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Invasion et meurtre prémédité en Irak
Les prétextes et les mobiles

26 mars 2003

par Élaine Audet et Micheline Carrier

Imaginez un moment la situation suivante. Des gouvernements étrangers estiment que les États-Unis exercent une forme de dictature planétaire en contrôlant toutes les institutions internationales et en se plaçant au-dessus du droit, n’hésitant pas à fomenter des coups d’État dans des pays réticents à se soumettre à leur volonté.



Ces gouvernements décident, un jour, de "libérer" le monde de la dictature américaine. Ils donnent à George W. Bush, alors président des États-Unis, l’ultimatum suivant : respectez la souveraineté des autres pays, les lois territoriales, le droit international et les décisions des organismes internationaux, comme l’ONU, renoncez à imposer votre domination militaire et économique à tous les autres pays, sans quoi, nous vous attaquerons dans votre pays même.

Les États-Unis se rebiffent : pas question de renoncer à leur hégémonie, de partager le pouvoir et les richesses de la planète avec l’ensemble des populations du monde. Leurs intérêts d’abord et exclusivement leurs intérêts. Chacun pour soi, que les autres s’arrangent et que le plus fort gagne. N’est-ce pas la règle du nouvel ordre mondial ?

Alors, les gouvernements étrangers donnent quarante-huit heures à Bush pour s’exiler avec ses proches, après quoi ils bombarderont la Maison-Blanche, les édifices de la défense, les institutions financières, les résidences personnelles du président et de sa famille, les installations nucléaires, militaires et aéroportuaires, les sites où on soupçonne les États-Unis de développer des armes secrètes contraires aux traités internationaux. Au besoin, les gouvernements étrangers enverront des kamikazes faire le travail. Mais ils promettent d’épargner la population civile. Ce sera une guerre "propre", pour "libérer" la planète de la tyrannie américaine.

Évidemment, le président des États-Unis ne cédera pas à ces menaces. Il restera dans son pays et prendre les mesures pour le défendre. Un capitaine ne quitte pas le bateau parce que ses adversaires le lui demandent. Alors, pourquoi voudrait-on que Saddam Hussein agisse autrement ? Parce qu’il n’a pas respecté une douzaine de résolutions de l’ONU ni le droit international ?

Les États-Unis sont-ils au-dessus des lois ?

Mais alors, appliquons la même règle pour tous : les États-Unis ont également agi à maintes reprises à l’encontre du droit international qu’ils imposent aux autres et hors du cadre de l’ONU. L’invasion de l’Irak en est le plus récent exemple. Depuis 1967, Israël n’a jamais obtempéré à deux douzaines de résolutions de l’ONU, et quand le Conseil de sécurité a voulu blâmer et sanctionner cet État, les États-Unis ont toujours opposé leur veto. Y aurait-il un droit pour les États-Unis et Israël et un droit pour le reste du monde ?

Considérons le premier prétexte que les États-Unis ont invoqué pour attaquer l’Irak : ce pays possèderait des armes de destruction massive et des missiles non conformes aux normes décrétées par le Conseil de sécurité des Nations Unies et Saddam Hussein préparerait des attaques terroristes. On n’en a pas fait la preuve, mais qu’à cela ne tienne, le gouvernement américain s’en dit convaincu et cela suffit pour agresser et envahir un État souverain.

Toutefois, on ne mentionne pas souvent que les États-Unis possèdent le plus grand arsenal d’armes nucléaires, bactériologiques, chimiques, et qu’ils n’ont pas à subir les inspections auxquelles ils se donnent le droit de soumettre les autres pays. Pour qui se prennent donc les États-Unis en se permettant d’envahir illégalement des pays souverains et d’exiger partout la suspension de la liberté de penser, d’agir et de créer, comme l’avait fait dans les années cinquante le sinistre McCarthy ? Combien d’artistes américains continueront à avoir le courage de protester contre cette guerre inique alors que l’administration, les accusant de trahison, recommande de ne plus les engager ?

Depuis que l’Irak détient des prisonniers américains, Bush exige qu’on les traite avec humanité. La même humanité dont bénéficient les prisonniers de Guantanamo depuis le 11 septembre 2001 ? On sait qu’après avoir été torturés, quelque 400 prisonniers sont encore détenus sans pouvoir communiquer avec leurs proches ou un-e avocat-e à l’encontre de toutes les chartes des droits humains. Pourtant, les caméras américaines ne se sont pas privées de montrer les prisonniers irakiens couchés au sol et fouillés sans ménagement. Mais les médias américains, sur le conseil du gouvernement, censurent les images de prisonniers britanniques et américains : il ne faut pas que la population soit informée que cette guerre fait des victimes de leur côté. Il est risible d’entendre le Secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, se plaindre que l’Irak ne respecte pas la Convention de Genève relative aux prisonniers de guerre. Qui et que respectent donc les États-Unis qui se proclament au-dessus lois ?

Les États-Unis ont refusé de ratifier la plupart des traités internationaux dont le traité créant la Cour pénale internationale (CPI), afin de soustraire leurs ressortissants à toute poursuite pour crime de guerre. Peut-être parce que le président Bush lui-même serait passible de poursuites en tant que criminel de guerre. Lors de la grande marche nationale à Washington, le 18 février dernier, l’ex-procureur général Ramsey Clark, responsable de la destitution de Nixon, a affirmé devant le demi-million de manifestant-es qu’il était possible de s’appuyer sur la Constitution américaine pour réclamer la destitution du président George W. Bush et de ses principaux acolytes pour crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Aucun crime, a-t-il déclaré, ne constitue une menace plus grave pour la Constitution des États-Unis, de la Charte des Nations-Unies, du Droit ou de l’avenir de l’humanité.

Pour du pétrole également

Il n’est plus à démontrer que les États-Unis convoitent le contrôle des ressources pétrolières de l’Irak. Stratégiquement, il est primordial pour les États-Unis, dont le déclin économique est décrit par de nombreux observateurs, de s’emparer du pétrole irakien, principale source d’approvisionnement de l’Union européenne et du Japon afin d’éliminer ainsi ses principaux concurrents dans la domination militaro-économique planétaire en les rendant dépendants d’eux pour s’approvisionner en pétrole. Afin de masquer leur propre faillite économique, ils n’hésitent pas, avec un total cynisme, à détruire le plus complètement possible l’Irak, en se chargeant eux-mêmes de la reconstruction afin de faire fonctionner à nouveau leur économie en chute libre depuis les scandales d’Enron & cies. Pour le néolibéralisme américain, la mort comme la vie est une marchandise lucrative !

Toute la politique extérieure des États-Unis obéit d’ailleurs à leurs seuls intérêts économiques dont le pétrole est le moteur. Prenons le protocole de Kyoto qui vise à limiter les émissions de gaz à effet de serre. En refusant de le signer, les États-Unis peuvent continuer à privilégier l’exploitation du pétrole et à polluer la planète plutôt que de rechercher des énergies alternatives. Les seuls accords qu’ils signent sont ceux dits de " libre échange " qui leur permettent de s’emparer " légalement " de la richesse des autres. Telle est la démocratie du double standard qu’ils proposent au monde.

Un autre AMI ?

Par ailleurs, les États-Unis et leurs partenaires pourraient profiter de l’invasion de l’Irak pour faire adopter un autre de ces traités comme le défunt AMI (Accord multilatéral sur les investissements). Un courriel reçu d’une observatrice attentive et consciente met en garde contre l’adhésion à l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) que tentent actuellement de faire entériner l’Organisation mondiale du commerce (OMC) - hautement contrôlée par les États-Unis - pendant que les gouvernements et les populations concernées ont les yeux tournés vers la guerre en Irak.

L’AGCS a pour objet la libéralisation totale de 160 secteurs d’activités, dont la santé et l’éducation. Ce qui signifie que des domaines aussi cruciaux que le distribution d’eau, les chemins de fer, la santé, les services sociaux, l’éducation, la culture, les sports, les loisirs, les services financier, la poste, l’énergie, l’environnement, les télécommunications ou la cueillette des ordures, notamment, passeront sous la réglementation de l’AGCS. Les gouvernements devront fournir à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), avant le 31 mars, la liste des services qu’ils sont prêts à céder à la concurrence internationale.

Inutile de dire qu’après cette date, il sera impossible de faire marche arrière. C’est ainsi que le nouvel ordre mondial du plus fort se sert des accords de libre-échange pour miner la souveraineté des pays participants et pour s’emparer de leurs ressources au non de la concurrence internationale. Il s’agit tout simplement de brader le bien commun de l’humanité au profit des industries multinationales. Maintenant que nous savons de quels crimes sont capables les États prédateurs, il est impératif de nous montrer vigilant-es et de ne rien laisser passer.

Sources

Ramsey Clark : http://www.votetoimpeach.org/
Marc Nexon, "La course aux gisements", Le Point, 21 mars 2003
http://www.lepoint.fr/monde/document.html?did=127986
Emmanuel Todd, Après l’empire - Essai sur la décomposition du système américain, Paris, Gallimard, 2002.
Francine Vigneault ,"Connaissez-vous l’AGCS ? Il risque de changer votre vie", dans Netfemmes
"Le Monde n’est pas une marchandise"
Le site de l’OMC

Mis en ligne sur Sisyphe le 24 mars 2003

Élaine Audet et Micheline Carrier


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