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Le film "Les criminelles", une infopub pour l’industrie du sexe !

17 juin 2013

par Diane Matte, la CLES, et Danièle Tessier, le RQCALACS

Nous réagissons ici aux propos tenus dans le « documentaire » Les criminelles du réalisateur Jean-Claude Lord qui présente les abolitionnistes de façon biaisée et méprisante. Nous souhaitons remettre les pendules à l’heure. Nous donnons également notre analyse de ce film.

Tout d’abord, soyons très claires, les féministes abolitionnistes croient que les femmes dans la prostitution doivent être décriminalisées. Nos organismes y travaillent ardemment depuis plusieurs années. Tel qu’affirmé par les femmes témoignant dans le film, nous croyons qu’il s’agit là d’une pratique nuisible pour les femmes dans l’industrie du sexe ou celles qui se prostituent pour leur survie et celle de leur famille. Ce que nous souhaitons voir disparaître et criminaliser, c’est l’industrie et l’institution de la prostitution. Nous croyons fermement que la prostitution s’inscrit d’abord et avant tout dans les inégalités sociales et économiques de nos sociétés. Elle mérite de s’y arrêter et d’examiner à quoi elle sert.

Évidemment, il y a diverses réalités dans la prostitution. Certaines femmes affirment y trouver leur compte et pouvoir y entrer et en sortir sans problème. Nous ne pouvons nier leur vécu. Cependant, nous ne pouvons non plus nier le vécu des femmes que nous rencontrons au quotidien et qui crient leurs besoins de s’en sortir, ni le mépris ainsi que la violence qu’elles subissent. Ce mépris vient d’abord et avant tout des clients et, malgré ce que le film tente de passer sous silence, de la violence également. Ce sont, en effet, les clients et les proxénètes qui font vivre le plus de mépris et de violence aux femmes prostituées, pas la loi.

Décriminaliser ces individus tout comme cette industrie multimilliardaire, c’est refuser d’examiner comment la prostitution représente un réel moyen d’exploitation et de domination des femmes. Et surtout, c’est refuser d’examiner pourquoi tant d’hommes consomment du sexe tarifé.

Nous croyons que nous vivons dans une société où les hommes sont encouragés à croire que c’est leur droit le plus fondamental d’accéder au corps des femmes. Tous les jours, dans notre domaine de travail, nous constatons que le « droit à la sexualité » s’opère de manière bien inéquitable à l’endroit des femmes victimes de diverses formes de violence sexuelle. Les statistiques sont là pour nous le rappeler. Dès lors, certains hommes se permettent d’être plus violents parce qu’ils ont payé ou parce qu’ils veulent obtenir la même chose gratuitement. Ces hommes exercent tout simplement le pouvoir que leur confèrent l’argent et une société sexiste.

Les abolitionnistes sont les premières à affirmer que les lois canadiennes actuelles sont déphasées et ne servent, à toutes fins utiles, qu’à cibler davantage les femmes, quelquefois des proxénètes, presque jamais les clients. Les organismes comme les nôtres croient que c’est la pratique d’acheter des actes sexuels que nous devrions, comme société, questionner et cesser de normaliser.

Les femmes subissent le mépris et portent la honte d’être ou d’avoir été dans la prostitution parce que nous refusons, comme société, de reconnaître qu’elles s’y retrouvent majoritairement par manque de choix dans la vie des femmes. Comment fermer les yeux sur le fait que les femmes sont amenées dans la prostitution par la pauvreté qui est encore le lot de plus de femmes que d’hommes ; par la violence sexuelle qu’elles ont déjà subie et qui coupe plusieurs d’entre elles de leur désir et de leur corps (la plupart pratiquent la dissociation ou se gèlent la face pour pouvoir pratiquer ce fameux « métier » !!!). Comment fermer les yeux sur l’énorme pression que subissent plusieurs jeunes femmes face à l’industrie du sexe banalisée et présentant la prostitution comme un moyen de se sentir désirées et « en contrôle ». Enfin, comment fermer les yeux devant le mépris vécu par les femmes autochtones et « racisées » dans la prostitution ?

Et on veut nous faire croire qu’en rendant la prostitution « socialement acceptable », on protège les femmes ?

Les femmes croulent sous le poids du supposé choix. Cela empêche même certaines d’entre elles d’aller chercher de l’aide et fait partie du mépris qu’on leur renvoie (c’est toi qui as choisi ça, personne t’a forcée, tu pouvais partir). Dans les faits, ce sont les hommes qui ont le véritable choix, soit le choix de consommer du sexe tarifé ou non.

Le film est une infopublicité de près de deux heures pour l’industrie et pour l’organisme Stella qui en fait la promotion. Son but, convaincre les femmes que le problème, c’est la loi, et que si l’industrie était décriminalisée, elles seraient capables d’aller se plaindre de la violence qu’elles subissent à la police. C’est mal connaître la dynamique des agressions sexuelles et de la culpabilité qu’on renvoie aux victimes.

Nous savons aussi, par notre pratique, que Stella œuvre auprès des femmes dans un flou contradictoire qu’il est difficile de cerner. Cet organisme convainc des femmes de rester dans la prostitution alors qu’elles les approchent pour en sortir. Ce même organisme a aussi appelé au boycott de la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle invoquant qu’il représentait un danger pour les femmes.

Il est de plus en plus évident, pour nos organismes, que la parole qui est tue, c’est la parole de celles qui critiquent la prostitution et veulent en sortir, ainsi que des groupes tenant à mettre en place des mécanismes pour prévenir l’entrée dans la prostitution et soutenir celles qui y sont ou subissent les conséquences d’y avoir été. Nous ne nous tairons jamais. La prostitution est l’une des formes de violence sexuelle envers les femmes qui demeure les plus taboues.

Quant au film, il entretient l’illusion que c’est juste une question de morale (il va même jusqu’à ramener le tabou de la nudité publique !!! comme argument pour justifier l’existence de cette forme d’exploitation). Le problème serait que la société refuse encore d’accepter une sexualité « hors norme » parce qu’elle est encore trop prude. Il sert de véhicule pour dénigrer publiquement les féministes abolitionnistes et maintenir l’industrie bien en place en disant « vous voyez !! les femmes aiment ça ». Il sert aussi à propager les mensonges utiles à l’industrie du sexe sur l’approche des abolitionnistes.

Le réalisateur fait relater par celle qui est, en fait, une comédienne, et non une femme dans la prostitution, le mythe de la féministe enragée qui veut sauver les femmes à tout prix en allant dans les bars couvrir les seins qu’on ne saurait voir, vraiment !!! Douze abolitionnistes seraient ainsi entrées dans un bar, auraient interrompu une conférence de Stella et couverte celle qui faisait son spectacle d’un drap. Un tel ragot fait plaisir à celles et à ceux voulant faire taire toute critique de l’industrie du sexe, c’est leur mythologie. Voir un réalisateur se prêter à ce jeu, c’est désolant et questionnant.

Encore plus désolant de voir le cinéma Beaubien se défendre d’avoir montré ce film et d’invoquer sa neutralité. Nous sommes plusieurs à avoir dénoncé le cinéma Beaubien et continuons de le faire. Même si Mario Fortin invoque son droit, tout à fait légitime, de choisir les films qu’il veut, il a fait le choix de ne pas choisir celui d’Ève Lamont sur le même sujet, L’Imposture : la face cachée de la prostitution, lorsqu’il était disponible. Nous sommes en droit de nous attendre à plus d’une entreprise d’économie sociale qui veut promouvoir l’innovation et être au service de la communauté.

Nous sommes également estomaquées de voir que la plupart des médias, écrits ou autres, n’ont pas cru bon de demander aux féministes abolitionnistes si les propos et l’image donnés dans le film sont véridiques. Il était désolant d’entendre des journalistes chevronnés essayer de donner la contrepartie au discours banalisant la prostitution tout en affirmant, concernant l’anecdote où des abolitionnistes seraient allées dans un bar : « Je ne savais pas qu’il y avait des extrémistes comme ça !!! Franchement faut se calmer ». D’autres ont associé le fait de remettre en question le choix du cinéma Beaubien de montrer ce film à une position « d’ayatollahs de la morale ». Peut-on élever le débat s’il vous plaît ?

Il y a une offensive juridique en règle depuis quelques années pour arriver à décriminaliser totalement la prostitution au Canada (et pas seulement les femmes qui y sont exploitées). Cela signifie, pour les tenants et les tenantes de cette position, laisser le « libre marché du sexe » prendre toute l’expansion qu’il souhaite, et ce, au nom de la sécurité des femmes. Quant à nous, nous souhaitons plus pour les femmes que la prostitution et nous souhaitons plus pour les femmes dans la prostitution. Nous tenons au débat généré par ce film, car il est important de savoir quelle société nous voulons construire.

Pour avoir plus d’information ou pour obtenir de l’aide : contacter la CLES au 514 750-4536 ou visiter nos sites web www.lacles.org et www.rqcalacs.org

Diane Matte, Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES)

Danièle Tessier, Regroupement québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (RQCALACS)

28 février 2013

Mis en ligne sur Sisyphe, le 15 juin 2013

Diane Matte, la CLES, et Danièle Tessier, le RQCALACS


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