à la ministre de définir à sa façon ce qui est équivalent et ce qui ne l’est pas, rien ne l’empêche de la modifier pour mieux en définir les critères.

Et que penser des dispositions qui ouvrent carrément la porte à l’approche confessionnelle de l’enseignement qui pourrait, par exemple, conduire à un dangereux mélange entre science et religion ? Comme « aucune norme légale n’empêche Loyola d’être un établissement d’enseignement confessionnel catholique, il devrait donc être permis d’y enseigner toutes les matières selon l’approche confessionnelle catholique », stipule le paragraphe 260 du jugement. « Si une école décidait d’enseigner la biologie selon la Bible, à mon avis, il lui reviendrait de prouver que ce programme d’enseignement est équivalent à celui du ministère », a-t-il dit.

En outre, M. Bosset ne verrait pas d’un mauvais oeil que les deux causes — celle menée par des parents de Drummondville qui souhaitent dispenser du cours leurs enfants qui vont à l’école publique et celle de l’école secondaire privée Loyola — soient tranchées par la Cour suprême. « Pour aborder tous les aspects de fond, les questions de chartes plus que celles des droits administratifs », précise-t-il.

Tenant d’une laïcité dite « ouverte », Pierre Bosset propose d’étendre cette réflexion collective au débat sur le financement des écoles privées. « Si on utilise l’argument du financement public versé aux écoles privées, il y aura peut-être là une légitimité supplémentaire pour imposer un cours. [...] Si l’État tient à sa laïcité, il devra continuer à financer ces établissements, mais s’il doit respecter la liberté religieuse, ce serait cohérent pour lui de cesser le financement. » Voilà des controverses judiciaires qui promettent d’alimenter bien des débats.

Source : Le Devoir, le 26 juin 2010.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 26 juin 2010

Lise-Marie Gervais, Le Devoir


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