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Les enjeux de la laïcité selon la revue Spirale. Un dossier à consanguinité élevée !

14 janvier 2011

par Daniel Baril, ex-président du Mouvement laïque québécois

Daniel Baril est ex-président du Mouvement laïque québécois et corédacteur de la Déclaration pour un Québec laïque et pluraliste.



Le 11 novembre dernier, la revue Spirale procédait au lancement de son numéro d’automne, lequel inclut un dossier de 30 pages sur « les enjeux de la laïcité ». Lors d’un débat public organisé à cette occasion, j’ai qualifié ce dossier de « pensée unique ». J’étais loin de me douter que les éléments sur lesquels reposait mon affirmation n’étaient que la pointe de l’iceberg.

S’il est indéniable qu’une revue, fusse-t-elle consacrée aux lettres et à la culture, a le droit d’avoir une position éditoriale sur une question d’actualité fortement teintée idéologiquement, cela ne la dispense pas d’annoncer correctement ses couleurs.

Le lecteur qui n’a pas suivi de près les débats sur la laïcité ni tout lu ce qui s’y rattache ne verra que du feu dans le dossier de Spirale. Dans son éditorial, le directeur de la revue, Patrick Poirier, mentionne qu’il existe deux positions face aux enjeux de la laïcité qui sont exprimées dans deux textes collectifs : le Manifeste pour un Québec pluraliste et la Déclaration pour un Québec laïque et pluraliste (1) Poirier titre mal ce second document en le nommant Manifeste pour un Québec laïque et pluraliste. Pour la suite du texte, j’emploierai les termes Manifeste et Déclaration pour désigner l’un et l’autre des documents.

On s’attend donc à y trouver une présentation équilibrée des deux orientations. Or, Poirier, qui est lui-même un signataire du Manifeste, a invité Georges Leroux (Philosophie, UQAM) et Jocelyn Maclure (Philosophie, Laval) pour constituer le dossier. Ces deux universitaires lui semblent être « les mieux placés pour mettre en lumière » les enjeux de la laïcité à travers les publications récentes sur le sujet. Mais il se trouve que Leroux et Maclure sont parmi les 12 personnes à l’origine du Manifeste !

On se serait attendu à une équipe davantage pluraliste et il est tout à fait pensable que des représentants des deux courants eussent été en mesure de travailler ensemble pour monter un dossier objectif et honnête. Même la revue militante À Bâbord, dont le titre ne peut être plus explicite, a tenu à présenter les deux approches de façon équilibrée dans son dossier de janvier 2010, Le Québec en quête de laïcité.

En tant qu’universitaires, Leroux et Maclure auraient eux aussi pu faire preuve d’une certaine impartialité. Contre toute attente, ils ont plutôt choisi de n’inviter que des personnes de leur obédience. Des 15 collaborateurs, 12 sont en effet des signataires du Manifeste et cinq font partie du groupe initiateur de ce Manifeste. Les trois non signataires (Sharam Nahidi, Marc Djaballah, Jean Baubérot), partagent entièrement l’orientation dite de « laïcité ouverte » qui est au coeur du Manifeste. Bien que dans leur texte de présentation Leroux et Maclure soulignent qu’ils ont « une position critique face à l’application d’un républicanisme rigide » (!), ils affirment néanmoins avoir « fait l’effort de mettre en lumière la diversité des points de vue ». Mais des 13 ouvrages présentés, seulement trois peuvent être rattachés à la laïcité républicaine telle que proposée par la Déclaration et ces trois livres font l’objet de critiques négatives.

La chaine de production de ce dossier est donc la suivante : un signataire du Manifeste confie la commande aux rédacteurs du Manifeste lesquels invitent des cosignataires du Manifeste à commenter des ouvrages de même orientation que le Manifeste !

Une équipe tricotée serrée

Bien que le cartouche de la revue mentionne les universités d’attache des collaborateurs (pour qui veut se donner la peine de le chercher avec détermination), il aurait été souhaitable que chacun précise qui il est et quel lien il entretient avec le dossier de la laïcité. Qu’a-t-on voulu cacher par une telle omission ? Pour compléter le dossier de Spirale, voici donc quelques informations manquantes. Les éléments qui suivent ne sauraient être considérés comme des attaques ou des reproches ; ils ne visent qu’à établir, à partir de faits connus ou de nature publique, les liens d’étroite promiscuité entre les universitaires qui interviennent sur ce thème et à préciser leur position à l’égard des accommodements religieux. Cette mise au point s’avère d’autant plus nécessaire qu’un deuxième dossier, qui traitera de la laïcité sous l’angle des arts et des lettres, est en préparation à Spirale.

Outre ce qui a été dit précédemment sur la « communauté d’esprit » entre les collaborateurs et le Manifeste, quatre d’entre eux ont fait partie du Comité conseil de la commission Bouchard-Taylor et sont des concepteurs de la « laïcité ouverte » : Leroux, Maclure, Milot et Lefebvre.
Micheline Milot (Sociologie, UQAM) fait partie du groupe initiateur du Manifeste. Elle a été membre influente de la commission Proulx dont l’une des principales recommandations était l’instauration de cours Éthique et culture religieuse (ECR). Milot est également codirectrice du Centre d’études ethniques des universités montréalaises (CÉETUM) (2).

L’autre codirectrice est Marie McAndrew (UdeM) qui a été membre du Comité consultatif sur l’intégration et l’accommodement raisonnable en milieu scolaire (2006) et qui est signataire du Manifeste. Ce comité était présidé par Fleury Bergman (conseiller en relations interculturelles) qui a aussi été membre du Comité conseil de la commission Bouchard-Taylor. Dans ses recommandations, le comité Bergman est demeuré à la remorque de la pratique existante en matière d’accommodement religieux à l’école.
Dany Rondeau, qui présente un ouvrage de Milot sur la laïcité, est philosophe éthicienne à l’UQAR et personne-ressource pour l’implantation du cours ECR, un avatar de la « laïcité ouverte ».

Solange Lefebvre est professeure à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal (UdeM). Elle est notamment intervenue dans les deux procès sur les prières dans les assemblées municipales (Laval et Saguenay) comme témoin expert pour ces villes qui désirent maintenir cette pratique.

Mireille Estivalèzes a joint les rangs de la Faculté de théologie à l’invitation de Lefebvre. Elle a fait son doctorat sous la direction de Jean Baubérot à l’École pratique des hautes études (EPHE) à Paris et son postdoctorat au CÉETUM. Elle a signé des articles sur la diversité religieuse dans l’enseignement avec Milot au Québec et avec Baubérot en France.

Carmen Chouinard est doctorante et auxiliaire d’enseignement à la Faculté de théologie (UdeM). Convertie à l’Islam, elle est porte-parole du Centre islamique libanais, s’identifie au « féminisme islamique » et porte le hidjab.

Sharam Nahidi a étudié en communication islamique à l’Université Imam Sadegh en Iran et fait son doctorat à la Faculté de théologie (UdeM) où il est chargé de cours. Ses deux collaborations dans le dossier de Spirale sont signées conjointement avec Chouinard.

Jean Baubérot (EPHE, Paris) a été membre de la commission Stasi qui a recommandé l’interdiction des signes religieux à l’école. Mais Baubérot a été dissident de cette recommandation. Il propose le modèle québécois de « laïcité ouverte » pour la France.

David Koussens est doctorant de sociologie sous la codirection de Milot et Baubérot. Il a notamment commenté l’incorporation du voile islamique au costume de l’école Marguerite-De Lajemmerais comme étant un accommode-ment favorisant l’intégration.

François Boucher est doctorant en philosophie à l’Université Queen’s et a fait sa maitrise à l’Université Laval sous la direction de Maclure.

Dominique Leydet, qui présente l’ouvrage de Maclure et Charles Taylor, est directrice du Département de philosophie de l’UQAM et fait partie des initiateurs du Manifeste. On la retrouve également comme cosignataire d’articles avec Daniel Weinstock (Philosophie UdeM).

Laury Bacro est doctorante de philosophie à l’UdeM sous la direction de Weinstock. Bien que ce dernier ne soit pas au nombre des collaborateurs du dossier de Spirale, c’est à lui que le collectif a fait appel pour défendre ce dossier lors du lancement du 11 novembre en remplacement de Maclure. Il a fait partie du Comité conseil de la commission Bouchard-Taylor et est un ex-étudiant de Taylor. Il est aussi l’un des initiateurs du Manifeste et a eu des propos flatteurs à l’endroit du rapport Boyd qui proposait l’établissement de tribunaux de la charia en Ontario.

André Poupart est professeur à la retraite de la Faculté de droit de l’UdeM. En octobre dernier, il a fait une violente sortie dans les journaux contre un collectif qui réclamait une charte de la laïcité et a qualifié cette demande « d’intégrisme laïque » et « d’athéisme étatique » digne d’un « régime autoritaire et répressif » du type de ceux de l’Arabie Saoudite et de la Corée du Nord.

La découverte la plus croustillante que ce dossier nous a permis de faire est celle de Marc Djaballah. Professeur de philosophie avec Leydet et Leroux à l’UQAM, Djaballah enseigne aussi à la Faculté de théologie évangélique de Montréal affiliée à l’Université Acadia (Wolfville, Nouvelle-Écosse). Les étudiants de cette faculté « doivent avoir confessé Jésus-Christ comme Seigneur et Sauveur » et sont tenus, tout comme les professeurs, de participer aux cérémonies religieuses. Le 1er article de la profession de foi affirme que « les 66 livres des Saintes Écritures sont divinement inspirés, qu’ils sont l’infaillible Parole de Dieu. Ils sont l’autorité finale pour la foi et la vie de chaque jour. » À l’UQAM, Djaballah donne un cours entier sur le livre de Charles Taylor, Secular Age, qu’il présente dans le dossier de Spirale en termes élogieux.

 Lire la suite de cet article en téléchargeant le fichier PDF ci-contre et dans un autre fichier la réponse de Spirale.

Texte de Baril
Réponse de Spirale

Mis en ligne sur Sisyphe, le 5 janvier 2011

Daniel Baril, ex-président du Mouvement laïque québécois

P.S.

Lecture recommandée

« La presse féminine pour adolescentes : une analyse de contenu », par Caroline Caron




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