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Votre voisin est un prostitueur - Une nouvelle recherche

2 septembre 2011

par Leslie Bennetts, Newsweek

Les hommes qui achètent du sexe sont vos voisins et vos collègues. Une nouvelle étude révèle la manière dont la demande croissante pour la pornographie et la prostitution affectent les relations interpersonnelles et mettent en danger les femmes et les jeunes filles.

Des hommes de tous âges, races, religions et origines le font. Des hommes riches le font, et des hommes pauvres le font, sous des formes si variées et si omniprésentes qu’ils peuvent y avoir recours à tout moment.

Et pourtant l’on sait étonnamment peu de choses sur la pratique séculaire de l’achat du sexe, considéré de longue date comme incontournable. Personne ne sait même quelle proportion des hommes le font ; les estimations varient entre 16 et 80 pour cent. « Quatre-vingt-dix-neuf pour cent de la recherche dans ce domaine a été effectuée auprès des prostituées, et 1 pour cent auprès des clients », explique Melissa Farley, directrice de Prostitution Research and Education, une organisation à but non lucratif mise sur pied par une coalition de centres de femmes de San Francisco.

Psychologue clinique, Farley se penche depuis longtemps sur la prostitution, la traite et la violence sexuelle, mais elle-même n’était pas certaine de la représentativité de ses résultats : « Nous nous posions toujours la question : l’ensemble de nos conclusions est-il seulement vrai pour les acheteurs de sexe, ou l’est-il pour les hommes en général ? »

Dans une nouvelle étude dont la revue Newsweek a obtenu la primeur - « Comparaison des acheteurs de sexe aux hommes qui n’en achètent pas » - Farley fournit quelques réponses surprenantes. Bien que les deux groupes partagent de nombreuses attitudes au sujet des femmes et du sexe, ils diffèrent de façons marquées comme en témoignent deux citations qui servent de sous-titre du rapport.

Un des répondants de l’étude explique pourquoi il aime acheter des prostituées : « Leur servitude vous permet de vivre un bon moment. » En contrepartie, un autre homme a expliqué pourquoi il n’achetait pas de sexe : « C’est appuyer un système d’avilissement. »

Et pourtant, l’achat de sexe est tellement omniprésent que l’équipe de Farley a eu une difficulté inouïe à localiser des hommes qui ne le font vraiment pas. L’utilisation de la pornographie, des lignes téléphoniques érotiques, de la danse-contact, et d’autres services est devenue si répandue que l’équipe de recherche a dû assouplir sa définition pour arriver à assembler un groupe contrôle de 100 non-acheteurs.

« Nous avons eu énormément de mal à trouver des non-utilisateurs », explique Farley. « Nous avons finalement dû nous rallier à une définition des non-acheteurs de sexe comme étant des hommes qui n’ont pas fréquenté un bar de strip-tease plus de deux fois depuis un an, n’ont pas acheté de danse-contact, n’ont pas utilisé de pornographie plus d’une fois depuis un mois, et qui n’ont pas acheté de sexe par téléphone ou les services d’une travailleuse du sexe, escorte, masseuse érotique, ou prostituée. »

Une foule de spécialistes estiment que l’ère numérique a engendré une multiplication considérable du phénomène de l’exploitation sexuelle ; aujourd’hui, quiconque a l’accès à l’Internet peut facilement prendre se procurer une « passe » par le biais d’annonces en ligne, d’agences d’escortes et d’autres fournisseurs qui desservent à peu près n’importe quelle prédilection sexuelle. La hausse de la demande a conduit à une prolifération vertigineuse de services devenus si banals que beaucoup d’hommes ne voient même pas les massages érotiques, strip clubs, ou danses-contact comme des formes de prostitution. « Plus l’industrie du sexe normalise ces comportements, plus ceux-ci se généralisent », explique Norma Ramos, directrice générale de la Coalition Internationale Contre la Traite des Femmes (CATW).

La banalité des acheteurs de sexe est suggérée par leur appellation traditionnelle aux États-Unis : les « Johns », le plus générique des noms masculins. « Ce sont les flics, les instituteurs – des individus dignes et respectés. C’est Monsieur Tout-le-monde », dit une jeune femme que la traite a amenée à la prostitution dès l’âge de dix ans et qui a demandé à être identifiée comme T.O.M.

Tout aussi typiques sont les répondants de l’étude de Farley, des résidents de la région de Boston dont l’âge variait de 20 à 75 ans, avec une moyenne de 41 ans. La plupart étaient mariés ou en couple, comme la majorité des hommes qui fréquentent des personnes prostituées.

Globalement, les attitudes et les habitudes des acheteurs de sexe les révèlent comme étant des hommes qui déshumanisent les femmes et les réduisent à un produit de consommation, les considèrent avec colère et mépris, n’ont aucune empathie pour leur souffrance, et savourent leur propre capacité à infliger douleur et dégradation.

Farley a constaté que les acheteurs de sexe étaient plus susceptibles que les non-acheteurs de considérer le sexe comme entièrement détaché des relations interpersonnelles, et qu’ils appréciaient l’absence d’implication émotionnelle avec les prostituées, qu’ils voyaient comme de simples produits à consommer. « La prostitution traite les femmes comme des objets et non ... comme des êtres humains », a déclaré un des acheteurs interrogés pour l’étude.

Dans leurs interviews, les acheteurs de sexe ont souvent eu des propos agressifs à l’endroit des femmes, et ont été presque huit fois plus nombreux que les non-acheteurs à dire qu’ils violeraient une femme s’ils pouvaient le faire impunément. Un homme à qui on demandait pourquoi il achetait le sexe a répondu qu’il aimait « tabasser les femmes ». Les acheteurs de sexe interviewés dans l’étude avaient commis plus de crimes de toutes sortes que les non-acheteurs, et chacun des crimes associés à la violence contre les femmes avait déjà été commis par les prostitueurs interviewés.

La prostitution a toujours été une activité risquée pour les femmes ; l’âge moyen de décès des femmes prostituées est de 34 ans, et l’American Journal of Epidemiology a signalé que celles-ci souffrent d’un « taux d’homicide au travail » 51 fois supérieur à celui de la prochaine activité la plus dangereuse, celle de caissier dans un magasin d’alcool.

Les conclusions de Farley suggèrent que l’usage de la prostitution et la pornographie peut avoir pour effet de rendre les hommes plus agressifs. Les acheteurs de sexe de l’étude consommaient beaucoup plus de pornographie que les non-acheteurs, et les trois quarts d’entre eux ont dit avoir tiré leur éducation sexuelle de la pornographie, en comparaison d’un peu plus de la moitié des non-acheteurs. « Les acheteurs de sexe ont déclaré qu’avec le temps et en raison de leur recours à la prostitution et à la pornographie, leurs préférences sexuelles ont changé et ils ont cherché plus d’activités sexuelles sadomasochistes et anales », signale l’étude.

« La prostitution peut vous amener à penser que des choses que vous avez peut-être faites avec une prostituée sont de celles auxquelles vous devriez vous attendre dans une relation amoureuse mutuelle », a déclaré un prostitueur interviewé. De telles croyances inspirent de la colère envers les autres femmes si elles ne se conforment pas à ces attentes, altérant l’aptitude des hommes à entretenir des relations avec des femmes non prostituées.

Les acheteurs de sexe préfèrent souvent la licence dont ils disposent avec les prostituées. « Vous êtes le patron, le patron total », dit un autre prostitueur. « Il nous arrive même à nous, les gars normaux, de vouloir commander quelque chose et le voir exécuté sans poser de questions. Pas de ‘Je n’en ai pas envie’. Pas de ‘Je suis fatiguée’. Une obéissance indiscutable. Ça, c’est du pouvoir. Le pouvoir, c’est comme une drogue. »

Pour beaucoup de prostitueurs, l’argent qu’ils versent leur donne la permission d’avilir et d’agresser les femmes sans entraves. « On vous permet de traiter une pute comme une pute », a dit un prostitueur. « Vous pouvez trouver une pute correspondant à n’importe quel type de besoin – que ce soit la gifler, l’étrangler, ou pour du sexe plus agressif que ce que votre copine accepte de faire. »

Bien que certains acheteurs de sexe interviewés voient la prostitution comme consensuelle, d’autres répondants reconnaissent que des facteurs économiques et émotionnels plus complexes influençaient le « choix » de se prostituer. « Vous pouvez voir que les circonstances de la vie l’ont en quelque sorte forcée à cela », a déclaré un des non-acheteurs interrogés dans l’étude. « C’est comme quelqu’un qui saute d’un immeuble en flammes, on peut dire qu’ils ont fait le choix de sauter, mais on peut également dire qu’ils n’avaient pas le choix. »

Le récit de T.O.M. en est un bon exemple. Son père a été incarcéré alors qu’elle avait deux ans, et elle n’en avait que quatre la première fois où son corps a été échangé pour de la drogue par sa mère, une toxicomane. Ayant grandi dans des familles d’accueil, elle a été molestée dans chacune d’elles. Quand elle avait 10 ans, un proxénète de 31 ans lui a promis de prendre soin d’elle. « Il a d’abord été mon sauveur – à l’époque, je volais de la nourriture pour survivre. Il m’a dit : ‘Je vais être ta mère, ton père, ton copain, mais tu dois faire cela pour moi.’ Puis, il m’a vendue. »

Au cours des cinq années suivantes, jusqu’à ce qu’il soit incarcéré, son proxénète l’a soumise à la traite dans tout l’Ouest des États-Unis. « Je ressemblais vraiment à une enfant durant les trois premières années, ce qui rendait l’opération plus rentable pour lui », explique T.O.M. qui, à 21 ans, demeure toute petite avec une ossature fine. Dans l’étude de Farley, une chose dont convenaient les prostitueurs et les non-acheteurs était la facilité d’accès à ces enfants : près de 100 pour cent des hommes interviewés ont dit que des mineurs étaient pratiquement toujours en vente à Boston.

Les enfants victimes de traite ont souvent des histoires semblables à celle de T.O.M. La recherche indique que la plupart des prostituées ont vécu des agressions sexuelles dans l’enfance et qu’elles entrent généralement dans la prostitution entre 12 et 14 ans. La majorité d’entre elles souffrent de dépendances aux drogues ou de problèmes mentaux, et un tiers ont été menacées de mort par des proxénètes, qui ont souvent recours à la violence pour s’assurer de leur soumission.

Mais les acheteurs de sexe dans l’étude de Farley ne tenaient pas compte de cette coercition et montraient peu d’empathie pour les expériences des prostituées ou leur poids accumulé. Les chercheurs et les fournisseurs de services identifient constamment des niveaux élevés de stress post-traumatique, de dépression, d’idéation suicidaire et autres problèmes psychologiques chez les prostituées. « Que la prostitution ait lieu dans une ruelle ou sur des draps de satin, qu’elle soit légale ou illégale, tous les genres de prostitution causent un stress émotionnel extrême aux femmes en cause », explique Farley.

Et pourtant, les prostitueurs préfèrent voir les prostituées comme aimant le sexe et appréciant leurs clients. « Les acheteurs de sexe se trompaient lourdement dans leurs estimations des sentiments des femmes », signale Farley. « La réalité c’est qu’en bout de ligne, les femmes prostituées ne jouissent pas de ces rapports sexuels, et que plus chacune est longtemps dans la prostitution, moins elle aime le sexe, même dans sa vie réelle, parce qu’elle doit se débrancher pour procéder à des actes sexuels avec 10 étrangers par jour, et qu’elle cesse de pouvoir se rallumer. On appelle cette situation de la dissociation somatique ; c’est aussi ce qui arrive aux victimes d’inceste et aux gens qui subissent de la torture. »

Farley est une des principales promotrices de la position dite « abolitionniste » selon laquelle la prostitution comporte un préjudice inhérent et devrait être éradiquée, et ses conclusions sont susceptibles d’enflammer une question déjà controversée. « La prostitution contemporaine est la version contemporaine de l’esclavage », affirme l’ex-ambassadrice Swanee Hunt, directrice fondatrice du programme Women and Public Policy à la Kennedy School of Government de l’université Harvard et cofondatrice du Hunt Alternatives Fund, un des bailleurs de fonds de l’étude de Melissa Farley.

Mais d’autres féministes défendent la pornographie en invoquant le Premier Amendement de la Constitution américaine ou une attitude « sexe-positive », et elles appuient la liberté pour les femmes de « choisir » la prostitution. Tracy Quan, qui est devenue prostituée alors qu’elle était en fugue à 14 ans, affirme que de nombreuses femmes le font par manque de meilleures occasions économiques. « Quand j’avais 16 ans, ce n’est pas comme s’il y avait existé beaucoup d’emplois bien rémunérés pour moi », explique Quan, auteure du livre Diary of a Manhattan Call Girl et porte-parole d’un groupe de défense des droits des travailleuses du sexe.

« Ma vision de l’industrie du sexe est que si nous traitions (la prostitution) comme un travail et que nous traitions certains de ses dangers, il serait moins dangereux », déclare Melissa Ditmore, auteure et consultante en recherche pour le Sex Workers Project de l’Urban Justice Center, à New-York.

Et pourtant, même Quan admet avoir eu un client qui l’a ligotée et qui lui a fait si peur qu’elle pensait qu’il allait la tuer. En ajoutant que de tels hommes vivent souvent une escalade de leur violence au fil du temps, elle commence à pleurer ; il y a un long silence pendant lequel elle s’efforce de retrouver la maîtrise de soi. « Je me suis toujours demandé s’il avait été jusqu’à tuer quelqu’un d’autre », dit-elle enfin.

En réponse à de tels dangers, un mouvement grandissant d’opposition à la traite cible désormais l’exploitation sexuelle, tant au pays qu’à l’étranger. « Avant cette époque, on nous servait des discours comme Happy Hooker et Pretty Woman, tout le pays était gavé de mensonges au sujet de la prostitution, et la traite des personnes était invisible », explique Dorchen Leidholdt, cofondateur de la CATW. « Mais on assiste aujourd’hui à une reconnaissance croissante de l’omniprésence du problème, que c’est de l’esclavage, et que nous devons faire quelque chose à ce sujet. »

Personne ne sait vraiment combien de femmes et d’enfants sont soumises à la traite à des fins sexuelles aux États-Unis, souvent par le biais de la force, de la tromperie ou de la coercition ; l’ampleur du problème est âprement débattue, mais beaucoup pensent qu’il est en pleine croissance. Une vaste gamme d’organisations travaillent aujourd’hui à contrer la traite en formant des coalitions qui souhaitent réformer des politiques et transformer des attitudes dans les appareils de justice pénale et d’assistance sociale. « Je trouve que la réflexion a connu une évolution étonnante et que le mouvement croît de jour en jour », dit Norma Ramos de la CATW.

Ces efforts ont conduit à l’adoption de lois d’application plus sévère et d’un recours croissant à des « John Schools », qui offrent aux prostitueurs dont c’est la première arrestation des programmes éducatifs et des services de counselling comme solution de rechange à une sentence. Leur efficacité est cependant discutée ; l’étude de Farley a révélé que les prostitueurs eux-mêmes considéraient une peine de prison comme un moyen de dissuasion de la récidive beaucoup plus puissant ; le plus fort de tous les facteurs dissuasifs était la menace d’être enregistré comme délinquant sexuel.

Les estimations suggèrent que « pour chaque prostitueur arrêté pour avoir tenté d’acheter du sexe correspond jusqu’à 50 arrestations de femmes en prostitution », signale Farley.

Mais l’on remet également en question ce traditionnel deux poids deux mesures qui punissait les femmes et pardonnait aux hommes. « Nous reconnaissons maintenant que l’achat de sexe est quelque chose que les hommes vont faire, sans aucune considération véritable pour les victimes », déclare à New-York le commissaire de police Raymond Kelly, dont le service a récemment mis sur pied une unité de lutte contre la traite et a augmenté ses opérations d’arrestation de prostitueurs par des policières banalisées. « C’était considéré comme un crime sans victime. Mais ce n’est assurément pas le cas ; nous nous rendons compte que des jeunes femmes en sont victimes. »

Pendant ses années de prostitution, T.O.M. indique que des policiers l’ont souvent violée et qu’elle a toujours été traitée « comme une criminelle et pas une victime. C’est la seule forme de maltraitance d’enfants où l’enfant est mise derrière les barreaux », déclare celle qui a échappé à la prostitution et travaille maintenant en tant que défenseur des droits des jeunes, en Californie.

Beaucoup de représentants de la loi disent que ces pratiques de longue date évoluent et ils attribuent ces changements aux efforts du mouvement antitraite. « J’ai vu une énorme évolution », dit l’inspecteur Brian Bray, commandant de la Division des Stupéfiants et des Enquêtes spéciales du Service métropolitain de police de Washington. « À mes débuts, je ne comprenais pas vraiment combien de ces jeunes filles étaient victimes de traite. Maintenant, notre mentalité a changé : au lieu de considérer les filles comme des criminelles, nous tentons de rescaper des victimes, de leur fournir les services dont elles ont besoin et obtenir des renseignements afin d’enfermer les auteurs de leur traite. Alors que la plupart de nos arrestations visaient des prostituées, nous arrêtons maintenant plus de prostitueurs que de prostituées. »

Des avancées marquantes survenues à l’étranger influencent également les politiques des États-Unis. En 1999, la Suède a décidé que la prostitution était une forme de violence contre les femmes et a criminalisé l’achat de sexe, mais pas sa vente. Cette approche a considérablement réduit la traite, alors que la légalisation de la prostitution aux Pays-Bas, en Allemagne et dans une bonne partie de l’Australie a conduit à une croissance explosive de la demande qui a généré une augmentation de la traite et d’autres crimes. Le succès de la Suède face au problème a persuadé d’autres pays à emboîter le pas. « Le modèle suédois a été adopté en Corée du Sud, en Norvège et en Islande, et il a été introduit en Israël et au Mexique », explique Norma Ramos.

Malgré la bataille pour (l’arraisonner=ça se dit pour un bateau en mer), la traite des êtres humains est souvent décrite comme l’entreprise criminelle qui connaît la plus forte croissance au monde, et dont l’ampleur n’a d’égale que le trafic de drogue en termes de rentabilité. Comme des milliards de dollars sont en jeu, la campagne menée contre l’industrie de l’exploitation sexuelle a également provoqué une réaction prévisible. L’année dernière, l’entreprise Craigslist a fermé la section « Pour adultes » de son site Web d’annonces classées en réponse à la campagne antitraite menée par Malika Saada Saar, fondatrice du Rebecca Project for Human Rights. La fermeture de ces pages de Craigslist s’est traduite par une hausse de revenus à Backpage.com, le site Web où la publication The Village Voice gère ses propres annonces pour adultes.

Clairement inquiétée par des pressions sociales croissantes, la rédaction du Village Voice s’en est prise le mois dernier à la campagne antitraite, l’accusant d’avoir exagéré l’ampleur du problème. Les estimations les plus courantes, souvent reprises par les grands médias, suggèrent que de 100.000 à 300.000 enfants sont victimes de traite aux États-Unis chaque année. The Village Voice a affirmé que cette statistique n’identifiait que les enfants à risque et que le nombre de celles qui sont réellement victimes de traite ne constitue qu’une fraction de ces chiffres. Mais les calculs du Village Voice ont été rapidement rejetés comme non fiables ; le maire de Seattle et son chef de la police ont souligné que, dans leur seule ville, on estimait à plusieurs centaines le nombre de mineurEs exploitéEs pour le commerce du sexe et ils ont accusé Backpage.com d’agir comme un « accélérant » de la traite sexuelle des mineurEs.

Le Village Voice a également ridiculisé la campagne Real Men Don’t Buy Girls (Les vrais hommes n’achètent pas de filles), la campagne vidéo antitraite lancée plus tôt cette année par Demi Moore et Ashton Kutcher avec une série de messages de service public mettant en vedette Justin Timberlake, Sean Penn, Bradley Cooper et Jamie Foxx. Ces annonces reflètent une reconnaissance croissante que les hommes sont la clé pour résoudre ce problème.

Les acheteurs de sexe sont très majoritairement masculins et ils achètent des hommes aussi bien que des femmes. Sous une forme ou une autre, la question sous-jacente que pose la prostitution demeure la même : les gens devraient-ils avoir le droit d’acheter d’autres êtres humains pour leur gratification sexuelle ? Si des pratiques aussi anciennes doivent être battues en brèche, prostitueurs et non-acheteurs de sexe vont devoir repenser leur complicité, selon Ted Bunch, co-fondateur d’ « A Call to Men » (Un Appel aux Hommes), une organisation panaméricaine qui travaille à mettre fin à la violence exercée contre les femmes et les filles.

« Nous sommes la première génération d’hommes à être tenus responsables pour quelque chose qu’on a toujours toléré chez les hommes, et c’est pourquoi l’on assiste à un tel retour de bâton », explique Bunch. « Notre conditionnement social est de voir les femmes comme des objets, comme des biens – c’est le fondement même de l’exploitation sexuelle commerciale. C’est une industrie multimilliardaire ; elle amasse plus d’argent que la National Football League, la National Basketball Association et la Major League Baseball combinées. »

Affronter ce mastodonte nécessitera la participation des deux sexes. « Le système a été organisé de façon à blâmer des femmes pour la violence que commettent des hommes, et cela a été perçu comme un problème de femmes ; il est donc facile pour les hommes de ne pas s’impliquer. Mais le silence des hommes au sujet de la violence qu’exercent les hommes est autant un problème que la violence elle-même », explique Bunch. « Ce sont les hommes qui créent la demande et ce sont les hommes qui doivent l’éradiquer. »

Version originale : Newsweek, le 18 juillet 2001

Traduction : Martin Dufresne

Tous droits réservés à Leslie Bennetts

Mis en ligne sur Sisyphe, le 31 juillet 2011

Leslie Bennetts, Newsweek


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=3949 -