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À Nadia Ajuman

29 avril 2012

par Madi Kissine

Dans une rue d’Herat, il y avait, discret,
Un écriteau de fer : "Aux aiguilles d’or",
Dessous : "Cours de couture", et l’endroit abritait,
Contre les taliban, de sublimes trésors.

Nadia, dans son panier, sous un coussin d’aiguilles,
Pliait avec grand soin les carrés de coton,
Comme pour attester l’application tranquille
Des femmes afghanes. En cachant sa passion

Sous une bâche noire, avec quelques amies,
Nadia se réfugiait dans la pièce à ouvrage,
Loin des soldats sans nom aux regards ennemis,
Pour broder à l’envi des entrelacs fort sages.

Sous le tissu complice il y avait des livres,
Des poèmes bannis, des trésors de culture,
Strictement interdits, des textes qui enivrent.
Nadia s’en nourrissait, au salon de couture.

Son talent inspira un recueil clandestin
À la jeune beauté couverte de silence.
Nadia n’eut pas le temps de tenir dans ses mains
Son oeuvre reliée, ni le bonheur intense,

Offert au grand soleil, d’avoir poli la pierre
Au temple du savoir. Son mariage conclu
Avec un professeur aussitôt lui fit taire
L’envie de liberté qu’elle avait entrevue

Dans les livres cachés au fond de son panier.
A-t-elle un jour parlé de son divin secret
A son mari sournois, pétri de vanité ?
Fut-il terrorisé par son talent ? Qui sait ?

Par un jour de novembre, il la battit à mort.
On retira les plaintes afin que l’assassin
Ne passât en prison qu’un mois. Le pauvre corps
Sans vie de Nadia fut arraché aux siens,

À la petite fille aux yeux noirs de chagrin
Qui ne reverrait plus sa mère décédée
À vingt-cinq ans à peine, c’est certain,
D’un suicide officiel, à l’âme dévoyée...

Le professeur depuis eut une promotion,
À la bibliothèque de l’université
D’Herat. Bien entendu, il clama sans façon
Que les vers de Nadia étaient politisés

À cause de l’emprise, alors, des taliban...
De l’asservissement où les femmes se meurent
Il ne dit pas un mot, en ardant pratiquant,
Habile à se placer en victime des moeurs...

Des six femmes cachées qui lisaient les poètes,
Quatre vivent encor’, marquées à tout jamais
Par la mort de Nadia. La liberté qu’on prête
À la poésie saigne et survit, désormais,

Par la Fleur rouge sombre, aux vers désespérés,
Qu’elle nous a laissée, ultime testament
De Nadia Ajuman. La terre a accouché
De monstruosité. Pauvre pays afghan.

Nadia Ajuman, auteure de Gul-e dodi, Fleur rouge sombre (2004), battue à mort en novembre 2005, par son mari, à Herat, dans l’ouest afghan.

Blogue de Mady Kissine

Mis en ligne sur Sisyphe, le 27 avril 2012

Madi Kissine


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