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Cacophonie "virile" au PQ
La meute est lâchée

29 octobre 2010

par Lise Payette, Le Devoir

Ils s’y mettent à plusieurs. Chacun étale ses états d’âme sans pudeur. Quand ils affirment qu’ils n’interviennent dans le débat que pour favoriser l’avancement de la souveraineté du Québec, ça fait sourire. Leur jupon dépasse. Si près du but qui s’appelle la prochaine élection, les voilà qui reprennent du service alors que personne ne leur a rien demandé. Ils placent celle qui livre bataille sur le terrain dans l’embarras et s’agitent comme des vampires qui ont senti l’odeur du sang.

Pauline Marois a appris depuis longtemps à naviguer à vue dans ce parti qui remet tout en question chaque fois que quelqu’un respire. Elle a toujours su que sa marge de manoeuvre n’était pas très large et elle s’est beaucoup appliquée à mériter le poste pour lequel on l’a suppliée de revenir. Elle a fait preuve d’une immense patience, mais aussi d’une solidarité parfois admirable.

Je ne sais pas si elle a vu venir la meute qui est à ses trousses. La chasse est ouverte officiellement depuis mercredi soir, quand Jacques Parizeau a joint sa voix (et celle de sa députée préférée) aux autres, comme celles de Bernard Landry et de Lucien Bouchard qui hurlaient dans les bois d’un côté, et celles de Joseph Facal et de François Legault qui murmuraient dans des réunions secrètes. Pour le moment, ils sont cinq. Mais ce chiffre va grossir, car la meute attire la meute.

Dans cette chasse ouverte, le non-dit est plus important que le dit. Au fond, quelle est la ritournelle qu’ils chantent tous en choeur ? Ils expriment leur doute quant à la volonté de madame Marois de mener le peuple du Québec à l’indépendance. Ça, c’est le motif officiel. Ce qu’ils ne disent pas avec des mots, c’est plutôt : « de quel droit cette femme réussirait-elle ce que nous n’avons pas réussi nous-mêmes ? » Tant et aussi longtemps qu’elle faisait marcher la maison, qu’elle veillait à ce que la soupe soit chaude, qu’elle faisait le ménage dans le parti, pas de problème, mais il serait temps qu’elle passe les responsabilités à quelqu’un de vraiment qualifié maintenant. Il ne faudrait pas qu’elle commence à s’imaginer qu’elle pourrait passer à l’Histoire là où nous avons échoué ; ça, c’est une autre paire de manches.

Ils sont tous prêts à revenir. Tous ces hommes, dont l’ego n’a pas supporté la remise en question de leur compétence, sont prêts à sauter dans l’arène pour montrer à madame Marois comment il faut faire. Ils essaient de démontrer qu’elle n’a pas les rênes bien en main et ils vont essayer de prouver que quelqu’un d’autre avec plus de charisme (comme eux sans doute), plus de poigne, plus de détermination ferait bien mieux qu’elle dans les sondages.

J’ai honte pour la meute. À leur place, je n’oserais même pas me montrer la face pendant un bon moment. René Lévesque détestait son parti parce qu’il le connaissait bien. Je sais aussi que les autres partis ne sont pas mieux. Ce que je sais surtout, c’est que l’égalité des femmes en politique est une illusion d’optique, une illusion que Jean Charest a bien comprise et dont il s’est servi en établissant la parité dans son Conseil des ministres. Il m’arrive de penser qu’il donne ainsi, sans s’attendrir, les dossiers pourris aux femmes de son équipe et les planques sympathiques aux hommes qui gravitent autour de lui.

Au Parti québécois, on assassine les chefs. On aurait pu espérer que madame Marois serait l’exception parce qu’elle est arrivée là où elle est par la longue route. Personne ne lui a jamais fait de cadeaux pour rien. Elle n’a jamais demandé de traitement de faveur et tout le monde sait qu’elle a travaillé huit jours par semaine depuis qu’elle est en politique. Un jour, elle a décidé calmement que « le coeur n’y était plus » et elle est rentrée chez elle s’occuper de sa famille et de son jardin. Quand l’épisode Boisclair a été terminé, on l’a suppliée de revenir. Elle a posé ses conditions, mais ce sont ces conditions qu’on remet en question aujourd’hui d’une certaine façon.

Ça va décourager les femmes de la politique. Avec raison. À moins que madame Marois ne sauve sa peau, ce qu’elle peut réussir à faire si elle le veut vraiment, sa peau qu’on se dispute déjà sur la place publique. Si elle y arrive, elle devra expliquer aux autres femmes comment elle a affronté la meute et surtout comment elle pourra éviter la rancoeur qui ne manquera pas de la faire se questionner sur ce qu’elle fait dans cette galère.

Pour ma part, je demande à la meute de présenter des excuses à Pauline Marois. Ça n’effacera pas tout, mais ils auront davantage l’air de gentlemen que l’image qu’ils nous donnent à voir depuis quelques jours.

 Source : Le Devoir, 29 octobre 2010

Mis en ligne sur Sisyphe, le 29 octobre 2010

Lise Payette, Le Devoir


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