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La série "Maison close" : de la fiction à la réalité

22 novembre 2010

par Catherine Goldmann

La série télévisée « Maison close », diffusée par Canal+, vient de s’achever. Mais le débat sur la réouverture des maisons closes en France continue.



Tout a commencé début septembre. Pendant des semaines, des affiches étalées sur les murs de nos villes ont annoncé la nouvelle production de Canal +, Maison close, l’histoire d’un luxueux bordel parisien en 1871, « Le Paradis ». Pendant des semaines, ce grand battage publicitaire nous a asséné son slogan : « Maison close, les hommes rêvent d’y entrer et les femmes se battent pour en sortir », tout en nous donnant à voir des corps féminins largement dénudés...

C’était un bon avant-goût de la série télévisée qui joue sur la même ambivalence. D’un côté, on multiplie les petites phrases et les clichés, pour faire croire à un débat : « J’aime rarement ça, vous savez », explique une personne prostituée. « C’est mieux que le travail en usine », dit une autre. « Aucune femme ne rêve de ce métier, mais c’est un vrai métier, plaide un commissaire de police. Il y a moyen de le faire bien en se respectant soi-même ».

Voilà pour le discours. Mais que voit-on ? Des femmes offertes, des orgies sexuelles, des viols..., autant dire des scènes complaisamment pornographiques. Le tout dans une ambiance esthétisante et rock’n roll, qui enveloppe la violence et le sexe d’une beauté envoûtante. Bref, la série « Maison close », loin de dénoncer ou, tout au moins, d’inviter à la réflexion, conforte et alimente la fascination fantasmatique qu’exercent les maisons closes sur l’imaginaire (masculin essentiellement).

De la série télévisée au débat politique...

Cela aura pourtant suffi à relancer le débat autour de la réouverture des maisons closes. La députée Chantal Brunel, qui avait déjà fait la une des médias en mars dernier, est revenue sur le devant de la scène : « (La prostitution) est une forme de violence faite aux femmes : on ne peut qu’être d’accord. Ce que je prétends, c’est qu’il est inutile de se voiler la face : la prostitution continuera encore d’exister. Tant que les mentalités ne changeront pas, il est impératif que ces filles soient au moins protégées » (Rue89, du 25 octobre). Et, comme pour corroborer ses propos, un sondage, publié par Le Parisien, rappelle que 59% des Français (en majorité des hommes....) sont favorables à la réouverture des maisons closes....

Croit-on vraiment lutter contre ce phénomène en l’enfermant entre quatre murs ? Pense-t-on pouvoir faire évoluer les mentalités, en institutionnalisant le proxénétisme et en banalisant la violence qu’est la prostitution ? On porte en modèle des pays voisins comme l’Allemagne ou les Pays-Bas qui ont réglementé la prostitution et ouvert des lieux dévolus à la prostitution. Mais que sait-on de la réalité qui y est vécue ?

Allemagne, pays modèle ?

L’Allemagne a adopté un régime réglementariste en 2002. L’objectif était d’améliorer la situation juridique et sociale des personnes prostituées, supprimer les risques sanitaires, limiter la violence, faire reculer la criminalité. Huit ans plus tard, on mesure pleinement les résultats de cette politique.

La violence est omniprésente. Il suffit d’éplucher les faits divers de la presse allemande pour s’en rendre compte : agressions, assassinats... Affirmer que les maisons closes peuvent protéger de la violence de la prostitution, c’est faire croire que cette violence est liée à des conditions d’exercice et non au « travail » en lui-même. Face à un client violent et mal intentionné, la personne prostituée, quelle que soit sa situation, est sans recours.

L’existence de bordels légaux ne diminue pas l’afflux des jeunes filles des pays de l’Est ou d’Afrique et le développement des trafics criminels. En Allemagne, les ¾ des personnes prostituées sont d’origine étrangère. Les lieux illicites prolifèrent à côté des établissements légaux. Un policier de Francfort constate : si 140 personnes se prostituent dans le plus grand bordel du quartier rouge de la ville, ce sont plus de 500 personnes qui se prostituent dans les rues du quartier de la gare (Deustche Welle).

Par ailleurs, la loi visait à faire bénéficier les personnes prostituées des droits sociaux des travailleurs indépendants. Mais elles sont nombreuses à refuser de travailler dans ce système. Un premier bilan de la loi en 2005 avait fait apparaître que sur les 300 personnes prostituées interrogées, elles étaient 13 à être officiellement enregistrées et seules 3 avaient un contrat de travail.

Enfin, comment peut-on ériger en modèle un pays qui traite le corps des femmes comme une marchandise que l’on étale ou que l’on brade à volonté ? Souvenons-nous des « flat rate bordels » (pour une somme forfaitaire, le client peut consommer nourriture, boissons et sexe à volonté) et des différentes offres « promotionnelles » proposées pour répondre à la crise.

Un faux débat ?

Finalement, tout ceci n’est qu’un faux débat, visant à satisfaire les demandes de riverains excédés. Aujourd’hui, l’urgence n’est pas d’ouvrir des lieux dédiés à la prostitution. Pendant qu’on débat sur ces questions, les trafics ne cessent de se développer et l’ouverture de maisons closes n’y fait pas obstacle.

« Les arguments sécuritaires et hygiénistes des défenseurs d’une réouverture des maisons closes sont au mieux une mystification, déclare Yves Charpenel, avocat général à la Cour de Cassation, président de la Fondation Scelles. Il s’agit d’un faux débat qui masque le lobbying du marché du sexe. Ce qui m’intéresse, c’est de lutter contre l’exploitation sexuelle qui abuse de la vulnérabilité des personnes ».

Source : La Fondation Scelles. Reproduit avec l’autorisation de la fondation.

* Lire aussi :

 "La série Maison close de Canal+ bien loin de la réalité historique", sur Rue89.com

 "Sortir de la prostitution : de la volonté et du souffle".

 "Sortir de la prostitution : deux femmes témoignent".

 "Il est urgent de débattre de la traite des êtres humains !"

 "Iana Matei, une vie consacrée aux victimes d’exploitation sexuelle".

Mis en ligne sur Sisyphe, le 22 novembre 2010

Catherine Goldmann


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