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Témoignage
Désaccord sur le virage de la Fédération des femmes du Québec

17 décembre 2013

par Jeanne Gagnon, auteure

Comme militante féministe, je vis l’heure d’une rupture radicale avec la Fédération des femmes du Québec (FFQ) (1). Que je dise tout d’abord que la poursuite de mes combats féministes à l’intérieur de l’agenda de la FFQ était devenu conflictuel, tant pour mon identité politique que pour mes valeurs.

Ce que j’entendais soulever avec d’autres lors des débats des États généraux du féminisme n’aura pas eu cours, compte tenu d’un dirigisme orchestré. Vaines attentes autour d’un événement clé venant confirmer que la FFQ est plus gouvernée par l’intelligentsia des lieux que par sa base. Ce que j’avais déjà dénoncé (2). Le colloque des 25-26 mai 2013 m’avait néanmoins éveillée à quelques espérances en lisant l’analyse critique d’une intelligentsia s’accusant de trop travailler en silo !

Un coup de force que ce virage évacuant toutes nos attentes, et ce, au détriment de la libre expression ! Ce qui venait en avant-plan : l’intersectionnalité. Une terminologie faisant référence aux théories des dernières décennies en lien avec les oppressions. Vu sous l’angle de l’intersectionnalité, le féminisme aura fort à faire pour éduquer à des volets d’oppression qui engagent à la lutte des classes.

Pour l’instant, ce qui se laisse décrypter se traduit par les divisions entre « femmes blanches et/ou racisées » en regard de privilèges dont les femmes blanches sont tributaires. De plus, cette lutte fera intervenir la négation d’un projet social à travers le nationalisme, lequel trouve son cran d’arrêt par le colonialisme ou par un autre versant de l’intersectionnalité.

Tout en disant que le débat des ÉG n’a pas eu cours, il y a lieu, bien sûr, de préciser tout ce qui renvoyait à un agenda mené au quart de tour, et ce dans l’influence de consignes dont je reparlerai.

Mon implication au sein des États généraux

Dès le début de l’année 2013, j’ai perçu l’année comme celle de mon divorce avec la FFQ. Le malaise était bel et bien omniprésent depuis le printemps 2008. Dans la dernière année, j’ai voulu m’intégrer à l’une des tables des ÉG. Il m’apparaissait dans l’ordre des choses de participer à la dynamique d’un moment charnière comme celui des États généraux du féminisme tout en ayant des attentes concernant ces débats pouvant porter sur charte – laïcité – culture – etc.

Le contrôle se révèlera omniprésent dès la mise en place de l’infrastructure. Nous l’avons réalisé à travers ce qui se vivait dès le début de l’année, notamment par le rejet de deux femmes ayant proposé de siéger à des tables de travail des ÉG. On énonça brièvement les motifs du refus ainsi : « (…)nous avons aussi identifié des problèmes de fonctionnement dans un atelier sur l’intersection des oppressions. En effet, nous avons été témoins de propos racistes, de prises de paroles non respectueuses des diverses réalités des femmes et de pratiques anti-démocratiques menant à l’exclusion de certaines. Ces comportements doivent être évités. Le Comité d’orientation mettra en place les espaces nécessaires pour empêcher que cela arrive à nouveau. » (3)

Quant à mon inscription, elle fut acceptée pour la Table 2. Certains noms faisaient partie de la liste de membres sans pour autant faire acte de présence. À rebours, je peux me demander s’il s’agissait de « potiches ». Dans le but de faciliter les discussions, nous avons travaillé les thématiques en sous-groupe. Après quelques mois, une tentative d’intimidation s’annonça envers deux membres du sous-groupe du thème conservatisme religieux. J’en étais. La rencontre fut annoncée par les autorités des ÉG comme une intervention de « mise au point ». Rapidement je pourrai constater être visée par quelques accusations. Sans oublier le ton que prenait SM pour s’adresser à moi.

Une jeune fille autochtone a dit s’être sentie attaquée dans son identité quand j’ai fait la présentation de mes perceptions sur la religion et la spiritualité , tout en y ajoutant mes précisions liées aux symboles invoqués par cette même jeune femme (plumes et coloration du visage). Ce qu’elle avait présenté sous l’angle de signes pouvant être considérés ostentatoires. Il s’agissait d’une militante dans la jeune vingtaine de l’association Femmes autochtones du Québec (FAQ). Elle était manifestement contre l’interdiction des signes ostentatoires. Dans un autre ordre d’idée, il y avait accusation de harcèlement par rapport à l’envoi de nombreux fichiers informatisés liés au conservatisme religieux.

Cette rencontre de « mise au point » avait pour but principal l’orientation du groupe vers l’idée d’un consensus. Après le préambule d’attaque, l’animatrice avisa d’une proposition gardée « sous buvard » jusqu’à la fin et qui, selon son dire, pouvait devenir proposition effective selon l’orientation qu’allaient prendre nos discussions. Cette proposition ne nous fut jamais dévoilée, mais il reste crédible d’imaginer que l’on avait sous la main une proposition décrétant l’expulsion d’une, voire de deux, membres de la Table 2.

Cheminement et virage

Il est bien connu que l’actuel débat sur la laïcité divise le mouvement des femmes alors qu’en 1966 le « nous femmes » affichait une position laïque consensuelle. On en retrouve l’esprit dans cet extrait : « Cette Fédération se caractérise par son caractère non confessionnel et multiethnique. La charte précise de plus que la Fédération n’aura pas d’aumônier. La signification de cette autonomie des femmes face au pouvoir religieux et au pouvoir national est cependant considérable, car c’est à cette condition qu’un discours féminin autonome pourra émerger. » (4) Par cet extrait, on voit que la FFQ se reconnaissait dans l’idée d’émancipation du système religieux, sans pour autant invoquer une quelconque menace par rapport à la liberté de pratique religieuse du sujet.

Dans le contexte évolutif, quelques années plus tard, la FFQ prouvera à nouveau la poursuite d’une vision féministe qui se reconnaît dans le projet social. À cet effet, quelques extraits d’un mémoire : « Au-delà du statut constitutionnel du Québec, c’est le projet social et politique qui nous intéresse. Nous considérons qu’il n’est pas possible d’élaborer un projet politique sans projet social, et qu’un tel projet social doit inclure le projet féministe (…) Or, nous croyons que la marge de manœuvre quant à l’inscription de changements importants dans l’organisation sociale et politique du Québec sera proportionnelle au degré d’autonomie que le Québec se donnera. Et nous croyons qu’une plus grande marge de manœuvre pour le Québec favoriserait l’éclosion d’un projet féministe de société, à condition que les femmes soient étroitement associées à toutes les phases de l’élaboration de ce projet. Pour définir et mettre en œuvre un projet de société, nous avons besoin d’un cadre qui nous appartienne. » (5)

Par ces extraits, j’ai voulu faire apparaître la rupture qu’opèrent les propositions adoptées par les États généraux de novembre 2013. À travers la plate-forme politique et la vision du nationalisme qui s’est infiltrée par le biais de l’intersectionnalité, on peut facilement convenir du virage par rapport à l’énoncé de 1990 qui projetait de « favoriser l’éclosion d’un projet féministe de société ». Une chose est certaine, si un débat ramenait en avant-plan l’idée d’un tel projet féministe, il y aurait dichotomie entre la base et les propositions que sous-tendent les États généraux du féminisme de novembre 2013.

Cela dit en précisant qu’il y a volonté, tant par les textes que par le discours, de faire illusion sur le pouvoir de la base concernant la laïcité. En témoigne un petit « livret » (édité en mai 2013) et traitant de laïcité, lequel est repérable au sein du document intitulé « La laïcité » : « L’engagement pour la laicité est inscrit dans la plateforme politique de la FFQ depuis 2003. Il y est toujours et, à moins que le congrès n’en décide autrement, il y restera. » (6) Or, cette réalité n’étant pas de l’agenda des États généraux de 2013, on ne pouvait inviter la base à revenir sur le sujet.

Au lendemain des ÉG, Alexa Conradi, présidente de la FFQ, répondait à une journaliste l’interrogeant sur les discussions qui avaient été discutées concernant la charte et la laïcité. Sa réponse était trompeuse. En réalité, ce n’était pas par « désintérêt », comme elle l’insinuait, qu’il n’avait été question de la charte, mais plutôt à cause du contrôle exercé par le comité « agenda et consignes ».

Voici quelques consignes qui accompagnaient le Cahier du Forum des États généraux sous le titre « Engagement réciproque des participantes » :

Extraits :

. « Pour un climat de confiance, respectueux et solidaire : (page 2)
Pour favoriser le respect de toutes, aucune forme d’insulte, de harcèlement, d’intimidation, de discrimination, de mépris ou de menace ne sera acceptée. Toute manifestation de violence mènera à l’expulsion immédiate.

. Les organisatrices s’engagent à nourrir activement un climat sain, à veiller au respect de chaque participante et de chaque groupe, à fournir les ressources nécessaires pour accompagner les participantes souhaitant résoudre un conflit et à intervenir pour faire cesser une situation ne respectant pas le présent engagement. C’est pourquoi nous avons mis sur pied une Équipe de soutien et de médiation (…).

Équipe de soutien (page 3)

(…)
. Ces personnes-ressources pourront intervenir dans des situations de non-respect des principes fondateurs des États généraux rappelés dans le présent engagement réciproque. Elles pourront intervenir de différentes façons en fonction de la situation (soutenir les personnes qui en ressentiraient le besoin, favoriser le dialogue, donner un avertissement en cas de comportement oppressif, etc.). Leur intervention visera principalement à maintenir ou à rétablir un climat de discussion sain et respectueux en favorisant le dialogue lorsque la situation s’y prête. Mais elles pourraient également demander à une participante de quitter l’événement si les interventions n’ont pas été concluantes.

. Cette équipe interviendra à la demande d’une ou de plusieurs participantes, d’une animatrice ou d’une membre de l’équipe des États généraux. Ainsi, toute participante ou animatrice qui le juge pertinent peut faire appel à cette équipe pour intervenir dans une situation jugée problématique.

. Les animatrices doivent elles-mêmes intervenir dans le cadre de l’animation de leur atelier et pourront alors se référer au présent engagement réciproque des participantes pour rétablir un climat respectueux et sain. De même, chaque participante pourra, si elle en ressent la nécessité, se référer au présent engagement réciproque pour intervenir dans une situation de non-respect ou d’oppression. »

Extraits du Cahier du Forum des ÉG - J’ai choisi quelques propositions touchant le projet social :

Page 82 – Pistes d’action – Section 7 – (propositions adoptées)

. Développer des visions alternatives pour apporter de nouvelles perspectives au débat actuel sur les enjeux de l’identité nationale et du nationalisme ;

. Se donner les moyens de développer des réflexions et des positions féministes sur ces questions, de manière à construire un Québec qui reconnaît et travaille activement à contrer les rapports de domination concernant les personnes perçues comme venant d’ailleurs ou ayant des appartenances culturelles différentes (langue, histoire, héritage religieux) de celles de la majorité ;

. Prendre connaissance de l’analyse féministe anticoloniale et postcoloniale afin de mieux réfléchir à la situation actuelle du Québec, de déployer une approche féministe « décolonisée » ou anticoloniale et de développer un nouveau langage plus adapté aux réflexions et préoccupations féministes dans ces débats.

. Développer un discours critique sur le nationalisme ethnique ou identitaire ;

. Porter un regard critique et dénoncer les discours qui tendent à indiquer que les immigrants ou les personnes racisées seraient porteuses de valeurs rétrogrades notamment sur le plan de l’égalité entre les femmes et les hommes, laissant sous-entendre que le Québec en serait exempt d’inégalités dans les rapports sociaux de sexe.

Féminisme - Éducation - Projet social

J’ai eu le bénéfice d’un atelier sur l’intersectionnalité et je n’exagère aucunement en disant que le sujet est complexe. J’estime qu’il y a précipitation de la FFQ, voire même débordement quant aux différents mandats qu’elle se donne à travers l’intersectionnalité. L’ensemble de la société étant concernée, le féminisme ne saurait implanter de telles réformes sans avoir l’assurance de leur recevabilité par l’ensemble de la société à travers un projet social.

Pour la professeure Micheline De Sève, la question de l’intersectionnalité fait figure de « Cheval de Troie » (7) eu égard à l’abandon des luttes du féminisme basées sur le concept de « genre », tout en divisant les femmes. Cette perception est juste si l’on s’arrête à ce qui s’introduit – au premier degré – à savoir la notion de privilèges entre femmes blanches et femmes « racisées ».

Une semaine avant le forum des ÉG, Le Devoir a présenté un Cahier portant sur l’ensemble des idéologies qu’allait introduire cet événement. Il fut évidemment question d’intersectionnalité. Selon les théories énoncées par quelques auteures dans le cahier du Devoir, on avait l’impression que la FFQ invitait à un large débat alors que, dans les faits, il s’agissait d’un « forum » sous contrôle.. (8) Amenée par une membre de l’intelligentsia, l’information servait l’image de la FFQ tout en renvoyant à une coupable. Et pourtant, à travers les faits, il y a lieu d’identifier les faces cachées d’un moment inattendu, puisqu’une femme de la base s’était autorisée à une opinion dérangeante par rapport à la culture du « bon ententisme ». Ce pourrait être l’indice d’une démarche de la base vers plus de liberté d’expression !

Toujours dans ce même cahier du Devoir, je me suis interrogée sur les avancées de Micheline Dumont. (9) La réponse m’est venue d’une politologue rattachée à l’Université Laval et qui renvoie Madame Dumont à un autre levier de réflexion : « La FFQ est-elle en train de bifurquer de son mandat ? A-t-elle déjà fait le choix de laisser de côté certaines femmes, blanches, de classe moyenne, hétérosexuelles, procharte ? Finalement, n’est-on pas en droit de se demander qui instrumentalise une cause à des fins partisanes ? Qui divise les féministes et qui n’est pas solidaire ? Ces contradictions posent les questions de l’indépendance de la FFQ et par le fait même de sa représentativité dans la conjoncture actuelle. » (10)

De par sa chronique régulière sur le site Sisyphe portant sur « Laïcité, femme et religion », Me Julie Latour s’adressait directement à Micheline Dumont en l’incitant à reconnaître que « Mieux vaut exclure le voile de certaines fonctionnaires que de remettre en cause l’égalité de toutes les femmes. Le bien commun a encore droit de cité face aux revendications individuelles. » (11)

Je reconnais ma double appartenance au féminisme et à la société civile. Dans l’un et l’autre cas, mon engagement tient aux valeurs véhiculées.

Ce texte a permis de témoigner des raisons de mon désengagement par rapport à l’agenda politique de la FFQ.

Notes

1.  « Les États généraux du féminisme », blogue En Bref…, le 17 nov. 2013
2. « Combats éthiques et féminisme », Jeanne Gagnon, Revue Entr’Autres, Janv-Mars 2008, pp. 20-23.
3. « Exclusion des tables de travail aux États généraux féministes », par Marie-Claude Lortie, La Presse, 25 février 2013.
4. L’Histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles, Collectif Clio, Éditions Quinze, 1982.
5. « La question de fond : l’option souverainiste », FFQ, Mémoire présenté à la Commission sur l’avenir politique et constitutionnel du Québec (1990).(le souligné est ajouté par l’auteure).
6. « La laïcité : Un moyen de lutter contre les fondamentalismes religieux – Mythes et réalités à propos de la FFQ et la laïcité », p. 6. (Petit livret – Édité Mai 2013)
7. « L’intersectionnalité : féminisme enrichi ou cheval de Troie ? », Labrys, Études féministes, 2011-2012.
8. « Qui suis-je pour déterminer quelle est la stratégie à avoir en tant que féministe ? », Le Devoir, 26 oct. 2013.
9. « Il serait peut-être temps de passer à l’égalité entre les femmes », Le Devoir, 27 octobre 2013.
10. FFQ et ÉG du féminisme - L’esprit partisan est-il à l’origine d’attaques virulentes contre des féministes ? », par Pierrette Bouchard, sur le site Sisyphe
11. « Laïcité, femmes et religion – Réponse à Micheline Dumont », par Julie Latour, sur le site Sisyphe.

 Blogue de l’auteure

Mis en ligne sur Sisyphe, le 15 décembre 2013

Jeanne Gagnon, auteure


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