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La laïcité est un outil essentiel qui permet aux femmes de continuer d’avancer

1er décembre 2012

par Christiane Pelchat, déléguée générale du Québec à Mexico

Christiane Pelchat est co-récipiendaire, avec Caroline Beauchamp, du prix Condorcet-Dessaules 2012. Elle a été présidente du Conseil du statut de la femme du Québec pendant 5 ans et occupe depuis 2011 le poste de Déléguée générale du Québec au Mexique. Le 18 novembre dernier, à la remise du prix par le Mouvement Laïque du Québec, une amie de l’auteure a prononcé en son absence l’allocution ci-dessous préparée par Mme Pelchat.



Je suis très honorée et touchée de recevoir le prix Condorcet-Dessaules décerné par le Mouvement laïque du Québec, avec ma collègue et maintenant amie, Caroline Beauchamp.

D’emblée, j’aimerais dédier ce prix à chacune des membres du Conseil du statut de la femme du Québec qui ont siégé avec moi de 2006 à 2011. Les membres du CSF sont nommées en vertu de la loi du CSF qui prévoit que le gouvernement désigne des femmes qui représentent tous les milieux de notre société : le milieu syndical, le mouvement féministe, le milieu universitaire, le secteur économique en plus des femmes déléguées par les ministères partenaires.

Le rôle des membres est de donner des orientations et d’adopter des recherches, des avis destinés à l’État pour enrayer la discrimination systémique dont sont l’objet les Québécoises encore aujourd’hui. Sans l’inspiration et sans l’appui des membres du CSF, la trilogie portant sur le thème Égalité des femmes et libertés de religion n’aurait pas vu le jour.
Il y a longtemps que le CSF le dit : laïcité rime avec égalité de même qu’égalité rime avec laïcité. Les femmes savent depuis toujours que devant Dieu, les humains ne sont pas tous égaux. En fait, l’existence même du Conseil est due aux demandes des féministes, dont plusieurs suffragettes ayant lutté contre le clergé catholique pour l’obtention du droit de vote. Il n’est pas inutile de le rappeler : le Conseil du statut de la femme est né dans la foulée de la séparation de l’État et du religieux, séparation qui a permis la « libération » de la femme au sens propre.

Dès le premier mois de mon arrivée au Conseil, j’ai été amenée à me pencher sur les menaces au droit des femmes à l’égalité engendrées par les accommodements raisonnables accordés en vertu de la liberté de religion.

Ma réflexion n’était pas complétée et je savais que nous assistions, et ce n’est pas banal de le rappeler, au débat « droits individuels » versus « droits collectifs ». La question qui se posait était de savoir si une personne pouvait refuser de recevoir des services publics rendus par une femme au nom de sa liberté de religion.

Une tendance certaine était en train de se dessiner. Un homme pouvait demander de ne pas être servi par une femme comme examinatrice pour son permis de conduire parce que sa religion l’empêche d’être seul avec elle dans un espace fermé.
De plus en plus, au nom de l’équilibre des droits, de la non-hiérarchisation des droits - et du relativisme culturel -, devions-nous accommoder ces hommes et remplacer la femme par un homme pour donner le service. « Mais qu’est-ce que ça fait ? », entendions-nous de la part d’intellectuels, de députés, de chroniqueurs, pire, de juristes.

Devant les risques d’un retour en arrière et devant l’atteinte aux principes de l’égalité entre les femmes et les hommes, les membres du Conseil m’ont donné le mandat de rédiger un avis pour demander au gouvernement de protéger le droit à l’égalité et le droit à la dignité humaine.

C’est ainsi que la juriste Caroline Beauchamp a été retenue pour rédiger le premier avis du Conseil intitulé Droit à l’égalité entre les femmes et les hommes et liberté religieuse (Avis sur l’égalité). Nous avons eu aussi le privilège de travailler avec le professeur Henri Brun, constitutionnaliste et expert en interprétation de nos Chartes que je remercie de tout cœur.

J’aimerais rappeler les principaux enjeux de cet avis qui nous ont amenées à la rédaction de l’avis sur la laïcité. Grâce à une analyse historique, sociale et juridique, le Conseil a fait la démonstration que le droit à l’égalité entre les sexes ne peut être compromis au nom de la liberté de religion. Le CSF a expliqué comment la valeur d’égalité entre les femmes et les hommes est une valeur fondatrice de notre société et du vivre-ensemble, au même titre que la promotion et la protection du fait français et de la séparation de la religion et l’État.

Nous avons établi que l’égalité entre les femmes et les hommes, valeur et droit collectif, peut être un frein au droit individuel de la liberté de la religion au même titre que la primauté du fait français et la protection de la langue française permettent de limiter la liberté d’expression et d’imposer la fréquentation de l’école en français, d’imposer le français comme langue de travail, langue d’administration publique, et d’obliger l’affichage commercial uniquement en français. Ainsi, l’égalité des femmes ne peut être bafouée par un accommodement raisonnable.

Nous avons donc demandé une modification à la Charte québécoise pour que soit affirmé que l’égalité entre les femmes et les hommes est une valeur fondamentale et structurante pour notre société. Comme le dit le professeur Charles Taylor : « L’État est l’expression politique d’un peuple, il doit pouvoir trouver un équilibre entre l’intérêt général et les droits des particuliers. »

Il revient au législateur et au gouvernement d’exprimer la volonté politique du peuple.

C’est ainsi que la ministre de la Condition féminine de l’époque, Christine St-Pierre, a déposé et fait adopter le projet de loi 63 qui, pour la première fois, introduisait le mot « femme » dans la Charte québécoise des droits et libertés par la modification du préambule de la charte.

Aujourd‘hui, son préambule affirme notamment ceci :

Considérant que le respect de la dignité de l‘être humain, l‘égalité entre les femmes et les hommes et la reconnaissance des droits et libertés dont ils sont titulaires constituent le fondement de la justice, de la liberté et de la paix.

Et l’article 50.1 a été ajouté afin de préciser que les
« droits et libertés énoncés dans la présente charte sont garantis également aux femmes et aux hommes ».

Nous étions et nous sommes toujours convaincues que ces modifications à notre charte soutiendront la volonté du gouvernement d’interdire une atteinte à l’égalité des sexes par un accommodement raisonnable au nom de la liberté de la religion.

L’avis sur la laïcité a aussi été précédé d’un autre avis touchant l’égalité des femmes, cette fois en regard de la polygamie au Canada. Cet avis, sous la plume de Yolande Geadah, illustre éloquemment combien la polygamie est un système qui avilit les femmes et aussi porte atteinte aux droits des enfants. Cet avis a été déposé à la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans le cadre de la requête des mormons pour faire invalider l’interdiction de la polygamie au Canada.

On peut dire que ces deux avis ont mis la table pour le dernier avis sur la question intitulé : Affirmer la laïcité, un pas de plus vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.
Pour la première fois, dans le contexte québécois, un avis étoffé vient expliciter comment la religion et l’égalité des femmes sont antinomiques. Nous avons repris l’exemple de la conquête du droit de vote des Québécoises pour montrer combien religion et égalité ne font pas bon ménage. La volonté du clergé québécois de garder les femmes dans une situation d’infériorité, de servante de la famille et de les cantonner dans l’espace privé s’est exprimée avec force lors du combat des femmes durant plus de 30 ans pour obtenir le droit de vote. Cet épisode de l’histoire des droits des femmes est encore très frais dans la mémoire de plusieurs femmes et hommes du Québec et traduit éloquemment les résistances auxquelles se butent les femmes qui se battent pour leurs droits.

Nous avons aussi illustré que de tout temps, les trois religions monothéistes basées sur le modèle patriarcal ont - et c’est toujours le cas aujourd’hui - infériorisé les femmes et considéré que le seul rôle de la femme est celui de reproductrice de la race humaine. Même l’ancien président Jimmy Carter, pourtant un baptiste très croyant, affirme que « les religions sont l’une des principales causes des atteintes aux droits des femmes ».

J’aimerais citer un extrait de l’avis du CSF, que je remercie au passage de m’avoir autorisée à citer certains de ses écrits :

« La distinction et la hiérarchisation entre les sexes sont bien présentes dans les trois religions monothéistes. Ce message de l’infériorité des femmes a été transmis à partir des textes fondateurs – la Bible et le Coran – qui ont fait l’objet de multiples interprétations. Ces interprétations portent aussi la trace des connaissances et de la culture de l’époque. On y retrouve entre autres une vision du monde et une représentation du rôle de l’homme et de la femme, en particulier à travers l’image masculine de Dieu, l’interprétation du récit de la création et de celui du péché originel qui marqueront profondément la place et le traitement réservés aux femmes. Le discours religieux demeure incapable de concevoir que l’homme et la femme puissent remplir des fonctions identiques. Les différences biologiques seraient voulues par Dieu, et justifient le maintien de rôles sociaux distincts. Encore en 1988, l’Église catholique définit la femme essentiellement par sa capacité de mettre au monde un enfant.

Dans une lettre rédigée avant qu’il ne devienne pape, le Cardinal Ratzinger mentionnait que la femme, bien qu’égale à l’homme, a un rôle différent et ne peut revendiquer une réelle égalité :
« Une première tendance souligne fortement la condition de subordination de la femme, dans le but de susciter une attitude de contestation.
[…]
La femme garde l’intuition profonde que le meilleur de sa vie est fait d’activités ordonnées à l’éveil de l’autre, à sa croissance, à sa protection, malgré le fait qu’un certain discours féministe revendique les exigences « pour elle-même ».
[…]
[Ce] que l’on nomme « féminité » est plus qu’un simple attribut du sexe féminin. Le mot désigne en effet la capacité fondamentalement humaine de vivre pour l’autre et grâce à lui. »

Nous le savons, aucune religion ne traite les femmes sur le même pied que les hommes. Cette seule démonstration devrait suffire à ce que nous puissions vivre dans une société où la séparation du religieux et de l’État est complétée et où la dignité humaine est reconnue également aux femmes et hommes.

L’avis sur la laïcité demande au gouvernement de modifier la Charte québécoise pour y inclure le principe de laïcité et de ce fait d’évacuer le nouveau concept de laïcité ouverte que nous avons qualifié de laïcité ouverte à l’atteinte aux droits des femmes.

Pour nous, le maintien du statu quo ouvre la porte aux manifestations religieuses sexistes et discriminatoires au sein de l’État. Le statu quo permet aussi une atteinte à la liberté de conscience et aussi à la liberté de religion.

Dans cet avis, nous avons aussi expliqué comment la laïcité ouverte porte atteinte aux valeurs de la société québécoise qui s’affirment et se déploient à travers la politique interculturelle adoptée par le gouvernent depuis les années 1970. La politique interculturelle a été adoptée en réaction à l’adoption par le gouvernement canadien de la politique multiculturelle qui veut que toutes les cultures soient égales au Canada. L’interculturalisme au contraire postule que le Québec est garant de valeurs et de droits collectifs qui rassemblent et favorisent le vivre-ensemble. Ces valeurs que, je le rappelle ici, sont la protection du français comme langue commune, la laïcité et l’égalité entre les femmes et les hommes, ces valeurs, dis-je, sont également réitérées depuis quarante ans par les autorités publiques de toutes tendances politiques.

À l’opposé, la politique du multiculturalisme a pour effet que les humains sont identifiés en fonction de leur rattachement à une culture particulière.

Pour que les valeurs soutenues par la politique interculturelle québécoise soient bien comprises et adoptées par les nouveaux arrivants, le gouvernement a élaboré un contrat moral à leur intention. En effet, depuis 2008, les candidates et candidats à l’immigration doivent signer une déclaration par laquelle ils s’engagent à adhérer aux principales valeurs communes du Québec qui, outre la langue française, sont énoncées ainsi :

« Le Québec est une société libre et démocratique.
Les pouvoirs politiques et religieux au Québec sont séparés.
Le Québec est une société pluraliste.
La société québécoise est basée sur la primauté du droit.
Les femmes et les hommes ont les mêmes droits.
L’exercice des droits et libertés de la personne doit se faire dans le respect de ceux d’autrui et du bien-être général. »

L’État québécois doit parachever la laïcité en marche depuis cinquante ans en enchâssant ce principe dans la Charte québécoise et en se dotant d’une loi déployant cette laïcité. Ce faisant, le gouvernement se donne l’outil pour vraiment protéger l’égalité des femmes, pour protéger la liberté de conscience et de religion et pour donner de la crédibilité au contrat moral qu’il demande aux nouveaux arrivants de signer pour favoriser le vivre- ensemble dans cette société d’accueil.

Les mesures que l’on propose pour donner vie à la laïcité comme mode d‘organisation entre les principes de liberté de conscience, séparation de l’Église et de l’État, d‘égalité entre les citoyennes et citoyens, ne sont pas les seules que devrait prévoir le gouvernement.

Nous souhaitons que soit interdit le port des signes religieux par les fonctionnaires de l’État et nous souhaitons aussi des changements au cours d’Éthique et culture religieuse pour que l’État, enfin, se soustraie de l’enseignement du religieux.

La séparation de l’État et de la religion commande au gouvernement de ne pas s’associer au religieux afin de justement respecter la liberté de conscience et de religion. Accepter que durant leurs heures de travail des fonctionnaires portent des signes religieux, c’est associer l’État au religieux et enfreindre la liberté de religion au même titre que de faire la prière aux conseils de ville, qui a été jugé comme enfreignant la liberté de conscience et religion.

Aussi, pour respecter l’égalité des sexes comme fondement de la justice et de la liberté et de la paix comme le prévoit maintenant la Charte des droits et libertés, nous ne pouvons permettre le port de signes religieux ostentatoires par les fonctionnaires a fortiori s’ils sont eux-mêmes signe de l’infériorité des femmes et qu’ils perpétuent cette infériorisation.

Recevoir un tel prix est un honneur et j’en remercie le Mouvement Laïque du Québec. Je suis très heureuse de le partager aujourd’hui avec Caroline Beauchamp et je tiens à le dédier également aux membres du Conseil du statut de la femme.

Je crois que toutes ces petites pierres que les femmes posent jour après jour, année après année, siècle après siècle, nous ont amenées quand même pas mal loin. La laïcité est un outil essentiel pour permettre aux femmes de continuer d’avancer ici, mais également partout dans le monde. C’est aussi à toutes ces femmes qui luttent ailleurs contre les discriminations, parfois au péril de leur vie, que je dédie ce prix Condorcet-Dessaules.

 Mme Pelchat tient à remercier le Conseil du statut de la femme qui l’a autorisée à utiliser plusieurs extraits de ses documents.

Avis Affirmer la laïcité, un pas de plus vers l’égalité réelle des femmes et des hommes, Conseil du statut de la femme, Gouvernement du Québec, 2011.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 21 novembre 2012

Christiane Pelchat, déléguée générale du Québec à Mexico


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