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Le nikab, ce cachot pour femmes

10 février 2013

par Sam Haroun, enseignant et auteur

Triste décembre 2012 pour les libertés au Canada ! Le nikab a maintenant fait son entrée dans nos tribunaux, et c’est pour y demeurer, ainsi que, probablement demain, dans les autres institutions publiques. Notre premier réflexe serait d’imputer la responsabilité de cette décision aux juges de la Cour suprême : nous aurions tort car les juges disent la loi, ils ne la font pas. Ce sont les insuffisances et les inconséquences de la Charte canadienne des droits et des libertés qui sont à l’origine de cette lamentable affaire. À la différence de la constitution américaine qui, grâce au Premier Amendement relatif à la séparation de l’État et de la religion, limite la liberté de religion et sert de frein à l’intrusion du sacré dans l’État, notre constitution n’oppose aucun contrepoids ni à la suprématie de Dieu du préambule ni à la liberté de religion de l’article 2 ni au multiculturalisme de l’article 27. L’état actuel de notre droit privilégie l’accommodement plutôt que le principe, le compromis et le flou plutôt que la ferme précision du texte. Le législateur, mué en Ponce Pilate, laisse aux juges le soin de combler, autant que faire se peut, les déficiences du texte. Il n’est donc pas étonnant que nous soyons entraînés de hijabs en nikabs et d’accommodements en abdications.

Ne nous y trompons pas ! Le niqab signifie, pour la femme, la réclusion loin du monde des vivants, l’exil intérieur au royaume des ténèbres. C’est le retour marqué au péché originel dont le premier et plus important effet est la stigmatisation de la chair de la femme. « Je multiplierai les peines de tes grossesses, dans la peine tu enfanteras tes fils. Ta convoitise te poussera vers ton mari et lui dominera sur toi ». C’est la première fois que Dieu s’adresse à la femme, et c’est pour la condamner ! Condamnation sans appel : la concupiscence, elle l’incarne, elle en porte le maléfice. La chair est impure. La chair de la femme est impure. Subornée par Satan, Ève a suborné Adam. Sa culpabilité, évidente, contamine l’homme. Elle doit donc être isolée, se voiler la face et envelopper son corps de peur de répandre son maléfice sur le reste du monde.

La Bible et les femmes

L’impureté de la femme est sans cesse rappelée dans la Bible et le Coran. Elle pèse sur la femme comme une malédiction. Lors de la campagne militaire contre les Madianites, Moïse s’emporta contre les commandants qui, par pitié, capturèrent les femmes sans les tuer : « Pourquoi avez-vous laissé la vie à toutes les femmes ? Ce sont elles qui [...]ont été cause que les enfants d’Israël se sont pervertis en reniant Yahvé [...] : d’où le fléau qui a sévi sur la communauté d’Israël ». Car « C’est par la femme que le péché a commencé, et c’est à cause d’elle que nous mourons ». Dans l’Ancien Testament, la femme n’a droit qu’à une identité réduite, atrophiée de surcroît par la honte et la culpabilité. Et si, dans les Évangiles, Jésus-Christ traite les femmes avec sollicitude, prend la défense de la femme adultère et de la prostituée, et s’affiche avec les Samaritaines, mal vues par les Pharisiens, saint Paul et ses disciples, de saint Augustin aux dogmatiques clercs de nos jours, se sont évertués à restaurer l’image de la femme impure, porteuse du péché originel. « [...] la femme doit porter sur sa tête la marque de sa dépendance ». La marque de sa dépendance signifie que la femme est tenue de se couvrir la tête en signe d’humilité et de soumission. Plus tard, au IIème siècle, Tertullien s’adresse à la femme en ces termes : « Elle vit encore, la sentence de Dieu contre ton sexe. Vis donc, il le faut, en accusée. C’est toi la porte du diable [...] ». Puisque la chair de la femme est coupable, la virginité devient une valeur théologique suprême.

La concupiscence, fille du péché originel, nous habite depuis la naissance. « Était-ce un péché de convoiter le sein en pleurant ? Si je convoitais maintenant avec la même ardeur, non pas le sein nourricier mais l’aliment convenable à mon âge, on me raillerait et on me reprendrait à bon droit. Ce que je faisais était répréhensible [...] Oui, c’était une avidité mauvaise ». Mais l’enfance est inconsciente ; avec l’adolescence et l’âge adulte, la concupiscence prend une ampleur incontrôlable, elle est fornication, ténèbres sensuelles, débauche. La notion d’impureté revient sans cesse, impureté de soi et infection de l’autre, le diable est dans ces mauvaises semences. Le salut est dans l’abstinence totale, les amours terrestres sont viles, souillées. On est saisi par la même frayeur devant les œuvres de chair et la même volonté de rejeter la femme, porteuse du péché. L’éros, voilà l’ennemi ! Mais la nécessité de reproduire l’espèce nous contraint à pratiquer l’acte sexuel : dès lors, nous pouvons le faire sans joie ni plaisir. comme un travail forcé, une corvée indispensable à la gloire de Dieu. Le pape Jean-Paul II ne pensait-il pas encore récemment « [...]qu’un homme ne pouvait, même dans le cadre du mariage, regarder sa femme sans que cela soit impudique ».

L’islam et les femmes

La concupiscence, issue du péché originel, incrimine la femme, et la place, dans la théologie biblique, en retrait par rapport à l’homme, elle lui est soumise de droit divin. La femme n’est pas mieux lotie dans l’islam, et la réclusion y est poussée à son extrême limite. Venue sur terre après l’homme et créée à partir de celui-ci (Ô Adam ! Ô Ève), elle est faite pour l’homme. Elle est censée se marier, procréer et satisfaire les désirs de son mari. « Vos femmes sont un champ de labour pour vous : cultivez votre champ de la manière qui vous convient [...] ». Dans la meilleure tradition bédouine du VIIème siècle et énoncée dans la sourate IV, les épouses doivent être chastes (qanitat) et vertueuses (salihat) et en aucun cas, se rebeller contre leurs époux (nûchuz). Lorsqu’elle commettent de tels écarts, l’un des moyens auquel on peut recourir est de les éloigner de leur espace privatif (« exilez-vous d’elles dans le lit : mettez-les à part »).

L’exil intérieur est une forme de réclusion. Ce qui frappe, du reste, dans la condition de la femme dans l’islam, c’est la réclusion qu’on lui impose, soit par la séparation des femmes par rapport aux hommes dans les espaces fermés, soit par le port de voiles et d’autres vêtements à l’extérieur de la maison. À l’origine de cette règle, il y a le fait que le contact avec le monde extérieur autre que familial risque de corrompre le comportement de la femme. Mais une autre raison est liée à la différence entre l’épouse légitime d’une part, et la concubine ou la femme sans attaches familiales d’autre part. Dans la société musulmane traditionnelle, l’épouse représente l’honneur de la famille et du clan, donc elle est obligée de se comporter de la façon la plus réservée et la plus digne possible, c’est-à-dire sans risque de compromettre sa chasteté en se frottant au monde extérieur. En revanche, la concubine ou la femme sans attaches jouit d’une vie plus relâchée et en réalité « plus libre » que l’épouse légitime. Elle peut montrer ses atours et faire la noce à volonté. « Je n’ai aucun souci relatif à ma femme, dit Djahiz à un soldat, puisque je possède ma jument et ma concubine : la première me sert pour les jours sombres de la guerre, et la seconde pour les moments de l’amour ».

Née des mœurs guerrières de la période préislamique, la réclusion devient imprescriptible à partir du moment où Mahomet, suivant la parole d’Allah, lui confère un caractère sacré, y mêlant risque de souillure au contact de l’extérieur et infériorité de la femme. Elle illustre la dégradation de la femme et les contraintes excessives de la vie sociale. Depuis la révélation divine, la femme est assujettie, outre aux hommes de son clan, à l’empire de Dieu qui transforme cette soumission en un dogme inaltérable. « Ô Prophète, dis à tes femmes, à tes filles, aux femmes des croyants d’abaisser sur leur front leur djilhab, on les distinguera par là, et elles ne seront pas exposées à être insultées ».

Le niqab est l’ultime illustration de la réclusion. C’est le stigmate de l’impureté que porte la femme depuis la Création. La femme est a priori coupable. Par conséquent, elle n’a pas le droit de montrer sa féminité, d’affirmer sa dignité et de s’afficher en public. Qu’en l’an de grâce 2012, la Cour suprême de l’une des démocraties les plus avancées du monde confère la légitimité à une pratique médiévale, contraire aux principes d’égalité et de liberté, nous autorise à soulever de sérieuses questions sur le bien-fondé de certaines dispositions de notre Charte des droits et des libertés.

L’auteur

D’origine libanaise, diplômé de l’Université de Lyon et de l’UQAM, Sam Haroun est enseignant de métier. Il vit au Québec depuis 1975. Son expérience de trois cultures : arabe, française et québécoise, a fait de lui un défenseur ardent et éclairé de la laïcité. Il est l’auteur d’un essai sur la laïcité au Québec, L’État n’est pas soluble dans l’eau bénite (Septentrion, 2008). Il a également publié dans la revue de L’Action nationale (déc. 2012) un compte rendu du livre de Gérard Bouchard sur l’Interculturalisme au Québec.

Mise en ligne sur Sisyphe, le 4 février 2013

Sam Haroun, enseignant et auteur


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