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"LESBIANA - Une Révolution parallèle". Entretien avec la réalisatrice Myriam Fougère

12 juin 2012

par Annick Dockstader, lesbienne féministe

LESBIANA - Une Révolution parallèle, un film de Myriam Fougère

Quel bilan faire d’un mouvement auquel on a soi-même participé, il y a 30 ans ? C’est le défi que s’est lancé la cinéaste indépendante Myriam Fougère, originaire de Québec, lesbienne radicale ayant participé à l’effervescence du mouvement lesbien de la fin des années 70 au début des années 90. LESBIANA – Une Révolution parallèle nous dévoile, à travers de récentes entrevues, des photos d’époque et des vidéos d’archives, de Montréal au Texas, en passant par New-York, la diversité des réflexions et l’histoire méconnue de ce mouvement d’une ampleur internationale.

Voici mon entretien avec Myriam Fougère. Notre discussion s’est terminée au rassemblement "Cinéma dans la rue", où nous avons formé une chaîne humaine en compagnie de membres des Réalisatrices Équitables et d’une participante au documentaire. Parce qu’il faut bien préciser que ce lancement se fait en pleines coupures dans les subventions aux artistes et à la culture. Dans le contexte de l’annonce de la fermeture de la Cinérobothèque, le 1er septembre prochain. Parce qu’il en va de la survie de la représentation du monde tel qu’il est. Parce qu’"un peuple filmé jamais ne sera vaincu" et que "taire le documentaire = réalisatrices muselées"*, supportons les cinéastes qui nous filment en mouvement...

Annick - Quel fut le point de départ de ce documentaire ?

Myriam- Je suis partie de ma vie. À un certain moment, je m’ennuyais de ces années-là. Qu’est-ce qu’on a voulu faire ? Qu’est-ce qu’on a fait, qu’est-ce qu’on a réussi ou pas ? J’ai voulu rencontrer des femmes qui ont fait partie de ce mouvement pour voir quel bilan on pouvait tirer de cette aventure si vivante, si innovatrice et riche pour nous. On était plongées corps et âme, nuit et jour, à développer une pensée, une philosophie, un art, une musique à nous. Comment l’interprèterait-on aujourd’hui avec le recul ?

Annick - Pourquoi l’avoir intitulé "LESBIANA - Une révolution parallèle" ?

Myriam - « Une révolution parallèle », je trouve que ça représente bien notre mouvement. C’était une révolution en marge de la société, à côté et en même temps. Nous avons essayé d’inventer entre femmes le monde dont nous rêvions. La plupart des lesbiennes vivaient en ville, mais nous créions des espaces, librairies, bars, restaurants, maisons d’éditions, maisons de disques, etc. « LESBIANA », pour moi, c’est un pays intérieur, un espace symbolique et parfois un territoire physique comme, par exemple, dans le cas des terres de femmes.

Ce documentaire, c’est en quelque sorte le coming out d’un mouvement. Que sait-on de la pensée des lesbiennes radicales ? Est-ce que les gens savent qu’il y avait des terres de femmes ? Vaguement, c’est quelque chose de bizarre et de lointain, pense-t-on. Pourtant, il y en a encore. Je voulais aborder une réalité tout simplement ignorée. Ce mouvement mérite d’être connu, de prendre sa place entre le féminisme et le mouvement LGBT d’aujourd’hui.

Annick - Tu ne t’es pas restreinte à montrer une seule vision lesbienne de cette « révolution ». Tu as interviewé à la fois des lesbiennes radicales ayant une vision plus politique, séparatiste ou non, certaines plus spirituelles ou artistiques, ce qui dresse un portait sous différents angles de cette même époque.

Myriam - Oui, je voulais montrer la diversité de ce mouvement. Je voulais parler des lesbiennes qui sortaient du féminisme et qui développaient une pensée politique à elles. C’est ce qui m’intéresse, recueillir la parole de différentes femmes, montrer comment elles abordent différemment le même sujet. Des femmes que l’on n’entend pas en général. Je voulais refléter les multiples opinions ayant cours à l’époque. Je me dis que c’est peut-être pour ça que notre mouvement n’avait pas de nom, c’était une éclosion d’idées, de démarches et de recherches. C’est de ça dont je voulais rendre compte. Je voulais que les gens sachent que les lesbiennes avaient une analyse très différente du discours actuel gays et lesbiennes : « on veut être accepté dans la société ». Nous, on partait du féminisme et de ce que les féministes avaient voulu pour aller encore plus loin. On voulait créer un monde différent, avec nos valeurs. Un monde à nous.

Annick - Pourquoi ce sujet à ce moment-ci ? Tout comme à l’époque, il y eu l’urgence de vivre entre femmes, de développer une culture lesbienne. Y a-t-il aujourd’hui une urgence de transmettre cette histoire aux jeunes lesbiennes ?

Myriam - Oui. Je voulais aller rencontrer les lesbiennes plus âgées, qu’elles puissent me parler pendant qu’elles sont encore là, vivantes. C’est une sorte de passation, une façon de dire : voici ce que nous avons vécu. Jamais on n’en parle. Moi-même, je n’en parlais pas dans ma vie. Je l’avais vécu, ça faisait partie de ma jeunesse et c’était là quelque part… Le temps est venu d’en parler et de faire le lien avec les jeunes lesbiennes, qu’elles sachent ce que nous avons vécu. Créer des liens entre les générations, les rencontrer, en parler avec elles. J’aimerais que ça se construise. Toi, justement, comment as-tu perçu le film en tant que jeune lesbienne ?

Annick - … En fait, j’aime cette grande sensibilité, cette ouverture à montrer les différents points de vue avec les témoignages. Pas seulement dans le discours parlé politique, mais que l’on y montre à quel point les réflexions se reflétaient et s’intégraient dans la vie quotidienne. Pour moi, c’est la preuve d’une grande intégrité politique et la découverte d’une histoire qui m’est inconnue. De voir, par contre, l’effervescence culturelle qu’il y régnait, ça m’a fait très étrange par rapport à ce que je vis aujourd’hui. Je ne connais pas ça. Je trouve les lesbiennes plutôt divisées et dispersées. Comment se fait-il qu’on en est arrivé là après tout ça ? Les difficultés que vous avez rencontrées m’interpellent et je voudrais les approfondir. Pour ça, il faudrait repartir des discussions intenses...

Myriam - J’ai espoir, avec tout ce qui se passe, que les lesbiennes vont avoir envie de se retrouver, de s’exprimer, de changer le monde... C’est ce qu’on faisait. On ne voulait pas attendre, on voulait vivre maintenant les changements qu’on réclamait.

Annick - Faut dire que ce lien entre générations est à créer pour les lesbiennes, sous de nouvelles formes et structures, puisque nous n’avons pas « la famille », nous, pour nous transmettre nos connaissances...

Myriam - S’inventer, oui, de nouvelles façons de communiquer entre nous. Je crois que c’est important de recréer des liens entre les jeunes et les plus vieilles. Les femmes noires que j’ai interviewées disaient avoir de bonnes relations avec les plus jeunes, elles font toutes sortes de choses ensemble, elles se respectent. Nous aurions beaucoup à apprendre d’elles. Je trouve incroyable le silence social qu’il y a sur la pensée lesbienne. L’urgence que j’ai eue, c’est de dire : « Si moi je ne le fais pas, y-a-t-il quelqu’un qui va le faire ? Disparaîrons-nous tout simplement de l’histoire après tout ce que nous avons vécu ? » Alors j’ai voulu laisser quelque chose, ma vision et celles de quelques-unes des femmes que j’ai rencontrées. C’est un début.

* "Taire le documentaire = réalisatrices muselées" était le slogan de l’une des pancartes de ce rassemblement du 6 juin dernier.

LE FILM

LESBIANA, une Révolution parallèle

Cette révolution est née dans la foulée du féminisme des années 1970 et s’est éteinte vers 1995. Myriam Fougère entreprend un voyage où elle visite des écrivaines, philosophes et activistes lesbiennes ayant vécu au cœur de cette révolution parallèle. De Montréal au Texas, en passant par New York, elle rencontre des lesbiennes qui à un moment de leur existence ont choisi de vivre entourées de femmes. Photos d’époque et vidéos d’archives témoignent de ce mouvement marginal certes, mais d’une ampleur internationale.

Réalisation : Myriam Fougère
Coproduction Myriam Fougère et Pauline Voisard
Documentaire I Québec I 2012 I 63 min I Français et anglais/s.-t. français
Produit avec le soutien du Conseil des arts et des lettres du Québec et de l’Office National du Film du Canada
Et PRIM I Distribué par le GIV I - Site web

Cinéma du Parc du 21 au 28 juin 2012
3575 Avenue du Parc, Montréal

Lancement : Jeudi, le 21 juin à 19h. En présence de la réalisatrice
Sous-titres français : 21 juin, 19h, 22-23-26 juin, 20:45h
Sous-titres anglais : 24-25-27-28 juin, 20:45h
Cinéma Cartier du 22 juin au 5 juillet 2012, 1019 Avenue Cartier, Québec

 Voir la bande-annonce et les dates de représentations sur le site www.lesbiana-film.com

 Lire : Odile Tremblay, Amazones des grandes utopies, Le Devoir, le 23 juin 2012.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 10 juin 2012

Annick Dockstader, lesbienne féministe


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