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Projet de loi 60 - Le recteur de l’UdeM Guy Breton : arrogance et mépris

14 février 2014

par Micheline Carrier

Je trouve parfois passionnants et instructifs les échanges entre les parlementaires et les personnes invitées à présenter des mémoires aux auditions sur le projet de loi 60 sur la neutralité de l’État.

Le 7 février dernier, lors des auditions de la commission parlementaire sur le projet de loi 60, le recteur de l’Université de Montréal (l’UdeM), Guy Breton, nous apprenait que cette vénérable institution est d’abord au service de son personnel. L’UdeM accorde en effet à la liberté de religion des professeur-es la primauté sur la liberté de conscience et le bien-être de la « clientèle » étudiante.

Le député Daniel Ratthé, dont les interventions à la commission sont toujours pertinentes et articulées, a voulu savoir ce que ferait l’université si un-e étudiant-e se plaignait que les croyances religieuses affichées par un-e de ses professeur-es le rendaient mal à l’aise et créaient chez lui de l’insécurité. On déplacerait tout simplement l’étudiant-e sans ennuyer le ou la professeur-e, a dit le recteur. Et s’il y avait plusieurs plaignant-es, a insisté le député. On les déplacerait tous et toutes ! Voici la transcription de l’échange :

 M. Breton : En ce qui concerne votre exemple précis d’un étudiant qui serait mal à l’aise dans une classe avec un professeur qui aurait un col romain, bien les mécanismes dont on a parlé font justement la place à ce qu’on cherche des façons de faire. On ne dira pas au professeur qui a un col romain : Enlève ton col romain. On va plutôt essayer de relocaliser l’étudiant.

 M. Ratthé : Donc, vous seriez prêts à relocaliser tous les étudiants qui pourraient avoir une problématique de liberté de conscience, peu importe pourquoi — qui se sentent mal à l’aise devant un professeur qui afficherait un signe religieux quelconque, peu importe… Parce que le projet de loi ne vise pas nécessairement et uniquement le voile, on s’entend que le projet de loi vise toutes les religions.

 M. Breton (Guy) : Tout à fait. Alors, je serais tout à fait à l’aise, d’autant qu’il n’y en a pas. Ça n’arrive pas, ça, des étudiants qui nous disent qu’ils sont mal à l’aise. Pour le moment.

 M. Ratthé : … ça arrive, est-ce que, selon vous, il faut attendre que ça arrive, est-ce qu’il faut attendre qu’il y ait un problème ? Ce que j’entends ce matin, c’est qu’il n’y a pas de problème : Je ne verrais pas pourquoi on mettrait une loi qui vient peut-être prévenir d’éventuels problèmes. Je veux juste bien comprendre.

 M. Breton (Guy) : Justement, quel est le problème que vous voulez prévenir par la loi ?

 M. Ratthé : Bien, en fait, l’un des problèmes qu’on peut sembler vouloir prévenir, puis ça ne veut pas dire que tous les usagers sont prêts à l’exprimer, c’est justement la liberté de conscience des usagers. Est-ce que tous les étudiants qui ont un malaise, et je ne suis pas plus en mesure que vous de… parce que vous n’avez pas plus de chiffres que moi, d’évaluer combien en ont. Est-ce que tous les étudiants qui pourraient avoir un malaise, on doit en faire fi et l’ignorer, dire : Bien, il n’y a pas de problème, parce que personne ne se plaint ? Est-ce qu’on pourrait présumer que l’étudiant qui ne va pas se plaindre, c’est parce qu’il n’est pas à l’aise de le faire non plus ? Alors, est-ce que la loi ne pourrait pas être une prévention à tout, à toutes ces problématiques-là, d’un côté comme de l’autre ?

 M. Breton (Guy) : Écoutez, je pense que les étudiants ne sont pas là. Je l’ai mentionné tout à l’heure. »

Le recteur assure, toutefois, que l’Université de Montréal est tout à fait favorable à la laïcité et à la neutralité religieuse… Elle a mis en place les mécanismes nécessaires pour bien gérer les demandes d’accommodements, vous n’avez pas à vous en mêler, a-t-il dit en substance au ministre Drainville.

Les exemples d’accommodements bien "gérés", donnés par le recteur et son collègue Alexandre Chabot, font toutefois penser que la philosophie de l’Université de Montréal s’inspire davantage d’une synagogue, d’une église ou d’une mosquée que de la neutralité indispensable à une institution de haut savoir : tous les signes religieux y sont autorisés, sauf la burqa - et encore, je ne suis pas sûre d’avoir compris que le recteur l’excluait complètement – il peut y avoir des accommodements pour fêtes religieuses, des salles de prières, etc.

Le projet de loi 60 menacerait, selon le recteur, la liberté académique et l’autonomie universitaire... Les propos d’Alexandre Chabot confirment que ce qui dérange l’UdeM est surtout la perspective d’avoir des comptes à rendre sur sa neutralité...

 M. Chabot (Alexandre) : Bien, comme le disait le recteur, on a déjà nos mécanismes d’encadrement. Et là où peut-être que le projet de loi va un peu trop loin, c’est dans la nécessité de soumettre ces mécanismes-là à Québec. Et je pense que, dans le respect de l’autonomie universitaire, laissons le soin aux établissements universitaires de déterminer elles-mêmes quelles sont les balises à l’interne qu’on doit établir dans le respect de la liberté académique et de la structure de nos programmes et la façon de les enseigner et de dispenser ces enseignements-là. Et on est tout à fait aptes d’établir quelles sont les modalités acceptables dans le cadre d’accommodements raisonnables.

Vindicatif et arrogant

Tout au long de ses échanges avec les parlementaires, en particulier avec le ministre Bernard Drainville, le recteur de l’Université de Montréal a adopté une attitude arrogante, donnant l’air de se croire personnellement victime d’un crime de lèse-majesté. Il a prétendu que le gouvernement cherchait à détruire la diversité religieuse, une ligne directrice de son mémoire. Le ministre Drainville a relevé qu’il s’agissait d’une prémisse fausse et d’une accusation sans fondement. Dans un échange avec le député Marc Tanguay, le roitelet de l’UdeM a poursuivi en comparant le gouvernement québécois au régime franquiste. Je cite :

« (…) Je vais donner un exemple. Je suis allé à Bercelone, on inaugurait une école d’été, il y a deux ans. Je suis allé voir mon vis-à-vis, le recteur de l’Université de Barcelone, une institution qui a 550 ans. Dans le corridor pour se rendre à lui, il y a les portraits des recteurs antérieurs. Moi, je suis un homme curieux, je suis un visuel, alors j’ai regardé les photos, les dates. Puis là il y a une période où il y avait des recteurs qui étaient là longtemps, longtemps, puis il y en a d’autres qui étaient là un mois. J’ai demandé à mon vis-à-vis : Pourquoi, qu’est-ce qui fait qu’il y en a qui durent longtemps puis d’autres qui ne durent pas longtemps ? Bien, il dit, ça, monsieur, il dit, c’est l’époque de Franco. Ceux qui faisaient notre affaire restaient là longtemps, ceux qui ne faisaient pas l’affaire disparaissaient. Je souhaite que nous n’allions pas dans une société où le dictat étatique va faire que nous n’aurons plus d’autonomie, qu’on ne sera plus capables, parce qu’on a une opinion autre, de continuer à faire avancer notre institution.

Interloquée d’un tel manque de réserve et de jugement chez un dirigeant d’une grande institution publique, je me demandais si le recteur appréhendait la perte de son lucratif poste et de son pouvoir personnel. C’est alors que le président de la commission l’a interrompu : « Je vous demanderais d’être prudent sur les propos et les comparaisons que vous faites, a dit le président, parce que certaines personnes qui sont venues ici ont fait l’objet d’intimidation, soit sur Internet... les sites Web, alors, je vous demanderais d’être prudent dans vos propos. »

Le recteur a enchaîné, comme si rien n’était, en citant une autre expérience qui avait plus à voir avec son ego qu’avec la neutralité de l’institution qu’il dirige.

Basse attaque contre le professeur Guy Rocher

Toute l’intervention du recteur de l’UdeM s’est déroulée sous le signe de la mauvaise foi. Le député Rhatté a souligné que le recteur avait mélangé délibérément « clientèle » étudiante et personnel de l’institution dans son analyse du projet de loi – si on peut parler d’analyse. L’interdiction de signes religieux ostentatoires prévue dans le projet de loi 60, a rappelé fermement le député, ne vise pas les étudiant-es, sauf si ces signes empêchent les rapports à visage découvert entre les personnes.

À cette mauvaise foi, le recteur a ajouté le mépris envers un de ses collègues, son aîné, le sociologue Guy Rocher, professeur émérite de l’Université de Montréal. Lors de son audition à la commission parlementaire, le professeur Rocher avait défendu la légitimité de la neutralité religieuse en éducation, y compris en milieu universitaire.

 Le ministre Drainville : (…) Il (Guy Rocher) fait une distinction... entre la liberté d’enseigner quelque matière que ce soit et la liberté du prof de se servir de sa position d’autorité pour afficher ouvertement ses convictions politiques et religieuses. Réactions ? (…)
 M. Breton (Guy) : Un prof émérite, là. Ça fait un petit moment qu’il est à la retraite, là, puis ça fait plusieurs années qu’il n’a pas eu des salles de classe devant lui. C’est son opinion, il y a droit…
 M. Drainville : Je pense que le commentaire que vous venez de faire est déplacé, M. le recteur.
 M. Breton (Guy) : Oui, mais c’est quand même une réalité.
 M. Drainville : Je me permets de le dire.
 M. Breton (Guy) : Je veux dire, parce que vous avez dit : Il est professeur, vous auriez donné l’impression à ceux qui nous écoutent qu’il est actuellement en contact avec les étudiants dont j’ai parlé plus tôt, ce qui est faux.
 M. Drainville : Il a été longtemps professeur…
 M. Breton (Guy) : Oui, tout à fait.

« Mais l’internationalisation de l’Université de Montréal est plus récente que l’époque où M. Rocher était là, à l’époque du rapport Parent, Mgr Parent », a laissé tomber Guy Breton.

Donc, l’expérience et l’ancienneté de Guy Rocher l’empêcheraient de comprendre les problèmes actuels de l’université et de la société en regard de la neutralité religieuse. Le professeur Rocher serait dépassé... donc peu crédible, comprend-on. Des préjugés âgistes étonnants qui ne sont pas un exemple à donner aux jeunes des universités.

Pour finir, la députée Françoise David a voulu demander à l’« éminent » personnage s’il était envisageable, par exemple, qu’un étudiant en science politique se sente mal à l’aise d’exprimer une opinion pro-palestinienne en présence d’un professeur juif affichant un signe religieux. Le préambule de la question était si long que le recteur n’a pas eu le temps de répondre. Ce qui faisait peut-être l’affaire de l’une et de l’autre… La stratégie est si souvent employée par des parlementaires qu’on ne se fait plus d’illusion sur l’objectif poursuivi.

 Pour en lire davantage sur les échanges du recteur Guy Breton avec les parlementaires, voir la transcription du Journal des débats, le 7 février 2014, sur le site de l’Assemblée nationale du Québec.

Téléchargez le mémoire de l’Université de Montréal :

Mis en ligne sur Sisyphe, le 11 février 2014

Micheline Carrier


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