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Viol - Dans un party près de chez vous

8 mai 2013

par Martin Dufresne

Si avril est le mois de la sensibilisation au problème des agressions sexuelles, c’est un tsunami d’événements qui secoue nos perceptions ces derniers temps.

Il y a d’abord eu, en 2011, le scandale de viols de garçons, commis de longue date par l’entraîneur-chef d’une équipe de football de l’Université de Pennsylvanie, Jerry Sandusky, mais surtout celui de sa protection par les plus hauts dirigeants de l’université – durant 14 ans !

En décembre dernier, six hommes ont commis un viol meurtrier dans un autobus à New Delhi (Inde) ; la police a laissé agoniser la victime dans la rue pendant des heures. Les images des manifestations de masse qui ont suivi ont fait le tour du monde. De nouveaux viols sont rapportés périodiquement en Inde – le plus récent, celui d’une fillette de 5 ans, enlevée et agressée durant deux jours, et où la police a tenté d’acheter le silence des parents. Là aussi, des femmes se sont révoltées.

Et une levée de boucliers internationale a finalement forcé, le mois dernier, l’adoption par l’ONU d’une politique criminalisant les viols en temps de guerre, particulièrement endémiques au Rwanda et au Congo (1).

Dans un party près de chez vous

Mais, si nos éditorialistes ont eu beau jeu de minimiser ce problème en déplorant la barbarie de « ces gens-là », des viols plus récents, commis en Amérique du Nord, ont déstabilisé l’idéologie dominante du viol comme pathologie, événement exceptionnel. En effet, les jeunes agresseurs ont tout naturellement filmé et mis en ligne leurs « jeux » et leurs rires. Il en est résulté un harcèlement des victimes qui en a amené au moins deux à se pendre.

C’est arrivé à Vancouver, à Steubenville (Ohio) et, plus récemment à Halifax, à tel point qu’il devient incontournable de reconnaître que nous baignons dans une culture du viol. La « sexosophe » québécoise Jocelyne Robert vient de signer à ce sujet un billet remarquable (2).

Dans Refuser d’être un homme (M Éditeur, 2013), John Stoltenberg avance la thèse radicale que ce qu’on appelle la virilité est fondée sur une « éthique du violeur », celle du pouvoir que les hommes exercent par principe sur l’autre, comme identité, notamment en sexualité.

Ce pattern, confirmé par les témoignages des agresseurs eux-mêmes, est une chose que disaient féministes et proféministes depuis la publication du livre Le viol, de Susan Brownmiller, mais on leur reprochait d’exagérer et, plus récemment, d’être « anti-sexe », comme si l’un équivalait à l’autre. Malaise…

Dans Le livre noir des violences sexuelles (Dunod, 2013) (3), la psychiatre Muriel Salmona déplore, non seulement des statistiques dévastatrices (une femme sur trois sera agressée par un ou des hommes au cours de sa vie), mais ce qu’elle appelle une « trahison médicale et psychiatrique des victimes ». Elle les voit abandonnées à elles-mêmes après une prise en charge déficiente et culpabilisante, qui l’a scandalisée lors de son internat, en France.

L’auteure a choisi de faire de leur vécu – femmes et hommes – la clé de sa pratique, au sein notamment de l’association Mémoire traumatique et Victimologie. Cela démarque son livre des discours experts traditionnels et en fera, j’espère, un best-seller auprès des laissées pour compte du système.

Mais y aurait-il des pro-viol ?

On peut se le demander à constater qu’au-delà d’une indignation bien-pensante les agressions sexuelles semblent non seulement se multiplier mais être justifiées par certains. La nouvelle arrogance de violeurs de bonne famille – des ados rigolards – trouvent un étrange écho chez des éditorialistes de droite. Ils et elles refusent qu’on parle d’une culture du viol et défendent le système – même si le désir de protéger « nos gars » semble rallier plus de gens que l’exigence de justice. À gauche, en revanche, on voit trop de violeurs continuer à être défendus d’office par leurs organisations, hostiles à toute justice d’État.

Salmona, Andrea Dworkin et d’autres féministes rappellent que ce déni de la violence sexuelle masculine dure depuis des siècles – à titre d’exemple, le viol d’une femme par son mari n’est pénalisé (en principe) que depuis moins de 30 ans au Canada, 22 en Angleterre, et son impunité persiste au Japon et dans une trentaine d’autres pays. En France, un psy réactionnaire chouchou des magazines de mode, Aldo Naouri, a même expliqué, en avril, au magazine ELLE qu’il conseillait à ses patients : « Mais violez-la ! » (4), pour rétablir une sexualité « normale » avec leur conjointe après un accouchement…

Bienvenue au fascisme sexuel

Sans même parler de l’influence d’une pornographie de plus en plus pétrie de viol – tant au niveau des scénarios que de certains tournages ultra-hard –, la violence sexuelle des hommes apparaît donc en voie de normalisation. Après avoir été niée par la « théorie de la séduction » de Freud, la sexualité comme prise de pouvoir est maintenant essentialisée, c.-à-d. mise hors de portée de toute critique politique par les universitaires postmodernes. La sociologue Christine Delphy parle « d’idéologie sadomasochiste » dans une préface provocatrice à Les femmes de droite (Remue-ménage, 2012), de Dworkin.

Et côté prostitution – lire le texte de Yeun au sujet de L’être et la marchandise, de Kajsa Ekis Ekman –, on parle de légaliser cette violence dans des bordels que les survivantes qualifient pourtant de lieux de viol tarifé, et dont elles gardent des psychotraumatismes documentés par la Dre Salmona.

J’entends d’ailleurs un écho de cette normalisation quand l’auteure affirme, mais sans preuves, que tout agresseur serait lui-même quelqu’un qui aurait été agressé impunément dans l’enfance. N’est-ce pas fermer les yeux sur les choix du violeur ordinaire, sur les bénéfices et la jouissance qu’il en tire, sur la culture qui l’encourage, sur le monde politique et judiciaire qui lui déroule le tapis rouge ?

Mais sans doute est-il plus acceptable de présenter les hommes comme eux-mêmes victimes de leurs choix et d’une culture où les femmes ne comptent que comme faire-valoir et comme cibles…

(On peut s’abonner au journal Le COUAC au http://www.lecouac.org (20$ pour 6 mois) ou l’acheter en kiosque au Québec. Il est diffusé par Les Messageries de la Presse Internationale.)

Notes

1. Observatoire international des violences sexuelles dans les conflits armés
2. Oui, nous vivons dans une culture du viol
3. Le livre noir des violences sexuelles
4. Aldo Naouri, le viol et le magazine « ELLE ».

Mis en ligne sur Sisyphe, le 7 mai 2013

Martin Dufresne


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