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Élection en Tunisie - Islam modéré ?

26 octobre 2011

par Serge Truffaut, Le Devoir

Les sondages d’opinion l’annonçaient, le scrutin l’a confirmé : le parti Ennahda, dit islamiste modéré, a doublé toutes les autres formations ayant participé à la première élection démocratique tenue en Tunisie. Même si les résultats n’ont pas encore été « officialisés », on assure que la formation dirigée par Rachid Gannouchi a d’ores et déjà récolté au-delà de 30 % des suffrages, loin devant deux organisations de gauche. Soit un score suffisant pour occuper le poste convoité de principal acteur de l’assemblée constituante appelée à rédiger la loi fondamentale de la Tunisie « nouvelle. »

La victoire d’un parti qui ne fut pas en pointe dans le combat mené contre le régime de Ben Ali a éveillé des craintes, quand elle n’a pas fait grincer des dents des centaines de milliers de laïques qui, faute de réalisme politique, se sont avérés incapables d’élaborer un front commun. Toujours est-il qu’on appréhende désormais l’introduction de principes coraniques bannissant, entre autres choses, l’égalité entre les hommes et les femmes.

Au cours des derniers mois, les adhérents Ennahda ont mis en relief, et à plus d’une reprise, leur inclination pour la conjugaison du religieux avec le politique. Rien ne symbolise mieux ce penchant que la réaction puissante de ces derniers à la diffusion du film Persépolis qui décline la mainmise des ayatollahs sur l’Iran. Commentée aux quatre coins de la planète, la contre-offensive menée par Ennahda contre l’oeuvre de la réalisatrice Marjane Satrapi laisse présager des lendemains rugueux pour bien des Tunisiens à moins d’un sursaut de ceux, très nombreux, qui aux premières heures de la révolution clamaient leur ambition de construire un État de droit garantissant notamment l’égalité entre les sexes.

De toutes les analyses consacrées au pays précurseur du printemps arabe, celle composée par des universitaires de Princeton mérite plus d’une insistance. À la faveur de sondages effectués en mai dernier, ces universitaires ont constaté que 61 % des répondants estimaient que l’enseignement des « vertus » de la charia auprès des garçons et des filles devrait être une des priorités, si ce n’est la priorité du futur ministère de l’Éducation. Ensuite — tenez-vous bien —, près de 60 % d’entre eux jugent que le gouvernement devrait interdire la liberté d’expression, car si tel n’est pas le cas, certains individus pourraient blasphémer l’islam et le prophète. Quoi d’autre ? Mis à part Ennahda, les autres partis sont considérés comme trop socialistes. Ce n’est pas tout.

La montée en puissance des islamistes dits modérés s’explique également par un rejet prononcé pour la laïcité. Pour ce principe qui ne reconnaît aucune religion, mais les défend toutes. Parce qu’il a été conceptualisé et défendu sur l’autre rive de la Méditerranée, les partisans d’Ennahda le considèrent comme un vice occidental. Cela étant, on retiendra que de tous les participants à cette élection, seule la liste indépendante Doustourna avait communiqué un projet de constitution qui récusait l’idée de reconnaître l’islam comme religion d’État. On salue d’autant plus leur courage que le Coran demeure insoluble dans la démocratie.

Le Devoir, le 26 octobre 2011, Actualités internationales.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 26 octobre 2011

Serge Truffaut, Le Devoir


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