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Prostitution – Le viol comme routine et le traumatisme comme fosse

12 octobre 2012

par Rebecca Mott, survivante et écrivaine

J’ai été sous traumatismes graves pendant si longtemps. Je perds mes mots : incapable d’écrire, incapable de trouver des mots qui correspondent à la maladie ou même l’apaisent.

Chaque fois que j’essaie d’écrire, de parler ou même de savoir la vérité, je m’étouffe et j’ai l’impression de me noyer.

Je ne meurs pas, je ne veux pas mourir, je veux et j’ai besoin d’exprimer mon traumatisme. Mais toujours mon traumatisme me bâillonne en me faisant suffoquer.

Dans ce message, je vais écrire à travers cette noyade et cette suffocation. Je vais vers et à travers la douleur, le chagrin et l’épuisement.

La seule façon est de simplement écrire, de ne pas m’en tenir à une pensée linéaire, de ne pas censurer pare que c’est trop douloureux et effrayant. Écrire, puis regarder du sport pour décrocher.

Je vais essayer, mais la maladie entoure chaque mot que j’écris.

Mon traumatisme est une fosse qui ne sera jamais comblée – une fosse d’absence de souvenirs, une fosse de perte d’émotions, une fosse d’années manquantes, une fosse à ne pas savoir comment tisser des relations humaines.

Cette fosse pourrait être un cri, elle pourrait être un vide, un désir de larmes pour le remplir, ce pourrait être juste une main tendue pour savoir que je suis un être humain et non une succession sans fin de rôles.

Mon traumatisme est un cri silencieux au fond de mon estomac.

Je crie au moment où je parais calme et équilibrée, je crie quand je pense être endormie.

Je crie depuis si longtemps que même moi je ne l’entends pas, c’est devenu un simple bruit de fond.

Mon traumatisme provient d’une jeune adolescente cherchant de l’affection dans tous les mauvais endroits, une jeune adolescente jouant les dures à cuir alors qu’elle se laisse arnaquer par des mensonges d’amour, une jeune adolescente qui pensait tout savoir jusqu’à ce qu’elle débarque en enfer et découvre qu’elle en savait si peu .

Mon traumatisme ne peut rien faire cesser pour ma jeune adolescente, mon traumatisme est témoin de sa douleur et de sa confusion, mais il ne peut pas la sauver.

Mon traumatisme voit trop clairement ce que l’on m’a fait. Il voit que cela n’avait rien de personnel, voit que je n’étais qu’une marchandise, juste une pute interchangeable avec n’importe quelle autre pute. On a fait de moi un déchet, moins qu’un être humain.

Le traumatisme me montre cela clairement.

Le traumatisme me montre clairement les prostitueurs – il n’y a aucune raison d’excuser sans fin tout homme qui fait le choix d’acheter des personnes prostituées.

Le traumatisme voit clairement qu’aucun homme ne peut acheter des prostituées par accident ou à cause d’une pression de ses pairs. S’il branche son ordinateur, s’il se rend en voiture dans une zone de prostitution de rue, s’il va dans un bordel, s’il commande une escorte par téléphone, s’il va dans un club de striptease, c’est toujours son choix, et quelle que soit la pression de ses pairs ou de son travail, tous les hommes peuvent faire le choix de ne pas acheter un autre être humain, et beaucoup le font.

Le traumatisme voit trop clairement que lorsque le prostitueur fait le choix d’acheter la prostituée, il a fait le choix de la posséder et de la contrôler. Il va prendre pour acquis qu’elle est une marchandise et n’a donc pas de droits humains.

Dans ce contexte, il est normal de violer la prostituée, il est normal de copier toutes les scènes de la porno violente, il est normal de la violer à plusieurs, il est normal de l’étouffer en lui plongeant son pénis dans la bouche, il est normal que l’on pratique la torture sur son corps et sur son esprit.

La prostituée est considérée comme une non-personne, donc tout cela est normal.

Le traumatisme m’a appris tant de leçons.

La leçon que toutes les femmes hors de l’industrie du sexe vivent elles aussi la violence des hommes : elles sont toutes violées, battues, mentalement maltraitées ou menacées mais, pour la plupart d’entre elles, ce n’est qu’une partie de leur vie, et beaucoup ne subissent qu’une forme de violence masculine à la fois.

Toutes les femmes et les filles sont amenées à vivre dans la peur, mais le traumatisme m’a enseigné à quel point les femmes et les filles prostituées vivent dans cette terreur.

Toutes les femmes et filles prostituées, qu’elles soient des escortes de luxe ou sur le trottoir, vivent avec la réalité de toutes les formes de haine et de violence masculine qui leur arrivent de toutes les directions en tout lieu et à tout moment.

La plupart des femmes et des jeunes filles sont confrontées au viol ou à l’agression sexuelle, mais la plupart des femmes non prostituées seraient profondément choquées d’être violées par plus de dix hommes dans leur vie, à moins de se trouver dans une zone de guerre.

Or, la plupart des femmes et des jeunes filles prostituées sont violées par des centaines ou des milliers d’hommes. Il y a tellement d’agresseurs qu’il serait dangereux de se rappeler leur nombre réel, si bien que les prostituées survivent en ne se souvenant pas des visages ou de ce qui s’est passé.

C’est le viol comme routine, le viol comme le rôle qui vous est donné dans la vie, le viol sans le moindre sentiment que ce pourrait être mal car c’est juste la façon dont est la vie.

C’est du viol qui se résume rarement à une simple pénétration, c’est du viol où la torture est toujours en attente d’une ouverture.

Et c’est rarement juste une forme de viol avec torture : les hommes achètent des prostituées pour pousser leurs corps et leurs esprits au-delà des limites de l’endurance humaine.

J’ai suffoqué dans l’eau de bains et de cabinets de toilettes, en même temps qu’on me violait par voie anale.

J’ai été violée à fond de gorge en même temps qu’on m’étranglait.

J’ai subi des viols collectifs par tous les orifices de mon corps, à tel point que je ne savais plus d’où je saignais.

J’ai été tellement torturée que je ne sais pas combien de fois j’ai perdu conscience et combien de fois j’aurais pu mourir.

La mort est si normale dans la prostitution que la plupart des prostituées agissent comme si elle n’avait pas d’importance.

Le traumatisme est insupportable parce que tout ce chagrin oublié revient en avalanche.

Le chagrin pour toutes les prostituées qui pourraient vivre ou ont été assassinées, le chagrin qu’elles aient été rendues moins qu’humaines dans la vie, et anéanties dans la mort.

Le chagrin de ne pas comprendre comment et pourquoi je reste en vie – un chagrin de survivre qui est si intense et terrifiant.

Le traumatisme révèle ce que je ne pouvais comprendre quand j’étais prostituée.

Le traumatisme révèle que les profiteurs du sexe sont hautement organisés, mais qu’ils contrôlent les femmes et les filles prostituées en entretenant l’illusion d’une industrie chaotique et de petite envergure.

Le traumatisme me dit que j’étais isolée et que je prenais de mauvaises décisions, alors qu’en réalité j’étais dans un piège et faisais partie d’un marché d’hommes en quête de pratiques sexuelles sadiques.

Le traumatisme est si épuisant, je ne peux pas continuer.

 Version originale : « How Do You Find Words », 3 octobre 2012

Traduit par Martin Dufresne

Mis en ligne sur Sisyphe, le 9 octobre 2012

Rebecca Mott, survivante et écrivaine


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