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Italie - Mauvais jour pour le sultan Berlusconi : des millions de femmes réclament sa démission

16 février 2011

par Jasmina Tešanovic, écrivaine et réalisatrice

Un pan de la société, qui avait fourni à Silvio Berlusconi un soutien important, semble en avoir assez de lui. Les femmes. Des centaines de milliers d’entre elles ont marché dans des villes partout en Italie, dimanche, de Trieste au Nord jusqu’à Naples dans le Sud, pour se plaindre que ses cabrioles ont blessé leur dignité et renforcé des stéréotypes de genre dépassés. Une fois de plus, l’Internet a joué un rôle clé dans cette mobilisation, les manifestations ayant été organisées à partir d’une pétition en ligne qui a fait sortir les femmes dans plus de 200 villes, et aussi dans des communautés à l’étranger, des USA à la Grèce.*



« Sinon maintenant, quand ? » C’était le slogan d’une manifestation nationale de femmes italiennes contre Berlusconi et, pour le dire sans mettre de gants, contre sa porno-démocratie. La manif avait aussi d’autres slogans : Démissionne ! Basta ! Je n’abandonne pas ! ADESSO ? MAINTENANT !

Une foule voyante dans 280 villes d’Italie et 50 villes à l’étranger, des millions de personnes, des femmes en majorité, mais aussi des hommes et des enfants. Les manifestations ont augmenté depuis que Berlusconi a été impliqué dans le scandale du "vertige sexuel" avec des mineures, des prostituées, des maquereaux et des orgies.

La semaine dernière, à Milan, lors d’un grand rassemblement, des intellectuels éminents dans la vie publique italienne se sont jetés à leur tour dans la campagne : le distingué professeur et écrivain Umberto Eco, Roberto Saviano, la star de la campagne anti-mafia, les juges de la Cour constitutionnelle, des dirigeants syndicaux et beaucoup d’autres. Mais comme un des orateurs, le chef d’orchestre Pollini, l’a fait remarquer : Berlusconi ne se retirera jamais.

Berlusconi n’a pas abandonné la vie publique. Au contraire, il a activé sa contre-campagne, attaquant les juges de Milan qui ont introduit la dernière des nombreuses affaires légales contre lui. Il a même menacé de porter son cas au Parlement européen et de poursuivre la nation d’Italie. Il a organisé des rassemblements en sa faveur, affirmant que son innocent intérêt altruiste pour les jeunes filles avait été cruellement mal interprété. Il a aussi accusé les enquêteurs d’orchestrer un coup tendancieux à la mode communiste contre lui à titre de chef de gouvernement.

Mais sa chance pourrait tourner bientôt, après 16 longues années de monopole médiatique et de domination politique. Même le journal catholique, Avvenire, a sorti un long éditorial affirmant que les femmes catholiques décentes devraient se trouver sur les places publiques le 13 février. Il est rare que l’Église insiste pour que des femmes aillent dans la rue pour défendre leur dignité. Ensuite, il y a la dignité de l’État à prendre en considération parce que le désordre ridicule de la vie publique italienne est devenu matière de préoccupation internationale.

Un commentaire du quotidien britannique The Guardian* désignait à juste titre l’Union européenne comme garante de normes démocratiques élevées dans la communauté des États. Pourtant, alors qu’elle prêche une bonne gouvernance à des pays candidats comme la Turquie et la Serbie, elle ignore le déclin calamiteux de la démocratie en Italie, un État fondateur de l’UE. L’Italie est devenue la risée européenne, avec des harems, des dictateurs, des vieux hommes avec des filles mineures.

Un jeune homme de 18 ans a demandé publiquement : « Comment suis-je supposé trouver une petite amie de mon âge, depuis que Berlusconi, le bon papa de la nation, les achète toutes ? Je n’ai pas son âge, ni son argent, ni son pouvoir, je n’ai même pas un emploi ou une éducation décente. Le financement des universités et des hôpitaux est réduit, le nombre d’emplois décline et les alliés parlementaires de Berlusconi sont en train de déchirer le pays en morceaux en adoptant des lois régionales. Le gouvernement de Berlusconi a encore toujours la majorité au Parlement. Le président de l’Italie a dû lui rappeler que le pays n’était pas sa propriété privée.

Le président a aussi prétendu que les institutions démocratiques italiennes étaient saines, mais il est clair que Berlusconi en doute et il en va de même pour des millions d’Italiens aujourd’hui sur la place publique, partout en Italie. À Turin, capitale de l’Italie lors de son unification, il y a longtemps, un manifestant a dit : « Nous sommes la tête du bateau qui s’étend jusqu’en Afrique. »

La manif aujourd’hui était exempte de symboles idéologiques ou de partis. Elle rassemblait une foule voyante avec des parapluies et des cris : DEMISSIONNE. C’était un événement très réussi, rassembleur et grandiose. La foule a sorti du placard ce qui restait de décence italienne, après le long règne d’un petit dictateur macho, qui a réalisé dans sa vie publique les pires fantasmes de la culture macho italienne. Comme l’exprimait une manifestante : « Après tout, quelques hommes préfèrent une compagne à un harem. »

Aujourd’hui, des femmes de tous les âges et de toutes opinions politiques étaient sur les places et dans les rues. J’ai vu des femmes italiennes, des femmes étrangères, des femmes clandestines, des femmes ayant des besoins particuliers, des femmes mendiantes et des clochardes, des petites filles, des bébés, même des nonnes !...et j’ai vu des hommes, des garçons, des vieillards… Le spectacle consistait à ouvrir les parapluies, crier : DEMISSIONNE, et répandre des fils de laine colorés dans la foule pour unir ces différentes personnes. La musique jouait : Patti Smith, Fabrizio de Andre. Des bloggeuses demandaient une interdiction sur Internet de l’utilisation de corps nus. Les femmes ont une valeur, pas un prix ! Les hommes se sont moqués du langage patriarcal sur des bannières et des vêtements de femmes. Pornocratie !

Aujourd’hui, le 13 février est « la Journée internationale de la maîtresse. » Demain, c’est la St Valentin, le jour de l’amour. Quelles que soient les conséquences de cette manifestation pour l’avenir de l’Italie et le règne de Berlusconi, il est certain que personne ne doute de la culpabilité de Berlusconi. On méprise son utilisation et ses abus des jeunes filles et de l’argent. Maintenant, la grande question est : « L’indignation publique sera-t-elle prise en compte ? » Le vieux sultan quittera son trône un jour, sinon maintenant, quand ?

Des femmes ont renversé des régimes éloignés, riches et corrompus en Tunisie et en Égypte. Alors pourquoi pas aussi en Italie ? Sinon ici, où ?

* The Guardian, 13 février 2011.

 Jasmina Tešanovi est une écrivaine, une réalisatrice de films et une penseuse vagabonde. Son blog est  Version anglaise : Jasmina Tešanovic, dimanche, 13 Feb 13, 2011 
 Traduction : Édith Rubinstein, de la liste Femmes en noir à laquelle nous vous invitons fortement à vous inscrire.

  • Voir aussi
  • "Plus de 95.000 femmes signent une pétition anti-Berlusconi"
  • La campagne sur le site Internet http://www.libertaegiustizia.it/
  • La pétition (en italien, anglais, allemand et français) estici.
  • La vidéo en anglais des manifestations du 13 février 2011 : « Les femmes d’Italie montrent aux politiciens comment humilier Berlusconi »
  • Euronews, le 13 février 2011.

    Mis en ligne sur Sisyphe, le 14 février 2011

    Jasmina Tešanovic, écrivaine et réalisatrice

    P.S.

     Lire aussi : "Berlusconi et les femmes : ce sont les hommes qui sont salis", par Sabrina Ambrogi, Rue89.




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