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Exploiter la nudité devient-il un acte "révolutionnaire" si des femmes le posent ?

10 avril 2012

par Azar Majedi, présidente de l’Organisation pour la Libération des femmes en Iran

On a publié un calendrier de femmes nues (1) que l’éditeur qualifie de "révolutionnaire". Et nous sommes censé-es croire que cette action est "révolutionnaire" puisque l’éditeur l’affirme !

  • En tant que militante des droits des femmes ;
  • en tant que marxiste et communiste qui lutte pour un monde meilleur, un monde garantissant liberté, égalité et prospérité pour tous les citoyens et les citoyennes, sans distinction de genre, de nationalité, d’appartenance ethnique, et quelles que soient leur langue maternelle, leurs croyances ou la famille dans laquelle ils sont nés ;
  • en tant que femme qui a personnellement fait l’expérience de l’islam et de l’islam politique, et qui a dû fuir les persécutions, je ne vois rien de "révolutionnaire" dans cet acte.

    J’ai donc rédigé un article en persan pour exprimer mon opinion. Alors que j’allais le rédiger en anglais, Maryam Namazie, qui considère ce calendrier comme sa "création", a répondu à ma critique (2). J’exposerai ici mon opinion sur la question et répondrai aux arguments de Maryam sur sa défense de cet acte "révolutionnaire".

    J’ai développé trois arguments clairs pour présenter mon point de vue au sujet de ce calendrier.

     Les islamistes nationalistes iraniens ont déjà publié leurs commentaires, qui ne sont autres qu’un exposé de leur grossièreté fondée sur une idéologie nationaliste et islamique. J’ai critiqué cette idéologie à de nombreuses reprises, notamment lors de deux entretiens à la radio, en persan, à propos d’Allia Magda Almahdi, qui a publié des clichés d’elle nue afin de protester contre la misogynie et le profond sexisme dominant la société égyptienne, et de Golshifteh Farahani, actrice iranienne, qui s’est montrée nue dans un court-métrage pour la promotion des Césars. Les vidéos de ces deux entretiens sont disponibles sur mon compte YouTube (3).

     Je respecte inconditionnellement la liberté d’expression. Tout le monde est libre de s’exprimer comme il le souhaite. C’est un droit fondamental pour tous et toutes. Mais critiquer le contenu de cette expression est aussi un droit pour tous et toutes. Je respecte le droit de chaque être humain à la liberté de pensée, de croyance et d’expression. Mais je ne respecte pas nécessairement ce qu’ils expriment ou croient, comme je l’ai indiqué dans un article antérieur (4).

     Même si l’on considère que les gestes de ces femmes ont brisé un tabou, toute tentative de briser des tabous n’est pas en soi "révolutionnaire" ou progressiste. Par exemple, l’inceste est un tabou que je ne crois ni positif ni progressiste, pour tout être humain, de briser.

    J’ai affirmé que je ne voyais pas beaucoup de différence entre des photos de femmes nues dans des tabloïds, tels que le Sun, et ce calendrier. Le fait que des slogans grandiloquents accompagnent ces photos ne change pas leur essence.

    Maryam m’a répondu en disant : "Ce qu’Azar ne voit pas, c’est que la nudité n’est pas le problème. Le problème se trouve dans la marchandisation et l’objectification du corps de la femme. Considérer le Calendrier Révolutionnaire de femmes, qui montrent leur solidarité avec une jeune femme égyptienne attaquée, comme équivalent à un tabloïd qui vend des corps de femmes déshumanisées pour faire du profit, c’est mal interpréter l’objectif du calendrier et l’action d’Aliaa elle-même. Le Calendrier est un acte posé par des femmes elles-mêmes, qui récupèrent ainsi un outil d’oppression. Azar peut ne pas trouver cela courageux, pourtant la nudité dans ce cas n’est pas aussi facile qu’il y paraît."

    Je vais tenter de disséquer ce paragraphe. Plusieurs concepts pompeux sont lancés qu’il est nécessaire de démystifier.

     En ce qui concerne la “marchandisation”, j’aimerais demander à Maryam dans quel contexte elle utilise ce concept ? Dans un contexte marxiste ou comme il est utilisé dans le langage quotidien, non seulement par quelques féministes mais aussi par certains Mollahs qui déclarent que les femmes sont devenues des marchandises en Occident ?

    Dans le vocabulaire marxiste, une marchandise est un objet qui a à la fois une valeur d’usage et une valeur d’échange. Le corps de la femme est-il devenu une marchandise ? Je ne le pense pas. Le corps des femmes, tant qu’il n’est pas vendu, n’est pas une marchandise. Mais il semble que Maryam pense autrement. Alors, je me permets de lui demander comment elle compte "dé-marchandiser" le corps des femmes. En prenant des photos de femmes nues et en les vendant pour financer sa cause ? L’acte contredit le but. Si vendre des photos de femmes nues transforme leur corps en marchandise - et elles sont justement en train de vendre leurs photos nues - leur acte est essentiellement le même que celui des tabloïds qui vendent des photos de femmes nues pour augmenter leur profit. Le fait qu’elle déclare que le profit est destiné à la défense du droit des femmes, alors que les tabloïds empochent l’argent, ne change rien au fait que le corps de ces femmes tout comme celui de la femme nue à la page 3 du Sun est devenu marchandise. Pourquoi ? Parce qu’il est échangé contre de l’argent. Le corps nu des femmes sur ce calendrier a acquis une valeur d’échange.

    Maryam déclare que ces photos de femmes nues s’élèvent contre l’islam politique. Il faut pourtant dire que les islamistes ne font pas du corps des femmes une marchandise. Cela est trop « avancé » pour eux. Ils considèrent les femmes comme des esclaves, on est quand même quelques étapes avant l’économie de marché !

     "Le Calendrier est un acte organisé par les femmes elles-mêmes qui récupèrent ainsi un outil d’oppression."

    Cette déclaration n’est rien d’autre qu’une phrase pompeuse et vide employée pour faire taire les opposant-es. Sous la pression d’une tendance dans le mouvement féministe, le mot "femme" a atteint un degré de sainteté, tout autant que les figures religieuses et les icônes. "Femme" est devenu le dernier mot. Si une femme dit quelque chose, si une femme fait quelque chose, alors cette chose est irréprochable. Et lorsque plusieurs femmes se réunissent pour organiser une action, alors tout le monde doit se taire, sinon on offense la sainte !

    Moi j’ose offenser cette sainteté, comme je l’ai déjà fait souvent dans ma vie. Une action organisée par des femmes ne justifie pas en soi un acte, pas plus qu’elle ne le rend juste ou "révolutionnaire". L’acte doit être jugé pour ses propres mérites.

    Simplement pour clarifier cela, et sans vouloir amalgamer les deux actes, je donne un exemple. Si des femmes organisent la prostitution, cela changerait-il l’essence de la prostitution ? Si une maison close a été créée par des femmes et est gérée par des femmes, cela change-t-il le fait qu’il s’agisse de prostitution organisée ?

    Je me souviens qu’en 1999 Germaine Greer, lors d’une rencontre pour le lancement de son plus récent livre de l’époque, "La Femme entière", déclarait que puisque la mutilation génitale féminine (elle ne l’a pas appelée ainsi, elle a employé le terme de circoncision féminine) était pratiquée sur les filles par des femmes d’une communauté donnée, alors elle était acceptable. Je lui ai tenu tête lors de cette rencontre, j’ai défié cette opinion misogyne arriérée. La foule présente m’a applaudie. Je dis la même chose ici. Je suis à l’écoute de la raison et je suis prête à accepter mes torts si l’on me donne de solides arguments. Mais personne ne m’a jamais fait taire en me jetant au visage des phrases prétentieuses et démagogiques. J’ai appris à être forte grâce à mes longues et dures batailles contre le régime islamique, l’islam politique et l’idéologie misogyne.

     "Récupérer un outil d’oppression".

    Cette phrase en particulier est grotesque et complètement vide d’un quelconque contenu véritable. Comment donc, vous et ces femmes qui ont créé une vidéo de leur nudité, avez-vous récupéré un outil d’oppression ? Pouvez-vous essayer de me l’expliquer ? On déclare que le corps des femmes est devenu un outil d’oppression des femmes. Comment ? Apparemment parce que certains les utilisent dans la pornographie, certains les utilisent pour vendre des marchandises, d’autres les utilisent pour procurer de la joie, et d’autres les voilent. Donc nous, femmes, nous prenons des photos de nous nues et nous les vendons pour combattre l’oppression des femmes. N’est-ce pas votre raisonnement ? Je suis désolée, je n’y crois pas. Et je n’achète ni ce calendrier ni les tabloïdes.

    À mon avis, vous avez été manipulées par ceux que vous affirmez combattre. Vous avez employé leurs méthodes pour réclamer votre "émancipation". Cela est dénué de sens. Ce n’est que pure démagogie.

    Maryam affirme que "les tabloïds vendent des corps de femmes déshumanisées". Comment décide-t-on que ces femmes, dont les photos nues sont publiées dans les tabloïds, sont déshumanisées tandis que les femmes dans le calendrier sont émancipées ? Quel est le fondement d’un tel jugement ? Une suggestion ? NON. Tout cela n’est qu’arbitraire. "Je dis cela, et je suis une femme, donc c’est juste." Il n’y a pas d’argument. Puis-je demander si vous diriez encore que ces femmes sont déshumanisées advenant que la rédaction du tabloïd ait été constituée uniquement de femmes et si les photographes avaient été également des femmes ? Cela ne serait-il pas considéré à vos yeux comme une action organisée par des femmes, et par conséquent, "révolutionnaire" et émancipatrice ?

    Maryam déclare plus loin que son action est un acte de solidarité internationale. Pourquoi ? Parce qu’elle a pris une photo d’elle nue et l’a publiée, tout comme Allia Magda Almahdi l’a fait en Egypte. Je ne savais pas que la solidarité internationale signifiait faire exactement ce qu’a fait un contestataire ailleurs, dans des circonstances complètement différentes. L’acte de défi d’Allia en Egypte est complètement différent. Prendre des photos nues et les publier est depuis longtemps permis en Occident et n’attire ni persécution, ni menaces de mort. En réalité, en copiant son geste de cette manière, on trivialise l’action d’Allia.

    Beaucoup de travailleurs dans le monde sont exploités, des millions le sont dans les pires conditions de déshumanisation. Êtes-vous prête à travailler dans les mêmes conditions pour montrer votre solidarité ? Beaucoup de jeunes femmes sont tuées ou handicapées à cause de leurs conditions de travail. Êtes-vous prête à vous exposer aux mêmes conditions ? Beaucoup de contestataires s’immolent par le feu, comme Ben Zaid l’a fait en Tunisie. Êtes-vous prête à faire de même par solidarité ? Beaucoup de contestataires font des grèves de la faim, tous les militants et militantes qui soutiennent leur cause devraient-ils faire de même ?

    Vous répondriez immédiatement "non". Vous considéreriez que c’est de la folie. Alors, pourquoi publier une photo nue de vous-même serait-il quelque chose de différent ? C’est plus facile. C’est de la bonne propagande. Cela pourrait vous amener à la télévision nationale, ou à être mentionnée dans un grand média. C’est la raison pour laquelle vous avez posé cet acte. Je me demande si vous vous retiendrez de qualifier cet acte de misogyne si un homme en était l’auteur.

    Notes

    1. "Égypte - Le calendrier nu des féministes du monde entier". Aussi :
    Le blogue de Maryam Namazie.
    2. Site de Maryam Namazie.
    3. Azar Majedi sur YouTube.
    4. "Wilders Has a Right to Express Appalling Views".

    Mis en ligne sur Sisyphe, le 7 avril 2012

    Azar Majedi, présidente de l’Organisation pour la Libération des femmes en Iran


    Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=4167 -