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Le pouvoir des femmes en politique : utopie ou réalité ?
Compte-rendu du livre Les femmes en politique changent-elles le monde ? (Pascale Navarro)

12 janvier 2011

par Élaine Audet

Dans un court essai, Les femmes en politique changent-elles le monde ?, Pascale Navarro ouvre à nouveau le débat sur la place des femmes en politique en adoptant un point de vue féministe clairement affirmé. Une des principales qualités de ce livre est de rendre plus accessible un sujet complexe qui, à ce jour, a été traité au Québec presque exclusivement par des universitaires.



Navarro nous fait suivre son propre questionnement en s’appuyant tant sur le témoignage d’une vingtaine de femmes politiques du Québec et du Canada que sur les nombreux ouvrages consultés pour éclairer sa réflexion et la nôtre. Elle fait d’abord un historique des premiers contacts des femmes avec la politique afin de comprendre les raisons de leur engagement, au Québec et ailleurs. Elle analyse ensuite la nouvelle image maternelle en politique dont elle examine les enjeux stratégiques en se demandant s’ils sont différents de ceux des hommes. Elle réfléchit également sur la place qu’occupe le « féminin » en politique.

À la question centrale de l’existence ou non d’un pouvoir féminin, Pascale Navarro répond qu’il n’existe pas en tant que tel, mais qu’un grand nombre de femmes en politique peuvent changer lois, règlements et milieux de vie, parce qu’elles transmettent, dans l’exercice de leur pouvoir, les valeurs du groupe auquel elles appartiennent et parviennent à les faire défendre par leurs collègues et l’ensemble de la société, comme dans les cas bien connus des garderies et des congés parentaux.

"Est-ce que ce ne sont pas les idées, les valeurs et les engagements qui font la différence et non le nombre plus ou moins grand des femmes en politique ?", se demande l’auteure. Tout en refusant une vision essentialiste basée sur la différence biologique des sexes, elle reconnaît néanmoins la socialisation différente des garçons et des filles qui entraîne des rôles sociaux également sexués et conditionne depuis des siècles les valeurs et les comportements différenciés des hommes et des femmes. Ainsi, les qualités dites féminines, « l’empathie, la sollicitude, la tendance à préserver la vie » proviennent des rôles spécifiques imposés aux femmes durant des siècles de domination masculine et d’exclusion sociale et font également leur spécificité et leur force. Et on pourrait ajouter que, face à l’état actuel du monde sous la gouverne masculine, le pouvoir politique aurait beaucoup à gagner d’un influx de valeurs généralement attribuées aux femmes.

Navarro montre d’entrée de jeu que les femmes partent de loin, en rappelant l’histoire de l’affaire "Personnes", en 1920, quand le gouvernement canadien avait refusé aux femmes de siéger à la Chambre des communes ou au Sénat parce qu’elles n’étaient pas reconnues légalement comme des personnes (!). Ce n’est qu’en 1929 qu’elles ont obtenu ce droit grâce à leur volonté de se donner une représentation politique, appuyées en cela par les luttes similaires menées par des femmes dans les autres pays, notamment en Angleterre. Et elle montre l’importance des candidatures récentes à la présidence, tant celles de Ségolène Royal et Hillary Clinton que de Pauline Marois au Québec, de l’exercice du pouvoir de plusieurs femmes, notamment Michèle Bachelet au Chili, qui s’affirment à la fois comme mères et femmes politiques et font écho aux revendications des femmes dont elles ont obtenu un puissant appui lors de leurs campagnes.

L’importance du scrutin proportionnel et de la parité

Pascale Navarro reconnaît aussi l’importance de l’action inlassable effectuée au Québec par le Collectif Féminisme et Démocratie en faveur du scrutin proportionnel et de la parité. Elle nous apprend que le CFD a formé quelque 600 femmes pour les préparer à toutes les étapes de l’exercice du pouvoir et que la majorité d’entre elles est passée à l’action. Elle souligne aussi les interventions énergiques du Conseil du statut de la femme et de sa présidente pour augmenter la représentativité des femmes dans toutes les instances.

Le chapitre sur le scrutin proportionnel et la parité, qui ont permis aux femmes de plusieurs pays d’accéder au pouvoir politique, constitue sans doute le moment le plus fort de l’essai. Alors que la majorité des politiciennes interrogées pour le livre voient négativement la parité ou les quotas comme des mesures qui discréditent leurs compétences personnelles, Navarro rappelle à juste titre qu’Obama et Hillary Clinton n’auraient pas eu accès au plus haut niveau politique si de nombreuses campagnes de discrimination positive (affirmative action) n’avaient pas eu lieu, dans les années 70, pour permettre aux femmes et aux Noirs d’occuper la place qui leur revient au sein de toutes les institutions.

L’essayiste rappelle qu’en France, lors du débat passionné sur la parité à la fin des années 80, des féministes paritaristes, comme Françoise Gaspard, veulent que l’universel, jusqu’alors conjugué presque exclusivement au masculin, inclue les femmes. La majorité du mouvement féministe, divisé sur la question, pense qu’il ne saurait y avoir une véritable démocratie sans que les deux sexes qui composent l’humanité n’y soient également représentés. Comme le soulignent plusieurs recherches citées par Navarro, "il n’y a pas de meilleur baromètre pour juger de la qualité d’une démocratie que d’analyser le statut des femmes qui en font partie". Faut-il le répéter, si les deux sexes sont différents, cette différence n’implique aucunement la supériorité et la domination nécessaires d’un sexe sur l’autre.

La différence sexuelle traverse toutes les catégories

Il y aurait lieu de rappeler ici, à l’instar de Gisèle Halimi, qu’on ne peut assimiler la moitié de l’humanité à une catégorie, car "la division sexuelle est une donnée fondamentale de la perpétuation du genre humain". Les deux sexes sont présents dans toutes les catégories : ethnies, classe sociales, métiers, générations, etc. et, en démocratie, devraient donc bénéficier d’une représentation politique égale.

Avec une curiosité fertile, une plume vive et sans préjugés, Pascale Navarro arrive à faire voir les enjeux d’une représentation politique démocratique et paritaire des femmes. L’étude des faits et des témoignages l’amène à répondre positivement à la question posée par le titre du livre. Car il est clair que le nombre grandissant de femmes dans les instances décisionnelles et leur solidarité sur les enjeux qui les concernent leur permettent de changer le monde en faisant apparaître enfin sa face cachée depuis tant de siècles et d’avoir une vision globale de la réalité.

Pascale Navarro, Les femmes en politique changent-elles le monde ?, Montréal, Boréal, 2010.

Mis en ligne dans Sisyphe, le 3 janvier 2011

Élaine Audet


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