source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=3710 -



Haïti - La vie après le séisme

15 novembre 2010

par Christiane Pelchat, déléguée générale du Québec à Mexico

Comme Haïti, le séisme du 12 janvier 2010 a marqué ma vie pour toujours. Une partie de mon cœur est à jamais ensevelie sous l’hôtel Montana depuis que mon beau mari, Serge Marcil, y est décédé. Deux cent cinquante mille morts dans ce terrible tremblement de terre dont on entend de moins en moins parler.

Parmi eux, des femmes comme Myriam Merlet, Anne-Marie Coriolan, Magalie Marcelin, militantes féministes engagées dans la transformation de l’avenir haïtien, nous manquent cruellement. Elles auraient pu, aujourd’hui, faire une différence dans la reconstruction bien mal engagée de ce si beau pays. Myriam Merlet, que je connaissais et dont j’admire toujours la passion et l’habileté intellectuelle, serait du combat pour faire respecter la voix des Haïtiennes qui se battent pour être partie prenante des décisions concernant le relèvement du pays. Elles ne le sont pas, en dépit du fait qu’elles sont en grande partie responsables de ces millions de familles qui luttent tous les jours pour survivre.

Malgré cela, les entretiens menés par la Gazette des femmes dans ce dossier ont de quoi nourrir un peu l’espoir. En dépit de la tâche colossale qui attend le peuple haïtien – l’ONU estime que trois années seront nécessaires pour venir à bout du déblaiement des débris –, les femmes démontrent un courage et une force exemplaires en revendiquant une place prépondérante dans la reconstruction de leur pays. D’autant plus que le contexte ne leur rend pas la tâche facile. Dans un point de presse tenu en septembre dernier par la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), le porte-parole adjoint de la Mission et celui de la Police des Nations Unies affirmaient qu’il était nécessaire d’investir des efforts additionnels pour lutter contre la drogue, pour faire la chasse aux kidnappeurs et pour diminuer la violence sexuelle commise à l’endroit des femmes, souvent mineures, dans les camps et certaines communes.

Mais les Haïtiennes persistent. À peine deux mois après la tragédie, elles étaient nombreuses à participer à la réalisation et à la diffusion de deux documents qui avancent des propositions concrètes et qui insistent sur la prise en compte de la dimension du genre dans le processus de reconstruction du pays. Elles ont reçu un accueil tiède. Les Haïtiennes sont encore trop peu visibles aux yeux des décideurs et des médias. Pourtant, ce sont elles qui, depuis des lunes, soutiennent le pays à bout de bras : avant le séisme, rapporte la journaliste Ariane Émond, le travail d’une femme pouvait subvenir aux besoins de six personnes, alors que beaucoup de chefs de famille en ont aujourd’hui 10 sous leur responsabilité. C’est leur droit le plus légitime de réclamer leur part de participation ! S’il est essentiel qu’elles fassent entendre leur voix, il est incontournable que nous les écoutions.

Il me vient à l’esprit un ouvrage pour lequel j’ai beaucoup d’estime et qui, bien qu’il ait été publié il y a 20 ans, est toujours d’actualité. L’univers rural haïtien. Le pays en dehors, écrit par Gérard Barthélemy, invite à repenser la vision des ruraux, "habitants d’un pays en dehors", en cessant de les marginaliser pour les inscrire dans une perspective d’avenir. Parmi les solutions, l’auteur évoque celle-ci comme la plus durable : l’écoute et la patience. "L’écoute signifie d’abord la connaissance grâce à une recherche enfin menée sur les mécanismes culturels profonds de cette société. L’écoute signifie, en second lieu, l’acceptation, comme une donnée, des résultats et des conclusions de la recherche. Tout cela devant conduire finalement à une action d’intervention. Celle-ci […] doit s’appuyer […] sur les richesses humaines existantes et les dynamismes sociaux."

En 2010, 60% de la population d’Haïti vit en campagne. Soutenues, encouragées et encadrées, les femmes qui habitent les zones rurales – agricultrices, éleveuses, commerçantes – pourraient bien contribuer à changer les choses, comme le souligne Adeline Chancy, ancienne ministre à la Condition féminine, qui partage avec nous sa vision de l’état du mouvement des femmes dans ces pages. La décentralisation, dans tous les secteurs d’activité, est une solution que plusieurs considèrent garante d’un développement pérenne du pays. Et si la passion des militantes disparues fait des émules parmi les jeunes femmes, on peut espérer la continuité du mouvement des femmes. Ce qui, selon Adeline, "n’est pas un vœu, mais une conviction".

* "Le mot de la présidente", dans la Gazette des femmes, numéro de novembre-décembre 2010, qui porte sur Haïti. Voir le site internet de la Gazette des femmes.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 15 novembre 2010

Christiane Pelchat, déléguée générale du Québec à Mexico


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=3710 -