source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=3870 -



La "marche des salopes" ("slutwalk") n’est pas la libération sexuelle

13 mai 2011

par Gail Dines et Wendy J. Murphy, The Guardian

Les femmes doivent prendre la rue pour condamner la violence, non pas pour le droit d’être appelées « salopes ».



Il n’y a pas si longtemps, le fait d’être qualifiée de « salope » équivalait à un acte de décès social. Aucun garçon « gentil » ne vous amènerait rencontrer ses parents et aucune fille « bien » n’accepterait d’être votre amie. En même temps, refuser de se soumettre à une relation sexuelle suffisait à vous faire traiter de « prude » ou de « frigide ». Bref, il n’y avait pas de solution. Les choses se sont légèrement améliorées en ce que les jeunes femmes insistent plus sur leur droit à l’autonomie sexuelle, mais les femmes actives sexuellement demeurent vulnérables à de sévères jugements sociaux, même alors que les mass-médias célèbrent et encouragent de tels comportements. Et des recherches démontrent que l’étiquette de « salope » conserve encore des répercussions à long terme, surtout pour les plus jeunes filles.

Malgré cela, un groupe d’activistes a organisé samedi dernier à Boston une manifestation intitulée Slutwalk (« La marche des salopes »). Elle faisait suite à un événement similaire tenu à Toronto plus tôt ce mois-ci, où des femmes s’étaient rassemblées en réaction à un commentaire d’un représentant du service de police local à l’effet que « les femmes devraient éviter de s’habiller en salopes si elles ne veulent pas être victimisées ».

Il est certain qu’un tel commentaire des forces de l’ordre est extrêmement offensant, parce qu’il suggère que certaines victimes de viol sont responsables des actes criminels commis par leurs assaillants. Plutôt que d’admonester les femmes sur leur tenue, les policiers devraient avertir les agresseurs potentiels d’ « éviter d’agresser les femmes s’ils ne veulent pas se retrouver en prison ».

Le fait que plus de 2 000 personnes se sont déplacées pour défiler au centre-ville de Boston suggère que les femmes sont bel et bien avides d’autonomie sexuelle. Mais un autre facteur était à l’œuvre : bon nombre des bannières déployées s’insurgeaient contre l’omniprésence de la violence sexuelle dans la vie des femmes. Des placards rédigés par les protestataires montraient que les femmes en avaient assez d’être blâmées pour la violence masculine et en avaient ras le bol de l’échec de la société à tenir les hommes responsables de leurs actes. Il est clair que le thème de la Slutwalk a touché un point sensible : des manifestations similaires sont en préparation un peu partout dans le monde, dont Montréal à la fin mai et Londres en juin.

Les organisatrices soutiennent que la célébration du mot « slut » (« salope ») et une promotion générale de cette attitude aideront les femmes à acquérir une entière autonomie sexuelle. Mais leur projet central de « se réapproprier » le mot « salope » ne s’attaque en rien au vrai problème. Ce mot est si profondément ancré dans les stéréotypes de vierge et de putain, qui ont si longtemps défini la sexualité des femmes, qu’il est devenu complètement irrécupérable. Il est si saturé de l’idéologie voulant que l’énergie sexuelle des femmes mérite d’être punie que tenter d’en modifier le sens est un gaspillage d’énergies féministes précieuses.

Les militantes feraient mieux de révéler la myriade de façons dont le droit et la culture endossent des mythes au sujet de tous les genres de femmes, qu’elles soient sexuellement actives ou chastes. Ces idées reçues facilitent la violence sexuelle en sapant la crédibilité des femmes lorsqu’elles signalent des agressions sexuelles. Que nous blâmions les victimes en les traitant de « salopes » (qui auraient donc « couru après » leur viol) ou que nous les traitions de « frigides » (qui voudraient donc secrètement être prises de force), le problème est que nous les blâmons pour leur victimisation quoi qu’elles fassent. Encourager les femmes à s’affirmer comme encore plus « salopes » ne changera rien à cette détestable réalité.

À titre d’enseignantes qui parcourons le pays pour parler de violence sexuelle, de pornographie et de féminisme, nous entendons des étudiantes nous confier l’intensité des pressions qu’elles subissent pour être sexuellement disponibles « sur demande ». Ces étudiantes ont grandi dans une culture où des images hypersexualisées de jeunes femmes sont très répandues et où la pornographie dure est la principale forme d’éducation sexuelle des jeunes hommes. On leur a sans cesse dit et répété que pour être valorisées dans cette culture, elles doivent avoir l’allure et le comportement d’une salope, tout en évitant d’être étiquetée comme telle puisque ce label a de lourdes conséquences, y compris celle d’être blâmées pour leurs problèmes de viol, de dépression, d’anxiété, de troubles alimentaires et d’automutilation.

Les femmes ont besoin de trouver des façons de créer leur sexualité propre et authentique, en dehors d’expressions définies par des hommes comme celle de « salope ». Le récent phénomène du « TubeCrush », où des jeunes femmes photographient dans le métro de Londres des hommes qu’elles trouvent attirants et affichent ces photos sur un site Web, illustrent la facilité avec laquelle des femmes peuvent mimer des normes sociales dominantes d’objectification sexuelle plutôt que d’explorer des comportements nouveaux et créatifs. Bien que ces photos soient innocentes et généralement exemptes de sous-entendus sexuels, nous trouvons significatif qu’on puisse facilement imaginer le langage sexuellement agressif qui accompagnerait un site équivalent consacré à des photos prises secrètement de femmes.

Même si les organisatrices de la Slutwalk imaginent sans doute qu’adopter fièrement le label de « salope » soit un mode d’empowerment des femmes, elles contribuent en fait à rendre la vie plus difficile pour les filles qui tentent de naviguer sur le terrain épineux de l’adolescence.

Les femmes doivent prendre la rue – mais pas pour le droit d’être appelée « salope ». Elles devraient lutter pour être libérées des mythes imposés socialement au sujet de leur sexualité et qui encouragent la violence de genre. Nos filles – et nos fils – ont le droit de vivre dans un monde qui célèbre également la liberté sexuelle des femmes et leur intégrité physique.

 Version originale : "Slutwalk is not sexual liberation" , par Gail Dines et Wendy J Murphy, The Guardian, le 8 mai 2011.

Traduction : Martin Dufresne

Mis en ligne sur Sisyphe, le 10 mai 2011

Gail Dines et Wendy J. Murphy, The Guardian


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=3870 -