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Réponse au manifeste des "salauds"
Non, Messieurs, la plupart des personnes prostituées ne le sont pas par choix

10 mai 2014

par Dimitri Guérin, étudiant en traduction à l’Université de Montréal

En octobre 2013, des hommes lançaient un manifeste contre les lois anti-prostitution sur le site Causeur.fr*, aiffirmant en quelque sorte leur "droit" de prostituer des femmes ("Touche pas à ma pute"). L’auteur de cet article répond à ce manifeste.



Chers messieurs les 343 "salauds", permettez-moi de vous exposer l’abjection que je ressens à la lecture de votre manifeste*.

Vous faites part de votre désir charnel, qui peut paraître tout à fait justifié, car en tant qu’hommes, il semblerait que nos pulsions soient incontrôlables et qu’il apparaisse tout à fait normal de payer des femmes (ou des hommes) pour assouvir nos besoins.

Dès la seconde ligne, vous parlez bien du fait que vous n’avez pas honte de faire partie de ce genre d’individus, et la preuve en est, vous vous dénommez vous-mêmes des « salauds ».

Vous vous défendez des accusations faites envers les clients de prostituéEs définis comme étant des frustrés, des psychopathes ou encore des pervers, et cela, en justifiant le fait que vous ne pourriez vous passer du consentement de vos partenaires.

Voilà bien un point que je trouve absurde ! Le fait de proposer de l’argent contre un service impose un rapport de domination, et beaucoup de vos « partenaires » ne décideront pas en fonction de leurs envies charnelles, mais bien en fonction de la somme d’argent qui leur sera proposée.

En fait, je vois là un trip de pouvoir, je vois un ego qui se mesure à la taille de la liasse de billets, je vois un moyen de pression déguisé derrière une prétendue aide offerte à ces personnes dans le besoin.

En effet, pensez-vous qu’une personne qui n’a pas de problèmes financiers irait de son plein gré se prostituer et coucher avec n’importe quelle personne qui se présente ?

La plupart des prostitueurs ne sont pas de beaux jeunes « étalons » qui suscitent d’innombrables fantasmes, bien au contraire, ce sont souvent des individus qui ont « dépassé la date limite », si je puis me permettre l’expression ; pis encore, des personnes atteintes de troubles mentaux plus ou moins avancés désirant assouvir des fantasmes sexuels qu’ils n’oseraient assumer auprès de leurs partenaires de vie, et qui provoqueront par la même occasion de lourdes séquelles, qu’elles soient physiques ou mentales, chez la personne prostituée.

Votre manifeste ne sert qu’à alimenter un cercle vicieux qui s’adresse particulièrement à ce genre d’individus, créant ainsi violences et agressions, justifiées par le fait qu’elles sont pratiques courantes dans le milieu prostitutionnel.

Je comprends que de vous afficher contre la violence, l’exploitation et le trafic des humains est votre moyen de défense. Vous vous déculpabilisez ainsi en déléguant ces responsabilités aux autorités publiques, néanmoins vous demeurez malgré tout des acteurs fondamentaux dans ce système d’exploitation.

Non, messieurs, la plupart de ces femmes et hommes qui vous émoustillent tant ne sont pas arrivés dans le milieu de la prostitution par pur choix. Beaucoup se font manipuler par des proxénètes, et bien que vous clamiez vouloir sanctionner ces maquereaux, vous participez à leur émancipation et à l’accumulation de leur argent sale, car finalement, il n’y a pas de fumée sans feu.

Lorsque vous dites que certains ne sont pas clients de la prostitution « pour des raisons qui ne regardent qu’eux », vous établissez un jugement de préférence, normalisant ainsi le fait de consommer (et je pense que le terme est tout à fait adéquat) des êtres humains.

Je ne vois là qu’un rebut de cette société de consommation, je ne vois que des âmes égarées qui pensent agir comme il se doit et qui sèment le mot « liberté » à tout-va.

Vos « putes », comme vous dites, ne sont pas des objets, elles ne vous appartiennent pas, ce sont des êtres humains, tout comme vous, qui méritent le respect et la reconnaissance.

Vous souhaitez vivre en adultes, mais je trouve vos propos dénués de toute maturité.

Vous affirmez aimer la liberté, la littérature et l’intimité, et rajoutez que ces trois sujets sont menacés par l’État qui « s’occupe de vos fesses » ; je n’y vois qu’un amalgame irrationnel de délectations d’intellectuels aux désirs immoraux et irrespectueux, incapables de voir tout le mal qui se cache derrière vos actes de consommateurs de sexe.

Vos propos montrent clairement que la liberté n’équivaut pas pour vous à l’égalité ; vous ne parlez que de votre propre liberté à assumer que vous pouvez disposer du corps d’autrui tout en en tirant profit.

La corrélation que vous établissez dès la première phrase entre la religion et la prostitution me laisse par ailleurs incrédule. Je pense y voir une certaine analogie douteuse selon laquelle on devrait accepter les croyances de chacun en matière de religion, et qu’il vous apparaît tout à fait normal d’en faire de même avec la prostitution.

Si je comprends votre logique, devrait-on également légaliser les pratiques pédophiles, voire zoophiles, du moment que les deux sujets semblent consentants ?

Je suis conscient du ridicule de ma comparaison qui me sert simplement à vous montrer l’absurdité de vos propos.

Vous craignez l’interdiction de la prostitution, puis de la pornographie et ainsi de suite ; je crains de voir l’espèce humaine incapable d’évoluer et d’user de sa conscience de manière correcte et cohérente. Certains cherchent des excuses, d’autres des solutions. Je vois que vous avez déjà fait votre choix.

Libres-penseurs du XXIe siècle, quel genre de monde souhaitez-vous laisser à vos enfants ? Peut-être aimeriez-vous voir l’un d’entre eux se prostituer plus tard ? Cela vous ferait-il ressentir de la fierté au fond de votre être ?

En tant qu’intellectuels, vous avez le devoir de défendre des valeurs, il me semble, et dois-je rappeler que des valeurs sont des principes moraux ? Ne seriez-vous pas plus fiers de véhiculer des réflexions basées sur un vrai respect de l’individu ? Votre devoir est grand, et il vous incombe d’en prendre les responsabilités de manière raisonnée si vous souhaitez être les créateurs d’une pensée évoluée et égalitaire.

Messieurs les 343 salauds, avec tout le respect que je n’éprouve pas à votre égard, je ne vous salue pas.

* « Touche pas à ma pute ! Le manifeste des 343 ‘salauds’ », sur le site Causeur.fr, 30 octobre 2013.

Les auteurs du manifeste parodient en quelque sorte le titre du "Manifeste des 343", une pétition française parue le 5 avril 1971 dans le no 334 du magazine Le Nouvel Observateur. C’est « la liste des 343 Françaises qui ont le courage de signer le manifeste "Je me suis fait avorter" », s’exposant ainsi à l’époque à des poursuites pénales pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement.
C’est un appel pour la dépénalisation et la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse. Rien à voir avec la prostitution qui constitue pour les femmes le contraire de la liberté de choix.

 Lire aussi : « Le manifeste des 343 bites tellement légères qu’elles se dressent à l’insu de leur cerveau », par Catherine Albertini, chercheure et membre de Choisir la cause des femmes

Mis en ligne sur Sisyphe, le 23 avril 2014

Dimitri Guérin, étudiant en traduction à l’Université de Montréal


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=4747 -