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Motion contre le kirpan - Le Québec et le multiculturalisme

15 février 2011

par Louise Beaudoin, députée du Parti québécois dans Rosemont

Dans ces pages, vendredi le 11 février, le professeur Denis Saint-Martin, de l’Université de Montréal, affirmait que la décision unanime de l’Assemblée nationale d’interdire le port du kirpan dans ses murs est une « vile stratégie partisane ». À titre d’initiatrice de cette motion, M. Saint-Martin m’accuse de trahir l’héritage social-démocrate de mon parti en m’inspirant des refus du multiculturalisme affichés par les conservateurs britanniques, français et allemands.

J’ai été accusée de beaucoup de choses dans ma vie, mais c’est la première fois qu’on me dit de droite. M. Saint-Martin, qui dirige un Centre d’études sur l’Europe, devrait pourtant savoir que les premières salves portées contre le multiculturalisme l’ont été par des travaillistes. Dès 2007, Tony Blair affirmait dans un discours majeur intitulé « Le devoir d’intégrer » qu’aucune « culture ou religion n’est plus importante que notre devoir de faire partie d’un Royaume-Uni commun ». Avant encore, en 2003, le célèbre sociologue de gauche Alain Touraine était membre de la commission Stasi qui a proposé l’interdiction de signes ostentatoires, y compris le voile, dans les écoles françaises.

Blair, Touraine... je me trouve en bonne compagnie à gauche. D’autant qu’au Québec, pour les Québécois de ma génération, le combat pour la laïcisation de la société a cheminé de concert avec l’émergence du mouvement souverainiste, ce que M. Saint-Martin semble ignorer.

Il a un autre argument pour justifier le titre de son texte « Totale hypocrisie politique ». Il souligne que le kirpan est désormais interdit à l’Assemblée nationale, mais permis dans les écoles. « Devons-nous croire que notre société accorde soudainement plus d’importance à la sécurité de ses politiciens qu’à celle de ses enfants ? » tonne-t-il, content de sa blague.

Je ne croyais pas devoir donner un cours de fédéralisme à M. Saint-Martin, naguère conseiller du premier ministre libéral fédéral Paul Martin. S’il n’en tenait qu’à moi, à mon parti, à l’immense majorité des Québécois et aux juges de la Cour d’appel du Québec, le kirpan serait en effet interdit dans les écoles du Québec.

Mais il n’en tient pas qu’à moi, car depuis 1982 le Canada a imposé au Québec une nouvelle constitution et une nouvelle Charte des droits qu’interprètent des juges de la Cour suprême nommés unilatéralement par Ottawa. Or c’est cette Cour qui force les établissements scolaires du Québec à accepter le kirpan. C’est cette Cour qui fait fi de l’évolution de la société québécoise sur cette question.

Entre autres innovations, M. Saint-Martin essaie de nous faire croire que le mouvement souverainiste serait une des raisons de l’apparition du concept canadien de multiculturalisme. Je le renvoie aux travaux du politicologue canadien Kenneth McRoberts qui a bien démontré que Trudeau a utilisé ce concept pour mieux rejeter celui des « deux nations », qu’il abhorrait. C’est le refus de reconnaître l’existence de cette nation qui l’a conduit à vouloir diluer son existence dans un ensemble plus vaste, avec les effets pervers que reconnaissent maintenant beaucoup de Canadiens anglais, à gauche comme à droite.

M. Saint-Martin use d’un raccourci surprenant pour un européaniste lorsqu’il associe notre refus de signes religieux comme le kirpan au Parlement à un « démon du nationalisme ethnique » qu’il qualifie d’« abject » (les libéraux de Jean Charest, qui ont voté pour la motion, apprécieront). Or, la Cour européenne de justice a établi que les pays membres de l’Union européenne, et la Turquie, pouvaient s’appuyer sur les principes de laïcité et d’égalité des sexes pour : interdire tout signe religieux dans la fonction publique et dans les services publics, y compris l’éducation, interdire même le hidjab (le voile), perçu comme contraire à ces valeurs. Les juges européens sont-ils d’abjects promoteurs du nationalisme ethnique ? Non, j’oubliais, ce genre d’insultes ne vaut que pour les souverainistes québécois.

Enfin, parlons du jugement du Tribunal des droits de la personne rendu le jour même de la publication de la diatribe de M. St-Martin. Ce jugement interdit la récitation de la prière et la présence du crucifix dans la salle du conseil municipal de la ville de Saguenay. Pourquoi alors la Cour Suprême permet-elle dans nos écoles et nos institutions publiques le port de signes religieux ostentatoires, kirpan, voile, etc.?

Le gouvernement Charest porte une large part de responsabilité dans cette politique incohérente de deux poids deux mesures. Car il soutient une laïcité à deux vitesses, à la carte, à la pièce et refuse, malgré la recommandation, il y a déjà trois ans, de la commission Bouchard-Taylor en ce sens, de déposer un livre vert sur la question. Quant à nous, nous tiendrons ce débat, le moment venu, à partir d’un projet de Charte de la laïcité qui, une fois adoptée par l’Assemblée nationale, deviendra un texte de référence pour les juges et qui surtout nous donnera des règles communes nous permettant de mieux vivre ensemble.

Source : Le Devoir, Libre opinion, le 15 février 2011.

 Louise Beaudoin est éputée de Rosemont et porte-parole de l’opposition officielle en matière de Relations internationales et de Francophonie, de Laïcité et de Condition féminine.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 15 février 2011

Louise Beaudoin, députée du Parti québécois dans Rosemont


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