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Témoignage - Comportement destructeur au sein d’un couple lesbien

17 mars 2012

par Annick Dockstader, lesbienne féministe

« Ça sert à quoi une lesbienne silencieuse ? Ça sert à qui ? »



Entretien

À la lumière de la courte entrevue réalisée par Urbania avec Karol O’Brien, le chemin pour rompre avec la violence conjugale reste long. Il n’y a pas de statistiques claires et le tabou dans ce milieu pour le moins restreint rend encore plus insécurisant le fait de rompre le silence. Pour Josée, la prise de conscience s’est malheureusement réalisée en en étant le sujet à sa première relation engagée avec une lesbienne. Quand il s’agit de confronter des comportements destructeurs au sein de couples lesbiens, que ce soit le nôtre ou dans notre entourage, et même dans un milieu féministe, quelles sont nos réactions ? Osons-nous poser des questions, aborder le sujet de front ? Prenons-nous position face aux comportements destructeurs de nos paires ? Voici une entrevue réalisée plus tôt cette année avec cette ancienne montréalaise, habitant aujourd’hui le Nord-Est du Québec.

Josée, comment la violence se traduisait dans ton couple ?

Je préfère dire « comportement destructeur » dans une relation lesbienne. Pour ce que moi j’ai vécu à tout le moins. Je suis plus à l’aise avec ce terme.

Elle ne m’a jamais frappée. Il n’y a jamais eu de coup. C’était ses paroles qui sont devenues blessantes, presque débilitantes après la première année. Avant on ne s’était pas même engueulées une fois. Ce qu’elle exigeait de moi aussi devenait pas très sain. C’est comme si elle exigeait que je sois et que je me comporte comme elle le voulait. Plus du tout comme moi je suis. Peu importe les efforts que j’y mettais, je n’arrivais jamais à la satisfaire. Elle me trouvait toujours quelque chose, et c’était sous la menace de me quitter. J’ai embarqué dans cette peur-là.

Quand j’ai avoué avoir déjà non désiré une relation sexuelle avec elle, après qu’elle m’ait posé la question, elle l’a pris comme un rejet affectif dirigé contre elle. Alors que moi, j’y vois maintenant plutôt ma difficulté à avouer, à ce moment-là de ma vie, mes besoins face aux siens. Mon incapacité à dire non aussi dans des situations comme celle-là. Sa réaction faisait en sorte que je ne me sentais pas « correcte » de ne pas « avoir voulu » couché. Je n’étais plus dans le « sens-toi à l’aise de dire oui ou non ». Quand j’avais peur, que j’étais insécure ou frustrée, je me refermais sur moi-même. C’était pire, parce que je répondais encore moins à cette exigence de lui donner, quand elle le voulait, des marques d’affections. Je n’avais comme pas le droit d’en donner quand moi j’en avais le goût, ni de vivre mes émotions « négatives » comme elle le faisait envers moi. Avec le temps, c’est comme si l’on m’enlevait mes moyens de m’exprimer. Mes besoins se résumaient à une toute petite case. Ce n’était pas du tout égalitaire, ses désirs et les miens.

Avait-elle une tendance à te culpabiliser ?

Souvent. J’ai eu la stupide idée, un jour, de lui faire part des félicitations de ma psy sur mon cheminement. Elle s’est mis à s’énerver. Dire que ça lui revenait à elle, parce que c’était grâce à tous ses efforts si j’avais fais du chemin et si j’étais capable d’avoir du recul. D’après elle, je manquais de compassion devant la difficulté de sa situation dans notre couple. Je lui manquais de reconnaissance. Alors, j’avais décidé de ne plus lui parler de mes discussions avec ma psy. J’avais trop peur qu’elle utilise ce que je disais contre moi après, que ça brise le lien que j’avais réussi à tisser avec ma psychologue. Elle a même été jusqu’à remettre en question les capacités de ma psy à intervenir auprès de moi quelques jours plus tard. Je ne voyais plus le bout. Je lui ai demandé d’aller expliquer ça à ma psy parce qu’elle voyait bien que j’en étais incapable... J’ai fini par devenir une vraie pâte molle. Je m’en veux... à moi-même d’avoir accepté ça, t’as pas idée... De me rappeler de ça aujourd’hui, c’est pas jojo. Elle me disait que j’avais de graves difficultés de communication, que ma psy n’avait pas réussi à identifier malgré ses vingt ans d’expérience. Fort probablement je n’en avais pas avec la psy parce que je me sentais à l’aise...

Elle voulait décider des sorties, de ce qu’on allait cuisiner quand on était ensemble. Je la laissais faire au début de notre relation parce que j’avais trop peur de lui déplaire, qu’elle découvre que je n’étais pas si fantastique que ça après tout, pas si intéressante, que je n’étais qu’une hétéro voulant « tester » avec une fille.

Il n’y avait pas vraiment d’espace pour que je puisse dire mon point de vue. De toute manière, c’est sa vision que je devais accepter comme la réalité. Quand je n’adoptais pas son argumentaire, j’étais souvent accusée de mauvaise foi. Parfois même soupçonnée de penser qu’elle était une menteuse. Les procès d’intention étaient très fréquents. C’était un cercle sans fin. Je m’en suis rendu compte juste à la fin que ça n’allait pas du tout, que vivre dans cet état mental me détruisait.

Jusqu’où sont allées ces accusations par les mots ?

C’est le mélange de tout ça qui est grave. Disons, ce qui peut frapper, c’est d’apprendre qu’elle m’a traitée de déficiente. Mais, pas sur le ton du mépris et du dénigrement, comme on pourrait se l’imaginer. Non, c’était comme si je devenais un bijou dont elle allait s’occuper. Elle m’a prise dans ses bras comme si elle me disait quelques chose de tendre et d’affectueux. J’avais plus de valeur si elle percevait comme une déficience mon malaise à socialiser avec son entourage en sa présence. Mais, à force de passer des remarques sur ce que je ne fais pas ou devrais faire, ça finit par t’atteindre. T’oublies que les commentaires se font de plus en plus débilitants. J’ai embarqué. Qu’est-ce que tu veux que je te dise. C’est évident que j’ai une part de responsabilité dans cette « autodestruction ». Nommer mes besoins, affirmer mes limites, m’écouter même si l’autre ne le fait pas.

As-tu pensé aller chercher de l’aide au Centre de solidarité lesbienne ?

Pas vraiment. Je savais qu’il existait mais ce qui m’a amené à consulter c’était mon désir d’arrêter de respirer et ne plus bouger. J’étais pas rendu à admettre la possibilité que ce soit en lien avec mon couple. Je n’arrive pas encore à dire que c’est le cas. J’ai l’impression qu’il m’aurait fallu un œil au beurre noir pour répondre que oui. Je voulais pas répondre quand ma psy m’a demandé si je pensais en vivre (de la violence). Accepter, c’était avouer en avoir vécu de la part d’une femme soi-disant politisée contre ça ! C’était un oui trop lourd à assumer et trop de désillusions à vivre. Je n’étais pas non plus à l’aise d’assumer que les couples lesbiens finalement ne sont pas tant le “top du top”, les couples libérateurs espérés.

Ce n’est pas rien d’en parler aujourd’hui après ces années...

Parce que c’est moins souffrant de changer que d’y rester. J’ai quand même peur qu’on m’accuse de donner de l’eau au moulin aux masculinistes, que ce que je dis soit mal interprété, vise une autre, que ce soit utilisé contre les femmes et les lesbiennes. Et que je me fasse lancer des roches si l’on m’identifie. Je me dis, finalement, ça sert à quoi d’être une lesbienne silencieuse ? Plus important, ça sert à qui ?

Qu’est-ce que tu penses de la violence conjugale entre lesbiennes ?

Que je ne veux pas repasser par là. Pas me retrouver dans l’état que j’ai connu. Il faut enquêter et la contextualiser. Pour ça, il faut d’abord oser parler de ce que l’on vit et avoir des oreilles à l’écoute.

Il faudrait savoir d’où ce mode d’opération de destruction massive prend ses racines. Comment arrêter ça entre nous. Ce n’est pas dans notre intérêt de se limiter à dénoncer les violences masculines en n’osant pas regarder le ravage dans notre propre cour. C’est la destruction de l’empowerment (autonomisation) au sein de relations entre femmes dont on parle.

Qu’importe « l’ennemi principal ». Sauf que, je me dis, on devrait avoir une attitude et une approche différente si l’on est face à un agresseur de la classe dominante ou face à une agresseur-agressée.

Comment a réagi l’entourage ?

Il n’était pas au courant de rien. Je disais que ça allait bien sans rien ajouter. Je me suis tiré dans le pied en faisant ça. Ça ne m’a pas permis d’avoir du support, ni un autre son de cloche plus vite. Ce sont mes collègues au travail qui ont le plus réagi, qui m’ont le plus épaulée pour mon déménagement et le reste. Alors que mes « camarades », dont je m’attendais recevoir le plus de réactions, ont fui pour la plupart la discussion, ou m’ont fuie tout court, sauf deux. Ça m’a beaucoup désillusionnée face au milieu auquel j’appartenais. C’est pourtant pas dans nos valeurs de faire ça.

Fuir la discussion ?

On me disait : « Vous êtes deux bonnes militantes, je ne veux pas prendre pour l’une ou l’autre ». « Ça me rend mal quand tu m’en parles ». « Je ne veux pas prendre position ». « Je veux surtout pas être contre une ou l’autre ». « T’es certaine de vouloir en parler maintenant ? »,... À quelque part, elles doivent aussi être prêtes à connaître les faits pour en discuter. Mais, depuis quand abattre les rapports de classes, de pouvoir, d’abus, de comportements destructeurs entre nous, veut-il dire se positionner contre l’une d’entre nous ? Comment, dans ce cas, peut-on dénoncer la violence conjugale dans les couples hétéros ? Qui parle de prendre position contre un individu ? On n’est pas des mascu, ni des conservateurs, ni pour les crimes d’honneur.

Le fait d’être un couple lesbien, penses-tu que ça a influencé la réaction de l’entourage ?

J’aurais cru que les hétéros se seraient moins prononcées. Finalement, c’est auprès des lesbiennes que j’ai vu le plus de réticence. Elles disaient ne pas vouloir poser un jugement contre l’une ou l’autre. Je pense qu’on est déjà suffisamment mises en minorité et critiquées dans la vie. Elles ont peur de faire la même chose à leur amies, je ne sais pas. Il faudrait le leur demander. C’est pas une raison pourtant.

Quelle est la marque la plus vive qu’il te reste malgré le temps qui passe ?
J’ai peur de rencontrer quelqu’une comme elle. Du coup je tomberais encore sur une femme aux apparences douces qui se transforment en culpabilisatrice. Je deviens mal dans des situations où je devrais être rassurée, comme lorsque je lis les dépliants sur l’aide aux femmes victimes de violence. C’est une lesbienne, proche de femmes en difficulté, avec qui j’ai vécu ça. Ça isole bien comme il faut. C’est pour ça que j’ai pris le large. Même loin. Je me redis, ça sert à quoi une lesbienne silencieuse ? Ça sert à qui ?

1. François Lemay, « Intervenante en violence conjugale », Urbania, numéro 32, p.15, 2012.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 1 mars 2012

Annick Dockstader, lesbienne féministe


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