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Carnet de campagne #3 - Carré rouge et caribou, symboles d’un certain sens des valeurs ?

24 août 2012

par Micheline Carrier

Dans le Québec de l’humour tout azimut, savons-nous encore distinguer l’essentiel de l’accessoire ?

Prenons l’exemple de la campagne électorale.

On applaudit des caricatures et des propos qui se veulent "mots d’esprit", lancés par des candidats ou des commentaires, comme s’ils révélaient la grande envergure intellectuelle de leurs auteur-es alors qu’ils cachent plutôt l’absence d’argument face à un-e adversaire redouté-e.

Les caricatures et les symboles sont devenus plus significatifs que les faits.

Le Dr Barrette, par exemple, cache mal son irritation de voir une femme cheffe du PQ. Sans aucun rapport avec le sujet qu’il traite, il dit : "C’est bien beau de vouloir devenir la première femme première ministre du Québec, mais il ne faut pas pour ça diviser ni exclure qui que ce soit", "critiquant" (c’est beaucoup dire) le projet péquiste de charte de la citoyenneté.

À défaut d’argument, il lance des attaques personnelles et des formules colorées accrocheuses pour les médias.

Plus récemment, il a qualifié Pauline Marois de "Dalida". Dans certains médias, on l’a qualifiée d’"altesse". Argument massue, vous en conviendrez, pour expliquer sa position sur le référendum d’initiative populaire... Je passe sous silence la série d’autres qualificatifs qu’on lui donne et qu’on n’oserait jamais attribuer à un homme candidat.

Car, autre révélateur de cette campagne : le sexisme et le double standard se portent bien au pays du Québec.

La hantise du carré rouge

Même le Directeur général des élections du Québec se laisse séduire par la portée du symbole au détriment de la réalité et de la liberté d’expression.

Il a interdit (directive no 26) aux candidat-es d’arborer un carré rouge dans les bureaux de scrutin. La directive ne s’étend pas aux électrices et aux électeurs, ce serait pousser trop loin. Aussi, quand un-e candidat-e vote, elle/il peut porter le carré rouge, mais quand il se promène dans les bureaux de scrutin pour saluer l’électorat, celui lui est interdit.

Voici les explications données par une porte-parole du DGEQ, Caroline Paquin : « Le DGEQ doit s’assurer du processus démocratique et permettre au citoyen électeur, qui est au coeur de nos préoccupations, d’exercer son droit de vote en toute quiétude. À ce moment-là, on dit qu’aucun signe qui prétend à critique ne doit être toléré »*.

Voulait-elle dire qui "porte" à critique au lieu de "prétend" ?

On a l’absurde situation théorique suivante : une femme pourrait se présenter comme candidate avec un foulard islamique et même le visage voilé, - signe politique pour les un-es et religieux pour d’autres - rien ne l’en empêcherait puisqu’il n’existe pas de législation ni de règlement en la matière. Mais un carré rouge en feutre ou un bijou carré rouge, comme celui que portait Françoise David au débat de dimanche soir, est interdit, selon la DGEQ.

Quelque chose me turlupine. Si Amir Khadir se présentait pour voter dans Mercier (statut d’électeur) en arborant un carré rouge sur sa chemise et que quelqu’un allait lui serrer la main (statut de candidat), avant qu’il ait eu le temps de l’enlever, contreviendrait-il au règlement ?

Pour ne pas risquer d’enfreindre les règlements, je crois que M. Khadir devrait porter chemise à carreau au lieu d’un seul carré rouge le jour du scrutin. Jean-René Dufort a posé la question à la porte, qui lui a répondu - et je n’interprète pas, écoutez-la** - que le carré rouge perdrait sa valeur de symbole puisqu’il ne serait plus unique, il y en aurait des dizaines ou des centaines...

Jean-Martin Aussant, lui, trouve cette directive acceptable : « Dans la tête des gens, je pense que le carré rouge distingue clairement deux partis des trois autres. Ce serait donc une sorte d’identification politique le jour du vote. »

Voilà l’erreur : le carré rouge n’est pas un signe ostensible de deux partis politiques. Comme le dit, Amir Khadir, il témoigne plutôt d’un « signe social et général qui a traversé notre société ». C’est un symbole que le mouvement étudiant a adopté et qu’une bonne partie de la population a choisi ensuite pour indiquer sa contestation du pouvoir libéral.

Est-ce ce qu’on veut faire oublier ?

Encore heureux que le gouvernement libéral n’ait pas demandé d"interdire le rouge, peu importe le lieu, au jour du scrutin, cette couleur étant parfois associée à l’esprit révolutionnaire.

Une loi anti-caribous ?

N’étant pas candidate, peut-être me permettra-t-on de rire un peu pour me distraire d’une campagne politique qui n’a rien de comique.

Le "carré rouge" est devenu un signe ostensible que le PLQ honnit. Et si le caribou devenait le signe ostensible honni des Caquistes ? (À lui seul, le terme "caquiste" me donne envie de faire des farce plates, dont je m’abstiendrai.)

Si M. Charest ou M. Legault sont élus dans leur circonscription respective, ce qui n’est pas acquis, ils se retrouveront face à Pauline Marois à la tête du gouvernement ou de l’opposition officielle à l’Assemblée nationale.

Comme M. Charest le faisait pour le carré rouge à la période des questions, M. Legault s’adressera-t-il ainsi à elle : "Je constate qu’encore une fois Mme Marois n’a pas désavoué les caribous qui se promènent librement dans les corridors de l’Assemblée nationale. Mme Marois s’associe à la violence car tout le monde sait que les caribous peuvent faire des dégâts sur leur passage." Qui sait ? S’il dirige le gouvernement, M. Legault proposera peut-être une loi anti-caribous pour protéger l’ensemble des député-es, des employé-es et des visiteurs/visiteuses de l’Assemblée nationale.

J’imagine la situation où d’audacieux "caribous" porteraient dans cette noble enceinte un signe emblématique de leur animal préféré, par exemple, une épingle à cravate ou un bouton au revers du veston. Faudrait-il sévir ?

Ce serait dommage, une bête portant un si beau panache.

* La Presse
** Radio-Canada.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 24 août 2012

Micheline Carrier


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