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Prostitution - J’ai le cœur qui désespère

14 septembre 2012

par Rebecca Mott, survivante et écrivaine

J’ai commencé à revenir à la vie, je sais que c’est une bonne chose. Mais j’écris aujourd’hui ma confusion, ma douleur et mon désespoir de ne comprendre toujours pas ce que c’est d’être en vie, au-delà de jouer un rôle.

Je vais écrire en arrière-plan de mon esprit, je vais essayer d’en extirper les choses qui me font peur, qui me bloquent, qui me font encore me demander si je ne suis encore rien d’autre qu’un objet trouvant des façons de plaire aux autres.

Je ne sais pas comment être humaine – ce n’est pas un énoncé philosophique, ce n’est pas dit pour m’attirer de la pitié ou de la sympathie – c’est dit parce que l’industrie du sexe a fait de moi un être sous-humain, un simple produit de consommation.

Je peux mimer les être humains et trouver des façons de m’intégrer aux humains, mais en dessous, secrètement, il y a qu’un vide profond.

Je suis comme une machine en attente d’instructions, je suis éteinte quand je suis seule, quand je ne travaille pas ou ne parle pas.

J’ai besoin d’un public pour mettre fin à ma torpeur.

J’apprends que je n’ai pas à plaire.

Devoir plaire pour rester en sécurité.

Devoir plaire pour éviter le danger.

Devoir plaire pour être vue.

Devoir plaire pour rester invisible.

Devoir plaire en parlant leur langue.

Devoir plaire en inventant des vérités sur moi-même.

Le rôle de la prostituée est de plaire sans réfléchir, de plaire sans émotions, de plaire sans connaître un passé, de plaire sans éprouver de douleur.

La prostituée n’est jamais réelle comme être humain, elle ne peut jamais avoir le droit de ressentir, d’avoir des rêves, de connaître un passé ou un avenir.

Les choses qui font d’une personne un être humain sont volées à la prostituée.

Comment survivre à l’abri d’un désespoir qui semble ne jamais finir ?

Comment rester un être humain quand on est torturée sexuellement tant de fois que cela devient votre routine ?

Comment rester un être humain quand on vous met sous la peau chaque mot, concept et idéal misogyne au point où vous perdez qui ou ce que vous êtes ?

J’étais pute, j’étais salope, j’étais con, j’étais manipulatrice d’hommes, j’étais « happy hooker », j’étais pseudo-copine, j’étais escorte, j’étais chienne, j’étais celle qui épargne les vrais viols aux vraies femmes, j’étais l’amatrice de dégradation, j’étais bâtie sans seuil de douleur, j’avais un cœur d’or, j’étais celle qui fait n’importe quoi pour de l’argent, je pouvais être tuée parce que je n’étais rien de vivant.

On a fait de moi tout cela et plus – mais je n’avais jamais le droit d’être humaine.

Mes larmes vont au-delà du désespoir à constater que ce qu’on dit des personnes prostituées dans presque tous les contextes maintient celles-ci dans une condition de sous-hommes.

Mais pour devenir vraiment humaines, je sais que beaucoup de personnes sorties de la prostitution doivent affronter et comprendre les abysses de ce qu’on a fait d’elles – et c’est plus que ce qu’on leur a fait –, ce que la société et l’industrie du sexe ont fait d’elles en leur dérobant l’accès à leur propre humanité.

Bien sûr, nous avons été mises à mort par les milliers de viols, de raclées, de tortures sexuelles et par la constante proximité d’une mort violente.

Mais ce qui nous a tuées, c’étaient les rappels constants – au-delà de notre destruction par l’industrie du sexe – du fait qu’une trop grande part de la société environnante n’avait aucun souci de ce qui arrive aux personnes prostituées.

Cette société doit apprendre et faire face au fait que nous vivons en sachant qu’être prostituée est n’être rien dans la vie, et être évacuée dans la mort.

Nous vivons dans un monde qui éviterait de tenir compte de la prostitution si elle ne leur était pas jetée au visage – et qui fournit ensuite des excuses à son existence.

Des excuses, des excuses.

C’est le plus vieux métier, cela a toujours existé, cela fait simplement partie de la nature masculine, c’est trop énorme pour être affronté.

Des excuses, des excuses.

Aucune femme ne le ferait à moins d’aimer ça, cela paie mieux qu’un emploi chez McDonald’s, c’est un sale boulot mais quelqu’un doit le faire.

Des excuses, des excuses.

Je ne voudrais pas juger les choix de qui que ce soit, certaines femmes ont une libido élevée, cela peut être suffisamment sécuritaire, c’est OK si l’on s’assure de la pratiquer derrière des portes closes.

La société refuse de savoir ce que c’est que d’être prostituée.

Comme les gens refusent de connaître, de voir, d’entendre et de ressentir les réalités des personnes prostituées, le fait que nous sommes régulièrement violées, battues, torturées sexuellement et assassinées.

Les personnes prostituées se trouvent dans des conditions d’esclavage et sont supprimées de la face du monde.

Nous vivons dans un monde qui appelle cela un divertissement pour adultes ou une simple transaction commerciale.

Comment puis-je ne pas désespérer ?

Version originale : « Despair Hits My Heart » - http://wp.me/paIl9-Gz

Version française : Martin Dufresne

Tous droits réservés : Rebecca Mott

Mis en ligne sur Sisyphe, le 12 septembre 2012

Rebecca Mott, survivante et écrivaine


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