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Jugement Himel sur la prostitution - Mettre fin à l’exploitation est la meilleure voie à suivre

26 octobre 2010

par Christine Boyle, professeure de droit

Le débat public demeure vigoureux quant aux conséquences de la récente décision Bedford c. Canada d’abroger une grande part de la loi canadienne sur la prostitution, comme elle s’applique en Ontario. Le 12 octobre, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a donné le feu vert à l’organisation Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society pour faire valoir qu’il faudrait faire la même chose dans cette province.

Les objectifs de ce groupe comprennent l’amélioration des conditions de « travail » des femmes en prostitution. D’autres organisations ne sont pas d’accord que le fait de prostituer d’autres personnes devrait être décriminalisé. Au lieu de cela, elles préconisent ce que l’on appelle le modèle suédois, ou nordique. Cela implique, d’une part, la criminalisation de ceux qui prostituent d’autres personnes et, d’autre part, des initiatives d’assistance sociale visant à réduire la prostitution.

L’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC) est une actrice cruciale dans ce mouvement abolitionniste. Compte tenu de la surreprésentation des femmes autochtones dans l’industrie du sexe, et des dangers extrêmes qu’elles y vivent, la voix de cette association mérite le respect. Lors de son assemblée générale annuelle de septembre, l’AFAC a appelé le gouvernement du Canada à éliminer les sanctions pénales contre les personnes qui vendent leurs « services sexuels », tout en conservant des sanctions contre les acheteurs, les entremetteur-es, les proxénètes et les tenancières et tenanciers de maison de débauche. Les femmes de l’AFAC ont également réclamé des initiatives gouvernementales pour accroître les solutions de rechange, qui empêcheraient les femmes et les filles de devoir recourir à la prostitution ou qui les aideraient à la quitter.

La voix de l’AFAC n’est pas isolée. La Fédération canadienne des femmes diplômées des universités a appelé à des initiatives similaires. Pour sa part, réfléchissant au lien entre la prostitution et d’autres formes de violence visant principalement les femmes, l’Association canadienne des centres contre le viol a catégoriquement dénoncé l’achat de « services sexuels » comme étant incompatible avec la sauvegarde des droits de la personne, en particulier l’égalité entre les femmes et les hommes.

Reflétant les racines pan-canadiennes du mouvement anti-viol sur cette question, l’Association canadienne des centres contre les agressions à caractère sexuel cite également Diane Matte, de la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES) : « Une société qui défend les droits des personnes à la dignité, la liberté et l’égalité doit affronter l’industrie du sexe, qui est enracinée dans l’exploitation, la domination et les bénéfices réalisés au détriment des personnes les plus vulnérables. »

Ces voix, y compris celle de l’organisme Vancouver Rape Relief and Women’s Shelter, ne peuvent être rejetées comme marginales. En 1981, lorsque le Canada a ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le gouvernement fédéral a promis qu’il allait « prendre toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour supprimer, sous toutes leurs formes, le trafic des femmes et l’exploitation de la prostitution des femmes ».

La décision rendue en Ontario ne devrait pas faire obstacle à l’adoption du modèle suédois, mentionné dans l’arrêt lui-même. La juge Susan Himel a statué que les lois pourraient être mieux adaptées à la protection des « prostituées », notant, à titre d’exemple, qu’« en Suède, où la prostitution est considérée comme un aspect de la violence exercée contre les femmes et les enfants, il est illégal d’acheter du sexe et la personne qui vend du sexe est considérée comme une victime et n’est pas criminalisée. Des campagnes d’éducation du public ciblant les acheteurs de services sexuels ont réduit la demande. Une formation intensive de la police a conduit à une hausse de 300 p. cent des arrestations et à une réduction des plaintes que la loi est trop difficile à appliquer. »

De plus, la décision de la juge est vulnérable à appel. Elle est fondée sur un préjudice aux « prostituées », qui découlerait, selon elle, de la législation en vigueur, et ne suggère pas que la loi porte atteinte aux acheteurs. Néanmoins, le remède qu’elle adopte, celui de l’annulation d’une série d’infractions en matière de prostitution, n’est pas adapté au préjudice en cause, mais fait table rase des lois qui s’appliquent aussi aux acheteurs.

Sa terminologie semble fondée sur l’hypothèse d’une catégorie de personnes, les « prostituées », dont les choix seraient si limités, au sein de ce statut, par la législation pénale en vigueur qu’elles seraient mises en péril. S’il existe, effectivement, des personnes qui se prostituent par choix, elles peuvent bien sûr éviter tout préjudice découlant de la criminalisation, en se conformant à la loi. Celles qui n’ont pas ce choix ne doivent pas être criminalisées. Là encore, la juge Himel note l’existence du modèle suédois, avec ses mesures de réduction de la pauvreté. Évidemment, quelqu’un qui achète les services sexuels d’autres personnes ne peut jamais être certain que ces personnes participent de plein gré à leur propre prostitution.

La décision ontarienne a été portée en appel. Nous ne savons pas ce que feront les tribunaux de la Colombie-Britannique. Cependant, nous n’avons aucune obligation d’attendre. Le Parlement et les provinces devraient se joindre dès maintenant au mouvement abolitionniste.

 Christine Boyle est professeure de droit à l’Université de la Colombie-Britannique et spécialiste des questions d’égalité et de droit pénal.

 Texte original, The Vancouver Sun, le 25 octobre 2010.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 26 octobre 2010

Christine Boyle, professeure de droit


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