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La laïcité, facteur d’intégration dans la société québécoise

11 avril 2011

par Leila Lesbet

Allocution prononcée lors d’un panel sur la laïcité au Cégep Montmorency, en mars 2011. L’auteure est une Québécoise née en Algérie.



Ce qui suit est un témoignage de mon cheminement personnel où deux existences cohabitent et illustrent ma vie.

La première, durant laquelle j’ai été contrainte de vivre sous des lois religieuses servant de bouclier à la lâcheté des hommes qui ont fait de moi une mineure à vie.

La deuxième, depuis mon arrivée au Québec, où par la force des lois civiques et laïques, je suis citoyenne à part entière. Cette égalité des sexes, il faut le rappeler, s’est fait grâce au long combat des femmes québécoises, soutenues par toute la composante humaine de la société, contre l’obscurantisme.

Je vais tenter de mettre en exergue les principes selon lesquels je considère que la laïcité est un facteur d’intégration dans la société québécoise. Je commencerai par quelques causes de mon exil ou de mon départ de mon pays d’origine.

Des tromperies théocratiques et idéologiques

Dans mon pays de naissance, je devais continuellement prouver que je méritais ma place, contrairement aux hommes, qui par la révélation divine, sont supérieurs aux femmes. En Algérie, pour soumettre la femme algérienne et toute la société au diktat du pouvoir en place, celui-ci s’appuie sur un triptyque dont les trois fondements sont indissociables : le code de la famille basé sur la Chari’a, l’école fondamentale et la construction des mosquées.

En juin 1984, le sort de toutes les femmes algériennes venait d’être scellé. L’Assemblée nationale au service du parti inique (ainsi nous le qualifiions) et non du peuple venait de nous assener le coup de grâce en promulguant « le code de la famille ». Ce texte juridique consacre la suprématie de l’homme sur la femme, son assujettissement au divorce unilatéral, son exclusion et celle de ses enfants, du domicile familial suite au divorce sans aucun recours possible. Depuis, de dérisoires abrogations furent apportées, mais point d’égalité.

Afin de concrétiser ce sinistre projet, le pouvoir unique et inique mit en place un système éducatif au service du système politique. Il introduisit l’enseignement de l’éducation islamique en remplacement de l’éducation civique et religieuse. Tout le contenu du programme était en conformité avec le code de la famille.
Et pour accélérer cette mise à mort des droits des femmes, la construction de 11000 mosquées a permis aux islamistes de tous bords de tenir cinq réunions quotidiennes correspondant aux cinq prières quotidiennes et un congrès hebdomadaire, correspondant au grand rassemblement du vendredi. Alors que les démocrates ont vu leur champ d’activité rétrécir comme une peau de chagrin.

C’est par un funeste jour de décembre 1991 qu’un chef islamiste nous somma de changer nos pratiques alimentaires et vestimentaires. Un choix généreux fut proposé à celles et à ceux qui refuserait leur diktat : la valise ou le cercueil, nous a-t-on dit. Je fais remarquer qu’à chaque fois qu’un choix nous est offert, il est associé à l’agonie et à la mort. Pour toutes les femmes algériennes, la lutte, même si elle a débuté avant l’indépendance de l’Algérie, signifie faire face à la politique de retour aux fourneaux.

Jugées aptes à partager la mort et le danger au même titre que les Algériens, les Algériennes, à l’indépendance, furent frappées d’incapacité soudaine et d’inaptitude congénitale à participer à la gouvernance de ce pays qui est le leur et pour lequel elles ont tout sacrifié. L’indépendance, même si ce mot est conjugué au féminin, bénéficiera surtout aux Algériens. Aujourd’hui, elle bénéficie au groupe qui inventa ce système néfaste pour un pays dont la beauté n’a d’égale que sa richesse.

Je suis enfin citoyenne

Je dois mon existence, en tant que femme bénéficiant de tous les droits civiques et juridiques au même titre que mon mari, au Québec où j’habite depuis 2001. Depuis mon arrivée, j’ai pu apprécier les droits des femmes québécoises, résultat d’une longue lutte contre l’oppression de l’Église. Je sais qu’aucune religion n’accorde l’égalité à la femme. Les strapontins semblent avoir été faits pour nous.

Je devais reprendre mon nom de jeune fille et j’ai le droit de le garder. Ma place, je la devais à moi et à moi seule. Mon sexe n’est plus un handicap. La violence à l’égard des femmes est punie par la loi, et une femme peut être première ministre et diriger le pays. Alors, j’ai recommencé à aller à la plage, au cinéma, à m’attabler dans un café sans réfléchir s’il convient aux femmes. Je pouvais me rendre aux différents festivals sans me faire agresser physiquement et verbalement, sans que personne ne me dise de me couvrir.

J’appris avec bonheur que j’ai le droit à une protection à tout moment en cas d’agression dans la rue. En fait, j’ai, tout simplement, le droit à une vie normale au même titre que n’importe quel citoyen, sans que mon sexe ne me porte préjudice.

C’est pour cela que j’ai choisi le Québec comme pays d’adoption. Sur le plan juridique, toutes les discriminations liées à mon sexe n’ont pas droit de cité. J’ai opté pour un pays qui convient à mes aspirations de femme libre de toutes pressions sociales. J’ai l’impression d’avoir concrétisé mon combat pour le droit des femmes. Combat qui resta vain en Algérie.

Ce n’est ni le manque de volonté des femmes algériennes, encore moins la justesse de notre engagement qui ont empêché son aboutissement, mais bel et bien un système des plus vils où la femme algérienne sert de monnaie d’échange entre un pouvoir obnubilé par sa pérennité et des islamistes obsédés par l’émancipation des femmes. Émancipation qu’ils vivaient, qu’ils vivent encore comme une menace à leur obsession maladive à l’égard des femmes, à leur prédominance, à leur propre existence. Leur existence jouit de l’oppression qu’ils exercent sur le corps des femmes.

L’Histoire se répète : un déjà vu et un déjà vécu

Depuis un peu plus de trois ans, j’ai l’impression d’un déjà vu, d’un déjà vécu. Cela commence toujours par des demandes anodines, généralement des espaces de prières, des aménagements qui ne devraient déranger personne. C’est ainsi qu’avance l’islamisme doucement, mais sûrement.

Dans ce sens, le Québec est un pays très généreux : la Charte des droits et des libertés complétée par les accommodements déraisonnables devient un tremplin pour permettre aux extrémistes de tous bords d’exercer leur oppression sur les femmes en toute légitimité. Il faut toujours avoir à l’esprit que l’idéologie islamiste n’a pas de frontière. Les islamistes vivent dans des pays sans frontière ou plutôt la seule frontière qu’ils dressent est celle de leur idéologie puisée dans des versets qui n’ont plus droit de cité.

Durant la guerre contre les civiles en Algérie, à aucun moment nous n’avons entendu les voix des islamistes installés en Occident s’élever pour condamner la barbarie à l’égard des femmes, des enfants, des adolescents et des démocrates dont le seul dessein, le seul rêve est de vivre libres loin de leur domination fasciste. Certains de ces tristes individus sont même devenus une référence pour certains journalistes et chaînes de télévision en Occident. Pourtant, ces vedettes du petit écran sont au premier rang quand il s’agit de défendre le port du voile et de la burqa là où le problème se pose. En France, en Belgique et ailleurs dans le monde, des adolescentes, des femmes ont subi les pires sévices avant d’être tuées par leur mari ou par les islamistes de leurs quartiers parce qu’elles ont osé vivre en marge de leur diktat ou, pour certaines, osé demander le divorce. Aucun islamiste se réclamant et défendant cette mouvance ou organisation n’a condamné ces actes odieux d’un autre temps, MAIS dès qu’il s’agit de défendre le port du voile ou du nikab, ces muets retrouvent la parole.

Le voile est politique

Pourquoi je dis cela ? Ne fermons pas les yeux, ce qui arrive en Europe est à nos portes. Soyons vigilants.

Pourquoi je dis cela ? C’est pour dénoncer l’islamisme qui non seulement n’a rien à voir avec l’islam, mais qui porte préjudice aux musulmans où qu’ils soient.

Pourquoi je dis cela ? Car si c’est cela l’islam, alors mon père est mort sans savoir qu’il n’a jamais été musulman.

Pourquoi je dis cela ? Parce qu’aujourd’hui, au Québec - chez nous - des femmes et des hommes combattant pour l’égalité des sexes et la séparation du religieux et du politique, ce qui est à leur honneur, ont subitement tourné le dos à leurs idéaux, sous la fallacieuse idée de venir en aide à ces femmes qui ont choisi le port du voile par conviction, soi-disant religieuse, alors qu’il n’est que l’étendard de leurs convictions politiques.

Pour certaines femmes, le voile marque l’adhésion à l’islamisme, et pour celles qui y sont forcées, c’est leur étoile jaune. Cela s’appelle de la discrimination basée sur le sexe. Le port du voile est politique. C’est l’assujettissement des femmes par l’islam politique pour les culpabiliser des idées malsaines qui traversent l’esprit des islamistes à la vue de leur chevelure et de leur corps.

Quand des femmes et des hommes vivant confortablement dans les sociétés sécularisées depuis des lustres nous demandent, au nom du multiculturalisme et de l’interculturalisme ainsi que de la Charte des droits et des libertés, d’accepter une telle offense, j’appelle cela de la collaboration avec le fascisme religieux qui s’exerce sur le corps des femmes.

Le Québec doit opter résolument pour la laïcité

Je dirai à ces adeptes du relativisme culturel que leur empathie à l’égard de tels comportements est la plus haute forme de mépris : “Ce qui est bien pour moi ne saurait l’être pour toi. » Plus grave encore, pour une femme comme moi, issue de ces pays et ayant subi l’inquisition islamiste, cette attitude est une violence de plus plus envers toutes les femmes qui, dans ces pays, résistent et se battent chaque jour que Dieu fait pour changer les lois islamiques qui les étouffent, quand elles ne les tuent pas.

Alors, à toutes ces bien-pensantes, mais fort ignorantes, du sort réservé aux femmes dans les pays appliquant la charia, je dis ou plutôt je demande si elles ont déjà vécu sous des lois islamiques.

À toutes ces Québécoises confortablement ancrées dans l’égalité, je demande : « Avez-vous déjà vécu dans les pays appliquant ces lois ségrégationnistes et sexistes, sachant qu’il n’y a pas le 911 à composer pour solliciter une aide ou un secours en cas de danger ? »

Je ne parle pas de passer des vacances ou de faire un reportage dans ces pays, mais d’y avoir vécu quelques années. Je reste persuadée que leur opinion changerait si elles venaient à y vivre continuellement.

Les militantes islamistes doivent reconnaître qu’il est agréable de vivre dans une société sécularisée, loin de toute contrainte et pression sociale.

Il est bon de vivre dans une société où marcher dans la rue n’est pas un acte de bravoure, où se rendre au travail est un acte naturel et où aller au cinéma, au restaurant, n’est pas assimilé à un acte de libertinage ou de luxure.

Ce qu’il m’est difficile de comprendre, c’est que des individus ayant fui ces contrées pour les mêmes raisons que moi défendent la thèse du libre choix du port du voile sans évoquer son aspect politique, sans évoquer la sourate qui demande aux femmes de ne pas exhiber leurs atours.

Pour les musulmans libéraux, il s’agit des parties intimes, pour les islamistes, c’est se couvrir les cheveux et pour les intégristes et les wahhabites, c’est se couvrir aussi le visage et les mains.

Voilà ce que la lecture et l’interprétation d’un texte ont fait de la vie des femmes musulmanes ou de culture musulmane. Ce sont toutes ces raisons, toutes ces dérives, toutes ces manipulations qui m’incitent à avertir et à inviter mes compatriotes, Québécoises et Québécois, à consolider nos acquis par l’adoption d’une charte de la laïcité comme l’un des fondements de toute société moderne.
Ce qui m’amène à dire ceci : Je ne veux pas rentrer en guerre avec ou contre Dieu, il ne m’a rien fait. De ce que j’ai appris auparavant et encore plus aujourd’hui, je sais que les religions sont un facteur de division à cause des interprétations que les hommes en font.

Pour cela, il nous suffit de regarder ce qui se passe autour de nous. C’est là encore une raison supplémentaire d’aller sans détour vers la laïcité afin d’éviter les dérives qui mettent en exergue nos différences.

Chacun considère que La Seule Vérité est celle qui découle de sa religion. Je ne veux en choisir aucune et même si je fais ce choix, il doit être et doit rester personnel et intime. Il ne doit en aucun cas dépasser la sphère privée.
L’espace public qui nous est commun à toutes et à tous doit être pacifique et paisible, un espace où toute personne qui l’occupe ne doit pas être agressée par l’attitude ou l’accoutrement religieux d’autrui. Il doit être et doit rester accessible à tous, sans signe religieux distinctif et ostentatoire.

Je terminerai en disant que jamais je ne serai en accord, en collusion ou encore en communion avec celles et ceux qui se servent du corps de la femme comme d’un outil ou d’un instrument de guerre afin d’assouvir leur soif du pouvoir.

Ma conclusion est un appel et un rappel que j’adresse à toute la jeunesse québécoise de souche ou d’adoption. La liberté dont elle jouit n’est pas un cadeau du Père Noël, mais la consécration d’une lutte, menée par des femmes surtout, mais des hommes également, pour des lois égalitaires et pour l’élimination de toute discrimination.

Enfin, je continuerai de militer pour que la laïcité soit partagée par toutes celles et tous ceux qui y croient ici au Québec et ailleurs dans le monde.

Lire des commentaires dans le Courrier de Laval.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 5 avril 2011

Leila Lesbet


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