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Prostitution - Un déni facile à comprendre

8 mars 2012

par Rebecca Mott, survivante et écrivaine

Un des principaux facteurs qui m’épuisent tient à ce que les adeptes du statu quo en matière de prostitution essaient de la faire passer pour une question très complexe.

Ça n’est pas le cas – il s’agit simplement d’un stratagème pour amener les gens extérieurs au milieu à se détourner des réalités nombreuses et très simples de ce qu’est la prostitution, à ignorer les façons dont on transforme des femmes et des filles en ce qui devient la classe prostituée.

Le fait premier, simple et le plus important en matière de prostitution, c’est que toute la violence qui s’y produit est le fait d’hommes qui posent le choix d’acheter une prostituée comme une simple marchandise sexuelle et que cette violence constitue le principal argument de vente de la prostitution pour les profiteurs du commerce du sexe.

C’est dire que la violence ne tient ni à la faiblesse de la femme prostituée, ni à quelque incapacité de lire le langage corporel du prostitueur.

Ce n’est pas parce qu’elle a peut-être été agressée avant d’arriver dans la prostitution et ne peut donc pas savoir à quel point baiser est agréable.

Les hommes paient pour baiser, non pour communiquer, non parce qu’ils sont seuls, et non pas d’une manière spontanée : les hommes paient pour exercer le contrôle, pour être libres d’imposer tout acte sexuel sadique qu’ils souhaitent imposer, libres de ne subir aucune conséquence de leurs actes, libres de considérer leurs actes comme du sexe « jetable ».

Même les prostitueurs qui se comportent gentiment sont toujours en parfait contrôle de la situation et ils peuvent à tout moment choisir d’exercer une violence physique ou psychologique.

Le prostitueur sait que la prostituée qu’il baise n’approcherait jamais un type comme lui si ce n’était de l’argent ou d’autres formes de paiement.

Pensez clairement – réfléchissez un peu plus – au fait de payer pour être en mesure de violer et de torturer sexuellement quelqu’un sans en subir la moindre conséquence.

C’est en cela que la prostitution est à la fois simple et terrible.

Pas étonnant que ceux qui veulent maintenir la prostitution tentent d’en faire une question aussi compliquée que possible.

Ils sont constamment en train de nous dire qu’il y a une foule de genres différents de prostituées : ils tentent de trouver celle qui ne sera jamais violée, jamais méprisée par les prostitueurs, jamais considérée comme des parties d’un corps plutôt que comme un être humain à part entière, jamais forcée de se déconnecter mentalement de la violence.

Ils imaginent un certain nirvana de prostitution pratiquée derrière des portes closes, où tous les prostitueurs sont sûrs, propres et respectueux ; où une prostituée peut rejeter tout homme qui lui donne même l’impression d’être violent et où elle arrive à le faire ; où le salaire est élevé et rien n’est déduit de ce salaire ; où le bordel est géré par des femmes gentilles, avec qui « travailler » est un plaisir...

Ils imaginent une situation fictive, issue de romans, de vieux airs de jazz, de trop nombreux vieux films, de quelque prostituée-déesse inventée de toutes pièces, de clichés romantiques de la conquête de l’Ouest, bref, leur imagination se substitue à la réalité.

Il n’y aura jamais d’espace sécuritaire pour la classe prostituée – parce que le prostitueur conserve toujours le droit de posséder son corps et son esprit, et le profiteur, le pimp ou le gérant, conserve toujours le droit de la réduire à une marchandise baisable.

Peu importe à quel point on présente comme dorée la cage où existe la femme prostituée, elle y demeure toujours une cible de viols, une cible de tortures sexuelles, et elle y est toujours dépouillée de ses droits de la personne.

Survivre, c’est apprendre à s’adapter à cet enfer ; s’adapter, c’est accepter la violence comme norme personnelle, en refusant de ressentir ou de reconnaître cette réalité normalisée.

Il n’est donc pas difficile de comprendre pourquoi la majorité des femmes prostituées à long terme – et en particulier celles qui le sont derrière des portes closes – tiendront tête à ce genre de critique et prétendront haut et fort aimer leur sort.

Pour survivre à la prostitution, en effet, il faut en exclure fermement la réalité, il faut qu’elle devienne quelque chose dont vous ne voyez que le bon côté.

Cette vision laisse d’énormes plages blanches où l’on doit nier l’ensemble des viols, de la violence verbale, de la haine, du fait d’être traitée en produit de consommation, de l’isolement, de la torture, et d’autres excès que l’on craint de se rappeler.

Alors, lorsque vous est sans cesse rabâché ce discours sur « les joies de la prostitution » par ceux qui veulent conserver le système prostitutionnel, montrez-vous très sceptiques quant à leurs motivations pour tenir ce genre de propos.

Demandez à ces gens s’ils connaissent tous les détails de la vie de la prostituée dont ils parlent. Demandez-leur s’ils savent vraiment que chaque prostitueur qui la possède est non violent et la voit comme un être humain à part entière, plutôt que comme une marchandise à baiser.

Demandez-leur s’ils savent que les gestionnaires ou proxénètes de cette femme refuseraient toujours de lui envoyer un prostitueur sadique, même pour suffisamment d’argent. Demandez à savoir si cette femme n’a pas été progressivement amenée à accepter des actes supplémentaires, des « extras », dont elle s’était dit, à ses débuts, qu’elle ne ferait jamais ça, et si ces actes l’ont exposée à des risques.

Demandez si cette femme a vécu des épisodes dont elle n’arrive pas à se souvenir. Demandez si elle prend de la drogue ou de l’alcool avant et après avoir été avec certains prostitueurs.

Oh, je sais que ces questions ne sont jamais posées… elles pourraient porter atteinte au joli mythe de la prostituée comblée.

Je préfère ne pas continuer tellement je trouve ce déni écrasant. Mais s’il vous plaît, voyez la prostitution pour ce qu’elle est – un esclavage et une torture – et non pour ce que vous souhaiteriez qu’elle soit.

Traduction : Martin Dufresne

Texte original : "It is not rocket science".

Mis en ligne sur Sisyphe, le 8 mars 2012

Rebecca Mott, survivante et écrivaine


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