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Loi sur la prostitution en France - « Je ne veux pas d’une société où les femmes ont un prix »

4 décembre 2013

par Najat Vallaud-Belkacem, Ministre des Droits des femmes et Porte-parole du Gouvernement

Vendredi, le 29 novembre 2013, l’Assemblée nationale de France adopté les articles de la loi sur la prostitution qui abolissent le délit de racolage et prévoit pénaliser les clients. Avant l’adoption de ces articles, la ministre des Droits des femmes et Porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, a prononcé une allocution remarquable dont voici la première partie. Vous trouverez à la fin de cette page les liens pour lire ou écouter l’allocution intégrale.



Avant qu’un client puisse acheter une prestation sexuelle, quelque part dans l’une de nos rues ou à la lisière de nos bois, il y a des femmes et parfois des hommes qui sont vendus et achetés, échangés, séquestrés, violés et torturés, trompés, rackettés, spoliés, soumis aux pires aux chantages ainsi que leurs familles et leurs enfants, exportés et importés comme n’importe quelle marchandise, animal ou denrée périssable.

Ensuite, seulement, leur vie de prostitués peut commencer : n’oublions pas, n’oubliez pas avant de les considérer comme des prostituées, qui sont ces êtres humains.

Et si vous manquiez de force pour imaginer ces derniers, pensez seulement à ces jeunes femmes africaines dont le réseau de proxénétisme nigérian a été démantelé hier soir en Espagne, des jeunes femmes dont les enfants de 3 ans avaient été séquestrés attachés aux pieds d’un lit depuis plus de 2 ans, pour obliger leurs mères à se prostituer, d’abord vendue au Maroc avant d’être exploitées en Europe, en France.

Pourquoi tant de violence ? Précisément parce que si la prostitution pouvait être exercée sans répugnance et sans souffrance, il serait moins nécessaire d’utiliser de tels moyens.

Que les visages, les corps, et les destins de ces victimes à jamais abîmées ne vous quittent pas : elles sont l’essentiel de la prostitution aujourd’hui, elles sont l’essentiel du système prostitutionnel.

Un système qui brasse 40 milliards de dollars chaque année, qui enrichit d’abord ceux qui vivent de la traite, du crime, du trafic de drogue.
Un système qui n’existerait pas, si à l’autre bout de la chaîne, il n’y avait pas quelqu’un pour accepter et pour payer.

Pourquoi payer le corps d’une femme ? J’entends les arguments qui s’expriment depuis plusieurs jours de la façon la plus décomplexée. C’est d’ailleurs, ce débat, un moment de révélation pour notre société. Un moment, avec au cœur de ce débat, les travaux du Parlement. Un moment de démocratie aussi.

Pourquoi payer le corps d’une femme ? Parce que cela a toujours été comme ça, disent certains. Les femmes s’achètent, ce serait une loi cachée du monde. Il y aurait dans notre planète une loi de gravité qui ramènerait systématiquement les femmes en dessous des hommes. Quelle chose curieuse et quelle paresse que de s’arrêter là. Je n’ose croire que, parmi vous, vous qui faites les lois et qui en suivez jour après jour, mois après mois, les effets de ces lois, vous puissiez être atteints par cette idée.

« La doctrine de fatalité qu’on nous oppose », disait Jaurès « Je crois pouvoir dire qu’elle est contraire à ce que l’humanité, depuis deux mille ans, a pensé de plus haut et a rêvé de plus noble ». « De quel droit » continuait-il, « De quel droit une société qui, par égoïsme, par inertie, par complaisance pour les jouissances faciles de quelques-uns, n’a tari aucune des sources du crime qu’il dépendait d’elle de tarir, ni l’alcoolisme, ni le vagabondage, ni le chômage, ni la prostitution, de quel droit cette société vient-elle frapper ensuite, en la personne de quelques individus misérables, le crime même dont elle n’a pas surveillé les origines ? »

Ce n’est pas la fatalité qui fait les lois. C’est vous les parlementaires. C’est à vous Mesdames et Messieurs les députés qu’il revient d’éviter que la liberté opprime, et de veiller à affranchir le faible. C’est vous qui avez décidé, c’était à l’époque du général De Gaulle, de la position abolitionniste de la France en matière de prostitution. D’abord en ratifiant la convention de 1949 sur l’exploitation de la prostitution – Faut-il en rappeler les termes ici « la prostitution et le mal qui l’accompagne, à savoir l’exploitation de la personne humaine en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine. » ? Ensuite en renouvelant cet engagement avec la résolution que vous avez adoptée à l’unanimité en décembre 2011. Ce sont les députés qui ont adopté en 1946 la loi Marthe Richard et fermé les maisons closes. C’est votre Parlement qui a réformé le code pénal pour en faire sortir la notion de débauche et renforcer encore la lutte contre le proxénétisme. Mesdames et Messieurs, le mot fatalité n’a pas droit de cité dans votre hémicycle.

Pourquoi admettre que l’on paie le corps d’une femme ? Combien de fois ai-je entendu parler des « besoins irrépressibles » des hommes. « Besoins irrépressibles », cette expression est terrible, insupportable, scandaleuse. Elle revient comme l’ultime justification de la demande de certains hommes d’une perpétuation du droit de cuissage. Il ne s’agit de rien d’autre. Comment y répondre autrement qu’avec des mots simples ? Nous ne sommes pas des bêtes. Nous valons mieux que l’état de nature. Nous devons faire confiance à l’humanité qui est en tout homme et en toute femme. C’est la noblesse même de votre fonction, Mesdames et Messieurs les députés, que de faire ce pari.

Les besoins irrépressibles. Cela me rappelle le rapport d’Alexandre Parent-Duchâtelet, l’un des médecins qui fut parmi les premiers à soutenir des positions réglementaristes et qui assimilait les personnes prostituées à un « réseau d’égouts » ou une « vidange organique ». L’un d’entre vous les a récemment comparées au « sel, au sucre et au gras ». A l’orée de nos travaux sur ce texte, je voudrais vous exhorter au débat le plus digne, le plus respectueux.

Pourquoi admettre que l’on paie le corps d’une femme ? Parce que le client est parfois en souffrance, souffrance sexuelle, sentimentale, affective. Je ne le nie pas que cela existe. Je constate chaque jour la grande détresse dans laquelle sont certains de nos concitoyens. Les violences faites aux femmes ont presque toujours pour origine cette détresse de la part des auteurs. Mais la détresse de l’un ne se soigne pas par l’exploitation de la détresse de l’autre. Elle n’est jamais une justification… Depuis quand notre pays admettrait-il que la liberté aille au-delà de ce qui ne nuit pas à autrui ? Depuis quand privilégierions une souffrance par rapport à une autre ? Depuis quand le corps humain devrait-il être assimilé à un médicament ? Depuis quand se soignerait on aux dépens d’une autre personne ?

Au fond, le cœur de ma conviction est là : on ne peut vendre son corps à un autre, pour le soin d’un autre, sans en être soi-même affecté. La dissociation entre le corps et la personne est une chimère. Quand elle se répète, elle crée un sentiment d’irréalité, d’étrangeté à soi-même, d’indifférence et d’insensibilité. Savez-vous seulement que la prévalence des troubles psycho-traumatiques sévères est équivalente chez les prostituées à celle que l’on trouve parmi les personnes victimes de tortures ou les prisonniers politiques ? « De nos maladies, la plus sauvage est de mépriser notre être », disait Montaigne. Notre loi ne doit jamais dissocier les droits sur le corps et les droits de la personne. Ne plus permettre cette dissociation, voilà la vraie clé pour améliorer durablement la santé des personnes prostituées.

Mesdames et messieurs les députés, les femmes ont chèrement conquis le droit à la libre disposition de leur corps. Ce droit est essentiel et c’était bien sûr un droit sexuel. Un droit que je soutiens pleinement, vous le savez. Et c’est précisément parce que je le soutiens sans faille que je ne reconnais pas le droit à disposer du corps d’autrui, que je réfute de toutes mes forces cette vision archaïque selon laquelle le corps des femmes serait un corps disponible. Je ne veux pas d’une société dans laquelle le sexe serait un service fourni à des voitures qui défilent comme des hamburgers à partir d’un menu qui détaille avec des noms de fleurs des prestations dans lequel il faudrait piocher. Je ne veux pas d’une société où les femmes ont un prix. Je ne veux pas d’une société où les femmes font l’objet, c’est le cas dans quelques pays, d’une ristourne pour les clients séniors, d’une autre pour les titulaires de minima sociaux, d’une autre ristourne, pour ceux qui viennent à vélo. Je n’en veux pas.

Pouvez-vous l’admettre, vous, cette assemblée qui avez décidé à l’unanimité de faire un principe intangible de la règle selon laquelle « Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial. » Voici ce qui est écrit à l’article 16 du code civil et qui fait parti désormais de notre Constitution.

Pourquoi payer le corps d’une femme ? Parce qu’elles y consentiraient… Voici l’argument le plus récurrent, le plus facile, le plus choquant, le plus paresseux, le plus inopérant qui puisse être avancé pour justifier l’achat de service sexuel. Jamais votre Parlement n’a considéré qu’on pouvait consentir à mettre son corps dans le commerce.

Le sujet avec la prostitution, ce n’est pas la sexualité. Qu’elle se déroule d’une façon ou d’une autre, qu’elle soit libérée ou pudibonde. Nous ne sommes pas là pour faire la police des mœurs. Mais nous sommes là pour donner corps à nos principes les plus essentiels.

Le sujet avec la prostitution, c’est l’argent. C’est l’argent qui détermine la volonté des parties et c’est ce même argent qui nourrit justement le proxénétisme. Dans la prostitution, le consentement à l’acte sexuel est un consentement dans lequel ceux qui ont de quoi payer ont droit à la soumission de ceux qui n’ont d’autre choix. « Chair à canon » pour les hommes. « Chair à prostitution » pour les femmes, comme le disait le journal Le Populaire au début du siècle…. Quand la domination de l’argent s’ajoute à la domination masculine, l’emprise devient insupportable.

 Lire le discours intégral de la ministre des Droits des femmes de France ici.

 Et l’écouter dans cette vidéo.

Le projet de loi sur la prostitution : cliquez sur le fichier en FDF.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 30 novembre 2013

Najat Vallaud-Belkacem, Ministre des Droits des femmes et Porte-parole du Gouvernement


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=4608 -