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En studio avec Ruth ! "Je crois sincèrement que la traite humaine et la prostitution fonctionnent de pair"
Entrevue de Bridget Perrier, survivante de la traite des enfants

1er février 2013

par Ruth Jacobs

Bridget Perrier, survivante de la traite des enfants, est éducatrice des Premières Nations et co-fondatrice de l’organisme Sextrade101, seul groupe canadien géré par des femmes ayant vécu la prostitution.



RUTH JACOBS - Comment en êtes-vous venue à vous engager pour l’abolition de la traite des personnes ?

Bridget Perrier - La raison pour laquelle je me suis jointe à ce mouvement est mon passé en tant qu’enfant survivante et que porte-parole des enjeux des Premières Nations. J’ai vu que les femmes des Premières Nations étaient très peu représentées dans le mouvement. J’ai aussi puisé dans mon expérience comme enfant victime de la traite. J’ai été exploitée très jeune, et j’ai senti que les adultes, les professionnels et ceux de ma famille n’ont absolument rien fait pour m’aider ; à certains égards, ils et elles ont aggravé ma situation. J’en avais assez d’être méprisée et blâmée par la société.

Au Canada, il y a tellement de filles des Premières Nations qui se retrouvent captives du cycle d’exploitation - nous les voyons piégées aussi jeunes qu’à onze ans. Il y a aussi un nombre extrêmement élevé de femmes des Premières Nations qui disparaissent ou sont trouvées assassinées ; on estime leur nombre à 3000. On est plus susceptible d’être affectée par le colonialisme quand on appartient aux Premières Nations.

J’ai également été bouleversée par le recours constitutionnel récent où l’on tente de faire légaliser la prostitution. Je crois sincèrement que la traite humaine et la prostitution fonctionnent de pair. J’ai la conviction qu’en tant que femme des Premières Nations, j’ai besoin d’être une voix forte et un modèle pour mes compatriotes, particulièrement pour nos filles.

R.J. : Qu’est-ce qui vous amène à appuyer les personnes réduites en esclavage par les trafiquants et à défendre leurs droits ?

B. P. - Je pense que ce sont mes propres expériences qui m’ont aidée à être en mesure de soutenir les femmes ainsi piégées. Je pense aussi que j’ai une compréhension beaucoup plus profonde de l’aspect psychologique et social de la traite et de l’exploitation. J’en ai marre des gens qui croient pouvoir aider une survivante mais finissent par la contredire et causer plus de dégâts que de bien. C’est si merveilleux quand je vois une victime se transformer en survivante – pour moi, c’est comme regarder mon enfant faire ses premiers pas. Je le fais pour les survivantes et pour les empêcher d’avoir à faire l’impensable. Nous devons comprendre que cela n’est pas un « choix » et que les petites filles n’aspirent pas à répondre aux besoins d’une multitude d’hommes différents.

R.J. : En quoi consiste votre travail ?

B. P. - Je fais un travail d’éducation populaire, de défense de droits et d’apport de changements aux lois. À Sextrade101, nous formons le seul groupe canadien géré par des femmes ayant vécu la prostitution. Nous travaillons aux côtés de policiers et de législateurs afin de pouvoir faire un travail véritable et honnête de sensibilisation et de réfutation des mythes, comme celui que la prostitution relève d’un « choix ». Nous devons examiner quels rôles jouent également nos communautés face à la traite et aux trafiquants.

R.J. : À votre avis, quelles améliorations ou changements juridiques pourraient aider à abolir la traite des personnes ?

B. P. - Je pense que nous devons mettre en œuvre une législation qui fasse rendre des comptes aux demandeurs. Nous devons aussi commencer à faire pression sur ces acheteurs en les enregistrant comme des délinquants sexuels et en les tenant pour responsables de leurs actes. Certains pays qui ont adopté le modèle nordique ont connu une baisse importante de la prostitution et de la traite à des fins sexuelles. Nous devons interpeller nos communautés et exiger de nos municipalités qu’elles fassent un effort en ne permettant pas l’octroi de permis à des salons de massage, des clubs de striptease et des agences d’escorte.

R.J. : Que peuvent faire pour aider celles et ceux qui voudraient s’engager ?

B. P. - Nous avons besoin que les communautés épaulent et appuient nos femmes en leur fournissant des logis sûrs et abordables, des ressources d’éducation et d’emploi, et un travail de rééducation des personnes qui croient que la prostitution est un « choix ». Nous avons aussi besoin de faire front commun contre la légalisation de la prostitution parce que cela n’arrive pas seulement à la fille de quelqu’un d’autre, cela pourrait arriver à la vôtre.

R.J. : Quels sont vos projets d’avenir ?

B. P. - Mes projets sont nombreux, je voudrais terminer ma scolarité de droit, continuer à élever mes quatre enfants et, bien sûr, poursuivre mon travail de militante pour la justice sociale. Je vois aussi Sextrade101 prendre de l’expansion et continuer à servir de voix unifiée afin que nous puissions assurer la sécurité de nos femmes et la formation de nos collectivités.

Sites recommandés / lectures complémentaires :

* Sextrade101
* From a Texas car wash, an argument for legalizing Canada’s prostitution trade
* Child prostitution victims call for group home changes

 Texte original en anglais.

Traduction : Martin Dufresne

© Droits réservés : Ruth Jacobs et Bridget Perrier, 2013.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 21 janvier 2013

Ruth Jacobs


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