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Voile, prostitution, militarisme, indépendance
La Fédération des femmes du Québec représente-t-elle toutes les femmes ?

4 novembre 2010

par Élaine Audet

"La Fédération des femmes du Québec ne parle plus au nom de toutes", regrettait Marie-Claude Lortie dans La Presse (1), lors de la récente levée de bouclier contre les capsules publicitaires de la FFQ dénonçant le recrutement militaire dans les écoles. La FFQ, ou tout autre groupe, peut-il prétendre représenter toutes les femmes ?



Pour la journaliste, la FFQ devrait se limiter à parler de sujets qui concernent spécifiquement les femmes comme "les efforts anti-avortement du gouvernement Harper, le drame quotidien des femmes souffrant de troubles alimentaires et de problèmes d’image de soi, l’hypersexualisation, le partage des tâches, la conciliation travail-famille, le nombre encore trop bas de femmes dans les sphères de pouvoir économique et politique, le « décrochage » des femmes professionnelles".

De tous temps, les féministes se sont battues contre la guerre et le militarisme des gouvernements. Qu’elles y participent en tant que soldates ou qu’elles soient citoyennes des pays envahis, elles risqueront d’être violées, torturées et de perdre la vie pour étendre le pouvoir et les intérêts d’une poignée de profiteurs. La plupart des femmes essaient de résoudre les problèmes sans l’utilisation de la force et de la violence et ne se reconnaissent pas dans ces valeurs guerrières qu’elles doivent subir. C’est cette éthique qu’ont voulu défendre, à juste titre, la FFQ et la Marche mondiale des femmes.

Marie-Claude Lortie considère aussi "absolument déplacé de la part de la FFQ de prendre position pour l’indépendance en 1995". Pourtant, cette prise de position a eu lieu après un vote démocratique majoritaire des membres de la Fédération, qui œuvre au Québec comme son nom l’indique et non au Canada. Et pourquoi une majorité de Québécoises ne croiraient-elles pas qu’elles pourraient atteindre davantage leurs objectifs dans un pays indépendant, où toutes et tous contrôleraient les leviers de pouvoir et leur propre développement ?

Qu’elles soient de simples citoyennes, des syndicalistes, des politiciennes comme Pauline Marois, Louise Beaudoin, Agnès Maltais, Louise Harel, Lise Payette, Monique Simard, Claudette Carbonneau, Monique Richard, Lorraine Pagé, Françoise David, des créatrices comme Marcelle Ferron, Louky Bersianik, Andrée Ferretti, Hélène Pedneault, Michèle Lalonde, Madeleine Gagnon, Denise Boucher, Marie Savard, des militantes de "Québécoises Deboutte", elles ont su faire le lien entre la libération des femmes et celle du Québec (2). Il en est de même pour la lutte contre la pauvreté qui ne concerne pas spécifiquement les femmes, mais touche la majorité d’entre elles qui sont les plus pauvres dans la société.

La FFQ devrait-elle se réclamer de "toutes les femmes", y compris de celles qui défendent les valeurs patriarcales bec et ongles ? Par exemple, la mission d’une organisation représentant les intérêts des femmes doit-elle consister à obtenir le droit pour les Québécoises de risquer leur vie, en toute égalité, aux quatre coins du monde pour défendre les intérêts militaro-économiques du nouvel ordre mondial ou à promouvoir le sexisme et l’obscurantisme des religions au sein des institutions québécoises ?

Il s’agirait plutôt, il me semble, de défendre les intérêts communs des femmes, en dénonçant les valeurs qui les empêchent de choisir librement leur destin, en mobilisant le plus grand nombre d’entre elles pour lutter contre toutes les formes d’oppression, de discrimination, de violence, de stéréotypes sexuels et sociaux qui veulent les garder en servitude et à l’écart des décisions socio-politiques qui les concernent.

Amalgamer les féministes

Quant à elle, Wassyla Tamzali, avocate féministe algérienne en tournée au Québec, accusait les féministes canadiennes et québécoises de ne pas mener le combat contre le niqab et les signes religieux dans la fonction publique (3). L’ironie de cette critique est que la conférencière a été invitée par des féministes de la Coalition Laïcité Québec, dont Sisyphe est membre. Sisyphe a d’ailleurs lancé en 2009 une pétition en faveur d’une Charte de la laïcité au Québec (4), signée par quelque 2,000 personnes et déposée à l’Assemblée nationale en juin 2010.

Le Collectif citoyen pour l’égalité et la laïcité (CCIEL) et plusieurs femmes qui ont témoigné devant la Commission Bouchard-Taylor ont exprimé également leur opposition à toutes les manifestations d’intégrisme religieux. Même si une grande organisation comme la FFQ s’est prononcée en faveur du port de signes religieux dans la fonction publique (5), TOUTES les féministes québécoises ne sont à l’évidence pas d’accord avec cette position.

On pourrait aussi dire que TOUTES les féministes reconnaissent la prostitution comme un métier, puisque la FFQ dit représenter "les travailleuses du sexe" qui en réclament la décriminalisation (6). Pourtant, d’autres féministes, comme celles qui militent dans la Coalition contre l’exploitation sexuelle (CLES), Sisyphe et de nombreux autres groupes luttent contre la marchandisation des femmes et pour un monde sans prostitution.

De telles généralisations font le jeu des antiféministes en laissant croire qu’une seule organisation peut représenter ou représente toutes les femmes, quelles que soient les positions de ces dernières, en passant sous silence l’action de toutes celles qui n’en font pas partie et veulent en finir avec le pouvoir patriarcal. On pourrait plutôt viser à développer la solidarité contre toutes les valeurs qui portent atteinte à la liberté des femmes, à leur sécurité, à leur dignité, et à leur droits égaux dans tous les domaines.

Notes

1. Marie-Claude Lortie, "Les femmes ont besoin d’une nouvelle voix". La Presse, le 9 octobre 2010.
2. Sur la responsabilité face à notre avenir et la peur des mots auxquels il faudrait ajouter celui de "patriarcat", système toujours bien vivant qui perpétue la suprématie et la domination masculine sur les femmes, lire cet intéressant article d’Andrée Ferretti.
3. Anne-Marie Lecomte, Wassyla Tamzali : vibrant plaidoyer pour la laïcité, Radio-Canada, le 22 octobre 2010.
4. Élaine Audet, Micheline Carrier, Diane Guilbault, Pour une Charte de la laïcité au Québec, Sisyphe, 21 mai 2009.
5. La FFQ vient de se prononcer pour la burqa dans les Services de garde à domicile.
6.L’Institut Simone-de-Beauvoir de l’Université Concordia se prononce en faveur de la décriminalisation complète des proxénètes et des prostitueurs-clients.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 octobre 2010

Élaine Audet

P.S.

Lire aussi

 Projet de loi 195 sur l’identité québécoise, présentée par Mme Pauline Marois à l’Assemblée nationale du Québec, 2007, qui stipule notamment deux points qui concernent directement les Québécoises : "l’importance d’assurer la prédominance de la langue française, de protéger et de promouvoir la culture québécoise, de garantir l’égalité entre les femmes et les hommes et de préserver la laïcité des institutions publiques."
 CCIEL
 Commission Bouchard-Taylor




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