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Oui, les mots peuvent faire mal
Aussi longtemps que les "Slutwalks" définiront la prostitution comme un travail, nous ne voulons rien avoir affaire avec ces défilés

30 mai 2011

par Rebecca Mott, survivante et écrivaine

Je suis allée lire ce qui s’écrivait à propos de différentes Slutwalks (Marches des salopes) – et je remarque que ce qu’elles répètent sans arrêt à propos du sens de leur campagne, c’est qu’aucune femme ne devrait être violée, qu’elle baise « pour le plaisir ou pour le travail ».

Ça me fait mal. C’est la principale raison pour laquelle un grand nombre de femmes ayant quitté la prostitution ne veulent en aucune façon être associées à ces Slutwalks. Elles sont tellement blessées et en colère de voir la prostitution une nouvelle fois qualifiée de « travail » qu’elles en retombent dans le silence.

Je me sens malade à en mourir de cette idée que d’être dans le commerce du sexe peut être considéré comme un travail – et oui, je me répète une fois de plus – mais tant que toutes les femmes et les hommes qui prétendent lutter contre la violence sexuelle n’auront pas cessé d’appeler cela « le travail du sexe », je ne trouverai pas le repos.

Ce n’est pas du travail, c’est de l’exploitation, de l’esclavage sexuel, des violations des droits fondamentaux de la personne, cela devrait être qualifié de torture.

Évidemment, comme dans toutes les formes d’exploitation, et en particulier l’exploitation qui a été normalisée, la classe des personnes prostituées a trouvé des façons de s’adapter à un monde dont elles croient avoir peu de chances de sortir.

C’est normal ; et une façon de survivre pour la plupart des prostituées consiste à s’adapter à leur rôle et à avoir l’air d’être satisfaites de leur sort.

Mais loin de signifier que cela fonctionne, cela s’appelle plutôt survivre par les seuls moyens dont on dispose.

La prostituée apprend à sourire, alors qu’elle est constamment violée. La prostituée apprend à parler la langue de l’autonomisation, ce qui permet aux prostitueurs de se prétendre ses victimes – parce qu’un prostitueur heureux est plus payant pour le commerce du sexe.

J’ai eu la naïveté de croire que le but de ces Slutwalks était de confronter le droit des hommes à commettre des viols. Quelle sottise de ma part : elles s’opposent plutôt au viol des non-prostituées, mais dans le cas des prostituées, une fois que vous avez défini leur condition comme du travail, il devient sacrément difficile de parler de viol.

Cela ne devient un viol que si la prostituée appelle cela un viol mais surtout, cela n’est du viol que si un observateur extérieur décide que cela ne fait pas partie du rôle social de la prostituée.

Mais demandez-vous comment une femme prostituée pourrait appeler cela du viol.

Enfermées dans une situation de torture qui semble ne jamais devoir finir, la plupart des personnes en feront ce qu’elle n’est pas. Les êtres humains s’adaptent à l’enfer par le déni.

Les soldats envoyés sur le Front de l’Ouest pendant la Première guerre mondiale parlaient de leur vie quotidienne en ignorant la boue, les rats, les bombes, les corps mutilés et le fait qu’ils étaient très susceptibles d’y rester.

La plupart des personnes emprisonnées dans les camps de concentration se sont adaptées en se refermant et en ne vivant que de minute en minute, survivant en s’interdisant de se soucier de l’avenir, en refusant de reconnaître que leur survie n’était jamais entre leurs mains.

Les personnes prostituées qui vivent avec des viols par milliers, dont on fait des orifices à torturer et à humilier, vivent, elles, avec le bruit de fond de la disparition d’autres prostituées et en sachant que si elles sont assassinées, personne ne s’en souciera.

Les personnes prostituées sont censées avoir choisi ce mode de vie et ne le voir que comme un sale boulot, mais, bon dieu, quelqu’un doit bien faire.

C’est drôle de voir que ce « quelqu’un » n’est presque jamais la personne qui ramène la prostitution à un simple travail, drôle que tant de gens qui disent que la prostitution n’est que du « travail du sexe » ne voudraient pas se retrouver dans une pièce avec des prostitueurs qui attendent en file pour les baiser.

Au lieu de cela, ils élaborent un fantasme « soft-core » de ce qu’est le « travail du sexe ».

Dans ce fantasme, les prostitueurs sont respectueux et conviennent clairement de ce qui va se passer et de ce qui est interdit. Ces beaux messieurs ne feraient jamais de mal à la prostituée, à moins bien sûr que ces actes soient planifiés.

Dans ce fantasme, il y a surtout du sexe « normal », rien de sadique, pas de prostitueur qui oublie que la prostituée est un être humain.

Oh, et s’il arrivait que les choses tournent mal, dans ce fantasme, les gérants auront des mesures de sécurité à l’intention de la prostituée et ils banniront le prostitueur violent.

Pour l’immense majorité des prostituées, ce fantasme est une blague de mauvais goût.

Nous savons que les prostitueurs nous achètent pour nous posséder entièrement et, en réalité, lorsqu’un d’entre eux décide de se comporter en porc sadique, la prostituée individuelle et les prostituées en tant que classe n’y peuvent rien d’autre que d’espérer lui survivre.

La prostitution est essentiellement affaire de profit, de plaire aux prostitueurs pour qu’ils reviennent souvent, elle n’a rien à voir avec le bien-être des « marchandises ».

Il est tout à fait naïf de croire que le commerce du sexe fera un jour de la sécurité des personnes prostituées une priorité – les soi-disant précautions de sécurité ne sont là que pour créer un vernis d’« employeur » attentionné, tout en amassant d’énormes profits par la destruction des droits humains des prostituées.

Voilà pourquoi moi et énormément de femmes sorties de la prostitution ne pouvons appuyer les Slutwalks, car nous savons que ce n’était pas du travail que nous faisions, mais de la torture, le vol de nos droits humains et un esclavage sexuel.

On ne nous a pas autorisées à définir nos viols comme des viols, mais simplement comme notre rôle, quelque chose que nous aurions choisi. Donc, comment pourrions-nous signaler un viol, si nous avons perdu les mots pour dire le viol ?

Donnez-nous les mots pour dire la torture ou classifiez la prostitution comme un viol, comme une guerre, et peut-être pourrons-nous alors lentement trouver les mots pour signaler notre destruction.

Jusqu’à ce que les Slutwalks cessent de la définir comme un travail, nous ne voulons rien avoir affaire avec ces défilés.

 Texte original : « Words Will Hurt You », le 26 mai 2011

Traduction : Martin Dufresne et Michèle Briand

Mis en ligne sur Sisyphe, le 27 mai 2011

Rebecca Mott, survivante et écrivaine


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