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Violence conjugale - « Comment aider Marie ? »

21 novembre 2011

par Martin Dufresne

    Guy Turcotte aurait-il pu obtenir une garde exclusive de ses victimes ?
    Sans l’ombre d’un doute.

SOS Violence conjugale pose la question depuis quelques mois dans une tournée du Québec. Un court métrage tout sauf rassurant, créé à partir d’une vingtaine de cas réels, déclenche des échanges. On parle des signes et patterns propres à des violences psychologiques et physiques qu’infligent encore des centaines de milliers d’hommes au pays.

Innovation de taille : le SOS est lancé aux gens du « réseau » plutôt qu’au grand public, en leur faisant voir la manière dont une femme violentée se voit trop souvent piégée et même trahie par les « protocoles » souvent rigides qui se déploient face à son « cas ». Les maisons d’hébergement locales en rappellent des exemples tragiques récents.

Elles et SOS Violence conjugale constatent en effet qu’outre un manque criant de ressources, les femmes battues se heurtent à de plus en plus d’entraves lorsqu’elles tentent d’échapper à leur agresseur. Entraves qui proviennent trop souvent de certains fonctionnaires censéEs leur venir en aide dans le institutions de la santé, des services sociaux et de la justice.

Double harcèlement

Soupçons sur les qualités parentales des mères (quand on se fie aux dires de l’agresseur), théories-bidon sur une « aliénation parentale »* à laquelle équivaudrait tout déni ou restriction de l’accès de l’ex violent, saisie et placement des enfants prétendument pour les protéger de « Madame », pseudo-thérapies pour Monsieur, insensibilité aux différences culturelles… Cette course à obstacles vient aggraver le harcèlement juridique que vivent les mères face aux pères, habituellement plus riches, moins chargés de tâches domestiques et encore autorisés à faire de la vie de leur ex-famille un enfer, comme l’avait promis Guy Turcotte** à Isabelle Gaston. Celui-ci aurait-il pu obtenir une garde exclusive de ses victimes ? Sans l’ombre d’un doute.

Ce qui n’empêche pas les bonnes consciences de blâmer les femmes violentées en se demandant ce qui les retient d’« appeler à l’aide », « partir »… toutes choses qu’elles font déjà lorsqu’elles le peuvent, malgré bien des reproches, mais avec de plus en plus de difficultés. À tel point que des maisons d’hébergement en sont réduites à devoir les prévenir qu’elles risquent de perdre leurs enfants si elles tentent de signaler la violence physique ou sexuelle du père, même envers les tout-petits. Le piège se referme.

Un mouvement organisé contre la maternité. Mothers on Trial, un livre de Phyllis Chesler

L’auteure de Les femmes et la folie (Payot, 1973) vient de rééditer un autre livre-phare, plus que dérangeant, Mothers on Trial. The Battle for Children and Custody (Mères en procès), où elle relate cette guerre secrète – qu’on ne peut même pas mentionner sans déclencher des torrents de préjugés et d’anecdotes anti-mère.

En 28 chapitres très documentés, l’auteure réfute preuves en main le tissu de contre-vérités imposées sur la place publique par le lobby masculiniste – un mouvement créé par des hommes accusés de délits familiaux allant du vol de pensions alimentaires à l’inceste, en passant par les coups et blessures.
« Je parle ici d’un mouvement organisé contre la maternité – dans les sphères politique, pédagogique et juridique – qui tente de nous ramener aux époques les plus sombres du contrôle patriarcal. » (Phyllis Chesler)

Elle s’indigne que des hommes agresseurs ou dépressifs obtiennent trop souvent sur demande des droits d’accès ou de garde, sans égard au droit à la sécurité des femmes et de leurs enfants. Le système se ligue avec eux sous prétexte que n’importe quel père vaut toujours mieux qu’un « père manquant », tarte à la crème d’une pop-psychologie intégriste qui a déplacé le simple bon sens chez trop de fonctionnaires.

Les mères laminées par ce système intégriste, qui transforme leur vie en une course à obstacles, tentent de se regrouper, en Nouvelle-Angleterre notamment. Elles ont trouvé d’autres alliés chez les auteurEs de The Batterer as Parent, qui tentent d’éveiller leurs collègues aux séquelles pour les enfants de la resacralisation des « droits des pères », pas tous des modèles (comme le bon Dr Turcotte).

Mais dans un système encore obsédé de la famille « nucléaire », hostile aux mères autonomes et qui forme en ce sens ses fonctionnaires, c’est loin d’être gagné.

Références

 « Comment aider Marie », SOS Violence conjugale, 1-800-363-9010
  Mothers on Trial. The Battle for Children and Custody, Phyllis Chesler, Lawrence Hill Books, 2011.
 The Batterer as Parent, Lundy Bancroft et Jay Silverman, Sage, 2002. Lire aussi, de Bancroft, Why Does He Do That ?

* Voir« Syndrome d’aliénation parentale ».
** Au Québec, le cardiologue Guy Turcotte a tué ses deux jeunes enfants, Anne-Sophie et Olivier, pour se venger de sa conjointe, dont il était séparé. Le jury l’a déclaré non responsable pour cause de maladie mentale, bien qu’aucune preuve n’indique une maladie mentale mentionnée dans le code criminel comme motif de non responsabilité.

Enfants tués par leur père au Québec depuis 2009

Alexandre et Aliyah Degrasse, Anne-Sophie et Olivier Turcotte, Anthony et Gabriel Tanguay, Daphnée Pelchat, Deyan Perisic, Florence et Zachary Houle, Jeremy Vézina, Joëlle, Marc-Ange et Louis-Philippe Laliberté, Mya Dumont, Nouténé Sidiné, Sahar et Getti Shafia, Thomas Phillipon.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 21 novembre 2011

Martin Dufresne


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