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Que faut-il célébrer le 8 mars ?

6 mars 2021

par Micheline Carrier

Qu’est-ce que les femmes du monde entier sont censées célébrer, le 8 mars 2012 ?

Si je me livrais ici à un bilan féministe des réalisations de la dernière année, je risquerais d’être déçue. Je ne le ferai pas...

Je veux seulement proposer quelques réflexions dans ces carnets auxquels j’essaie de redonner vie après une longue pause. Qu’on les prenne pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des carnets de réflexions et de notes, sans prétention à l’analyse exhaustive. D’autres appellent ce type d’écriture un blogue.

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Dans les années 70, le 8 mars était l’occasion d’une intense mobilisation et sensibilisation sur différents aspects de la condition des femmes, les problèmes non résolus, les obstacles à l’égalité et à la liberté.

Mais nous célébrions aussi les progrès et les réalisations de toutes sortes. Le plaisir de nous retrouver ensemble dans un mouvement porté par une énergie collective qui nous croyions capable de déplacer les montagnes.

Il faut dire que le féminisme d’alors s’inscrivait dans une vague de changement général, qui avait donné précédemment la Révolution tranquille au Québec et Mai 68 en France, et un peu partout, l’éclosion d’un mouvement pour la paix qui prenait diverses formes selon les points du globe.

Beaucoup était à faire et nous ne doutions de rien.

Je ne dis pas « tout était à faire ». Nous n’avions tout de même pas inventé la roue. Des femmes avant nous s’étaient battues pour les droits de toutes. Et elles avaient fait des gains.

Il n’était pas question de leur reprocher d’avoir manifesté autrement que nous le faisions alors, ni de ne pas avoir 20 ou 30 ans dans les années 70.

Pas question de prétendre que ce qu’elles avaient fait et leur façon de le faire étaient dépassés, de leur reprocher d’avoir eu des priorités différentes des nôtres. Elles avaient répondu aux besoins et aux priorités de leur époque, avec les moyens de leur époque. Nous nous appuyions sur leurs acquis.

Si nous pouvions prendre la parole, revendiquer, crier, tempêter, nous indigner, c’est parce qu’elles l’avaient fait avant nous.

Leur exemple nous motivait, nous rendait fières, audacieuses, nous justifiait d’espérer.

Certaines féministes s’essayaient à des bilans. Elles mesuraient le chemin parcouru. Elles s’inquiétaient des retards. Elles dénonçaient les reculs et se promettaient de les combler.

Elles mettaient en commun leurs rêves et leurs espoirs d’un monde meilleur pour toutes les femmes du Québec, du Canada, de l’Amérique, du monde entier.

Nous célébrions l’immense quête collective de liberté que représentait le mouvement féministe : liberté sexuelle, pensions-nous, liberté de conscience et d’expression, liberté politique, liberté économique.

C’est précisément pour souligner cet aspect collectif des luttes de femmes que les féministes, au Québec du moins, ont décidé de nommer le 8 mars - décrété par l’ONU en 1975 et officialisé en 1977 Journée internationale de la femme -, Journée internationale des femmes. D’autres parlent de la Journée internationale des droits des femmes.

Je ne veux pas me montrer nostalgique. Il me faut noter, toutefois, que ce qui cimentait le mouvement féministe des années 70 était ce ralliement autour des intérêts collectifs, en comparaison de la défense des intérêts individuels qui marque le féminisme du début du 21e siècle.

La liberté individuelle n’était pas alors un argument invoqué pour justifier toutes sortes de compromissions avec le patriarcat dominant, sans égard aux conséquences pour les droits de l’ensemble des femmes. C‘était au nom de la liberté collective - liberté de toutes les femmes - que les féministes dénonçaient « l’ennemi principal », dont on en reconnaissait la main dans tous les domaines.

C’était avant que le rouleau compresseur du néolibéralisme, de l’individualisme et du relativisme conjugués n’ait déteint sur le féminisme comme sur tous les mouvements socio-politiques du monde moderne. C’est une autre histoire, j’y reviendrai éventuellement.

En cette semaine du 8 mars 2012, je veux rendre hommage à celles qui se sont battues pour le droit de vote des femmes ; le droit au libre choix en matière de grossesse, de contraception et d’avortement ; le droit à l’égalité juridique, et d’abord à Claire Kirkland-Casgrain, première femme élue à l’Assemblée nationale ; le droit à l’équité salariale.

Je veux surtout souligner le courage et la persévérance des centaines de femmes qui ont créé de toutes pièces et soutenu des ressources pour aider les femmes à devenir autonomes sur le plan économique et à se soustraire à la violence : les CALACS, les Centres d’hébergement pour femmes violentées, les Centres de femmes, les ressources pour les femmes immigrantes, les comités sur la condition féminine des syndicats, etc.

Sans leur vision collective de l’avancement des femmes, le Québec ne serait pas parmi les chefs de file (paraît-il) en matière d’égalité des sexes. Pour ces femmes, à mes yeux les vraies "héroïnes", une victoire a peu d’intérêt si elle n’est pas une victoire collective.

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En 2012, l’ONU souligne l’année internationale de "la" femme sur le thème de "L’autonomisation des femmes rurales – Éradiquer la faim et la pauvreté".
La singularisation n’est pas nouvelle, mais il me semble qu’elle affaiblit la portée de l’événement.

D’accord pour mettre en évidence la situation des plus pauvres de la planète. La faim et la pauvreté constituent le plus grand scandale de notre époque. Surtout quand on sait que les dirigeants politiques et économiques dilapident l’argent des populations - le bien collectif -, et ce dans les pays développés comme dans les pays en développement. Et que nombre de citoyennes et citoyennes des pays riches jettent quotidiennement le quart des aliments qui passent par leurs cuisines.

Mais la faim et la pauvreté, qui dépendent en grande partie de l’écart des revenus, se retrouvent aussi dans les centres urbains, et de façon dramatique. On n’a qu’à penser à l’augmentation du nombre des itinérant-es ainsi que des bénéficiaires des banques alimentaires à Montréal et dans d’autres villes. Parmi eux, de nombreuses femmes responsables d’enfants

Voyez comment Condition féminine Canada détourne le thème proposé par l’ONU : "Le Canada couvre une superficie de 9 984 670 kilomètres carrés. Il compte 17,4 millions de femmes et de filles, et plus de 5 400 collectivités, dont environ 5 200 se trouvent en région rurale, éloignée ou nordique. Au cours de la semaine du 8 mars 2012, nous rendons hommage aux trois millions de femmes et de filles qui font partie intégrante de la vie de ces collectivités dispersées à travers nos provinces et territoires."

Le thème proposé par CFC n’est pas "l’éradication de la faim et de la pauvreté", mais "Les femmes dans les collectivités rurales, éloignées et nordiques : clé de la prospérité du Canada". La prospérité remplace la pauvreté. Esquiver une question dérangeante, on s’y connaît dans le gouvernement de Stephen Harper.

Certes, le sort des femmes ne dépend pas que de décisions prises par des institutions internationales et des gouvernements. Mais il en dépend aussi dans la mesure où des décisions idéologiques, politiques et économiques influencent et orientent, souvent de façon fort peu équitables, la vie quotidienne des citoyennes et des citoyennes.

Sentez-vous libres de commenter ces propos, y compris pour me contredire...

Mis en ligne sur Sisyphe, le 1 mars 2012


Toutes les chroniques des Carnets de Sisyphe 2012 :

  • Quand on tolère la violence misogyne pour accommoder l’extrémisme religieux.
  • Le gouvernement Harper : danser sur les tombes.

  • Que faut-il célébrer le 8 mars 2012 ?
  • Les Carnets de Sisyphe 2002-2011.

    Micheline Carrier


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