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Lise Payette - Poursuivre sa route avec une farouche indépendance d’esprit
Préface au recueil de chroniques de Lise Payette, "Le mal du pays"

14 novembre 2012

par Josée Boileau, rédactrice en chef Le Devoir

Il s’agissait donc de faire une préface à un recueil de textes choisis. « Vous pouvez être personnelle », m’a dit l’éditeur. À l’autre bout du fil, j’ai répondu oui, bien sûr. Et nous nous sommes mis à discuter. C’est qu’il y a tant à dire sur Lise Payette, personnage de notre histoire que notre histoire n’a même pas commencé à reconnaître pleinement. Mark Fortier, jeune éditeur, avait lui-même son propre intérêt, sa propre curiosité qui lui ont donné l’envie de réunir en un livre quelques chroniques du lot que Mme Payette a jusqu’à maintenant publiées dans Le Devoir. Une idée excellente, nécessaire car nous convenions sans peine qu’il y a du repère chez cette femme-là.

Et nous causions, de ses idées à lui, de mes souvenirs à moi - qui remontent à ce fabuleux Appelez-moi Lise qui faisait veiller tard mes parents, ravis d’être fatigués, et auquel moi je n’avais droit que le vendredi, moment béni qui finissait bien la semaine.

Nous causions donc, de tout cela et des années suivantes. J’ai dit des tas de choses, tâté des approches. Mais je ne lui ai pas dit que forcément, en fin de compte, je ne pourrais être que très personnelle. Il ne pouvait pas savoir, lui, que dans le cahier rouge qui traîne sur ma table de travail, celui dans lequel je glissais mes notes de directrice de l’information du Devoir quand j’occupais ce poste il y a quelques années, on trouve un texte bien découpé, bien collé. Un seul. Une chronique de Lise Payette publiée en vue du 8 mars, en 2009, intitulée « La longue marche des femmes ». Une chronique que j’ai lue, relue et annotée afin de me donner la petite poussée nécessaire pour me porter candidate au poste de rédactrice en chef du Devoir. « Les femmes ont tendance à toujours trouver qu’elles ne sont pas suffisamment qualifiées pour les postes qu’on leur propose. » Eh oui. Secoue-toi ma fille ! Elle ne sait pas, Mme Payette, qu’elle m’a grandement aidée dans cette décision. Et je ne l’en ai jamais remerciée.

Merci Mme Payette ... On ne les a pas entendus si souvent ces mots pendant et depuis son dur passage en politique il y a pourtant des décennies de cela. Elle a tellement brisé de moules, tellement secoué le Québec, tellement fait fi des consensus qui sont notre ADN, tellement dit sans chercher à plaire, elle est tellement restée d’une calme assurance quand tout éclatait autour d’elle, elle est tellement l’anti-Janette de notre histoire - tout en la rejoignant dans le souci de nous faire avancer - qu’il est facile d’oublier ce qu’on lui doit. On n’a pas su encore lui rendre véritablement justice. Elle, d’une grande discrétion malgré sa renommée, n’a pas appris l’art de l’autopromotion, pourtant tellement en vogue.

Pour ma part, c’est au détour de témoignages épars que j’ai eu l’impression de mieux la connaître, et de surtout mieux mesurer son apport. Trop jeune pour avoir fréquenté la femme de radio, j’avais été éblouie et amusée par son fabuleux succès à la télévision, où enfin une femme osait mettre en valeur des hommes ma foi fort beaux et qui s’en trouvaient bien embêtés, une femme qui se mêlait de jouer au hockey et qui maniait provocations et sourires avec intelligence. Comme on l’a aimée cette Lise-là, inimitable, inimitée.

Il y eut ensuite la femme politique. La vedette était disparue, la ministre travaillait fort. Le public la suivait de-ci de-là. C’est qu’il y avait tant à suivre en ces temps-là. Puis il y eut la controverse des Yvette, qui dérapa complètement. C’était curieux, ça a causé un malaise ... mais un malaise parmi tant d’autres en ces temps référendaires extrêmement agités. L’admiration revint toutefois d’un seul coup, face à son courage d’avoir été la seule à monter sur scène aux côtés de René Lévesque et de Corinne Côté-Lévesque le triste soir du référendum, désolant contraste avec le 15 novembre 1976 où ça se bousculait sous les projecteurs. La politique ne l’avait pas ménagée, mais elle avait été là jusqu’au bout. Chapeau.

Mais c’est plutôt la suite qui me marqua vraiment, comme tant d’autres de ma génération et de celle d’avant. Qu’était-ce donc que le titre dévastateur de son bilan, publié en 1981 : Le pouvoir ? Connais pas ! Était-ce vraiment là la conclusion de celle à qui j’avais prêté toutes les audaces, dont celle d’être la première à avoir exigé de se faire appeler « la » ministre ? Franchement, je ne comprenais plus rien, moi qui étais une jeune femme à qui on assurait que dans dix ans, le pouvoir quasi tout entier serait féminisé ... (Grande naïveté, gros, gros soupir. Je me suis réconciliée depuis avec l’analyse de celle qui fut ministre ... )

Après, comme tout le Québec, j’ai été abonnée à sa Bonne Aventure, à ses Dames de cœur. Des dames dont nous étions un petit groupe à suivre les aventures même durant de longs mois d’études à Paris, dans cette époque préhistorique d’avant Internet, d’avant même les vidéos. Une copine de Montréal enregistrait les épisodes sur cassette audio - les plates à ruban -, nous expliquait l’action quand le dialogue cessait (« ils s’embrassent », « elle sort de la pièce » ... ), nous postait le tout, et on se passait les épisodes de chambre en chambre à la Maison des étudiants canadiens, boulevard Jourdan à Paris. Du pur bonheur d’initiées auquel les Français de notre entourage ne comprenaient rien.

Puis ce fut le temps des prises de position contestées, sur l’immigration par exemple. Entre-temps, j’étais devenue journaliste au Devoir, et j’ai eu parfois à aller chercher des réactions de Mme Payette. Ce n’était pas simple : même des années plus tard, il restait des traces du contentieux des Yvette, qui avait vu Lise Bissonnette, rédactrice en chef du Devoir de l’époque, s’en prendre à Mme Payette qui avait eu des mots malheureux à l’égard de Madeleine Guay, l’épouse du chef libéral Claude Ryan, ancien directeur du Devoir. De part et d’autre, ce n’était pas le genre d’affrontement que l’on oublie. J’avais parfaitement conscience que Mme Payette acceptait bien davantage de parler à la jeune journaliste que j’étais qu’à l’institution Le Devoir dans les rares occasions où je l’ai croisée. Et je la trouvais bien intimidante ...

Mais il y a un envers aux apparences, une injustice, en fait, dans notre perception des femmes fortes de notre société, et c’est par hasard que j’en ai pris conscience.

De retour au Devoir en 2001 après une éclipse de huit ans, je fus chargée de signer un article revenant sur le 25e anniversaire de la prise de pouvoir du Parti québécois. Dans la foule de gens que j’ai alors interviewés se trouvait un de mes anciens professeurs de droit, très apprécié et aujourd’hui décédé, Claude Masse, qui avait travaillé autrefois à deux projets majeurs : la Loi sur l’assurance automobile et celle sur la protection du consommateur, toutes deux pilotées par Lise Payette, ministre péquiste de la première heure.

Il me raconte l’époque, son implication politique, ce premier gouvernement qui se forme. Et le voilà qui s’enflamme : bien sûr, il y avait René Lévesque pour imprimer sa marque à ce gouvernement qui bouscule tout sur son passage. Mais Lise Payette ... « Il n’y en a plus comme elle à l’heure actuelle », lit-on dans les notes que j’ai gardées de cette entrevue. Elle était active, déterminée, préparée. Admirable. Car « ça jouait dur ». La grande majorité des collègues ministres avaient peur de sa réforme de l’assurance automobile, peur du lobby des avocats
qui avaient déclaré la guerre à ce qui menaçait leur gagne-pain. Lise Payette, qui n’était pas là pour elle mais pour le bien commun, n’en avait cure. Même si, elle le dit dans son livre, tout ce dossier fut une véritable épreuve. Il fallait, pour passer à travers, une politicienne hors pair, plus forte que les vulgaires jeux de pouvoir. C’était tout un combat, surtout pour une femme qui ne pouvait, eIle, compter sur le soutien des réseaux de copains auxquels ont généralement droit les hommes qui occupent de hautes fonctions. Les propos de Claude Masse, tout à coup, me faisaient prendre la mesure et du défi, et de la victoire.

Lise Payette l’intimidante, la distante, commença alors à prendre pour moi un autre visage. Avions-nous vraiment réalisé que cette femme est arrivée en politique avec une célébrité hors du commun et qu’elle fut pourtant immédiatement plongée dans des dossiers techniques, obscurs, difficiles, exigeant d’avaler bien des couleuvres et de s’oublier pour les autres ?

Et, en dehors de la politique, où il est vrai que la reconnaissance semble contre nature, lui accorde-t-on au moins le crédit de tous ses faits d’arme ? Un exemple : cette Saint-Jean du Mont-Royal, en 1975, devenue mythique et dont encore aujourd’hui on nous rappelle Ginette Reno, Jean-Pierre Ferland, le premier Gens du pays de Vigneault ... Cette fête-là, on ne souligne jamais que c’est à Lise Payette qu’on la doit en tant que présidente du comité organisateur. Tant d’autres en auraient fait le porte-étendard de leur gloire personnelle. Pas Lise Payette. Pas le genre à se vanter, pas le genre à gémir. Bien plutôt à continuer sa route avec une farouche indépendance d’esprit.

C’est là un genre rare qui ne mise ni sur la gloire, ni sur la richesse, ni sur le pouvoir, mais sur cette chose fragile qu’on appelle valeurs : croire aux femmes, sans croire qu’elles y sont arrivées ; croire au monde ordinaire, si souvent victime d’une élite qui n’a rien à faire du sort du monde ; croire au Québec, assumé, autonome et qui finira bien par y arriver ; croire à l’absolue nécessité du collectif plutôt qu’aux privilèges individualistes qui sont la marque de notre temps.

En renouant avec le journalisme, il y a quelques années, Lise Payette nous a permis de refaire connaissance avec la femme politique qu’elle était avant même d’être ministre, la femme aux choix sociaux réfléchis, assumés et revendiqués, que cela plaise ou non. Une femme droite qui ne pouvait trouver, en dépit de maux passés, que tout naturellement sa place au sein des pages du Devoir.

C’est mon prédécesseur, Jean-Robert Sansfaçon, qui eut l’idée, en 2007, de l’approcher alors que, par principe, Mme Payette avait suspendu sa collaboration au Journal de Montréal pour ne pas que sa chronique soit reprise dans Le Journal de Québec, où un conflit de travail sévissait. Lui cherchait justement une plume féministe, souverainiste, social-démocrate, une femme solide qui avait l’expérience des affaires publiques. Elle fut honorée, surprise. Dans sa première chronique signée pour nous et qui ouvre ce recueil, elle fait d’ailleurs état de ses sentiments, avec la franchise brutale qui lui est coutumière. En terminant par un surprenant : « Peut-être bien qu’on m’adoptera. »

Des années plus tard, cette conclusion me fait toujours sourire : 50 ans de vie publique dans sa besace, et malgré tout oser ce doute ! Il aurait fallu à la Lise Payette de 2007 une certaine chronique écrite en mars 2009, collée dans un grand cahier rouge où l’on peut lire : « Les hommes, c’est le contraire. Même avec un tout petit bagage, ils sont convaincus d’être les candidats parfaits pour tous les postes qui les avantagent. »

Lise Payette était en 2007 la personne parfaite pour la réflexion que nous souhaitions publier, celle de quelqu’un qui a beaucoup vécu sans perdre sa société de vue. Elle reste la chroniqueuse parfaite aujourd’hui, alors que le Québec, englué dans ses affaires - les petites et les scandaleuses -, s’est enfin mis à se réveiller et à se demander dans quel avenir il voulait vivre. Cinquante ans d’action, c’est maintenant plus que jamais que ça peut servir ! Abordant la fabuleuse grève étudiante qui marque le printemps 2012, elle a écrit : « C’est, comme l’était la Révolution tranquille, un projet de société que nous avons devant nous. Pas un caprice d’enfants gâtés, pas une folle dépense comme certains le disent, mais un choix de société. » Et c’est en toute connaissance de cause, mieux que bien d’autres, qu’elle peut conclure : « Rangez-vous du côté de vos enfants. Ils savent ce qu’ils font. »

La fameuse chronique de mars 2009 est reprise dans ce recueil, avec beaucoup d’autres dont le titre claque au vent : « Are you bilingue ? Tsé veux dire ! », « Les raisins de la colère », « J’attends mon dissident », « Qui mène le monde ? » ... Le sens de l’engagement, de l’indignation, de l’intégrité, de l’égalité et de la transmission sont le fil conducteur, semaine après semaine, des chroniques que Mme Payette signe pour nous depuis maintenant cinq ans. Ce recueil donne un riche aperçu de la vivacité de la pensée, de la cohérence de l’analyse et des convictions profondes qui animent cette femme pas comme les autres. Et qui nous ressemble aussi.

Que cette lecture vous soit inspirante, que Mme Payette en soit remerciée.

Le mal du pays, éditions Lux, Montréal, 2012. Site Internet de Lux.

* Merci aux éditions Lux d’autoriser la publication de ce texte sur Sisyphe.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 12 novembre 2012

Josée Boileau, rédactrice en chef Le Devoir


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