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Le manifeste des 343 bites tellement légères qu’elles se dressent à l’insu de leur cerveau

25 avril 2014

par Catherine Albertini, chercheure et membre de Choisir la cause des femmes

L’auteure commente un "manifeste" intitulé "Touche pas à ma pute !", publié en octobre 2013 par des hommes français opposés au renforcement des lois contre la prostitution, notamment la pénalisation des prostitueurs (clients).



Le ridicule ne tue décidément pas.

Ces 343 « salauds », tels qu’ils se dénomment eux-mêmes (1), violent symboliquement les féministes signataires du « manifeste des 343 femmes », qui ne se disaient pas « salopes » (2), et livraient leur lutte sans doute la plus décisive et emblématique à l’époque : le droit de choisir de donner ou non la vie sans risquer la leur entre les mains de faiseuses d’anges dans des arrières cuisines.

Ces 343 femmes risquaient, alors, d’être arrêtées car l’avortement était considéré comme une infraction autonome punie de cinq ans d’emprisonnement (voire dix ans en cas de récidive).

Ce droit à l’avortement, obtenu de haute lutte après le procès de Bobigny où, Gisèle Halimi, soutenue par l’Association Choisir la cause des femmes, a mené un magnifique combat politique pour toutes celles qui, parmi les plus démunies, ne pouvaient se payer un avortement clandestin médicalisé, a ensuite été reconnu par la loi Veil de 75.

Ce droit, donc, n’est rien d’autre que la reconnaissance que chaque être humain est son propre corps, et, à lui-même, son propre projet.

On ne saurait utiliser l’argument « de disposer de son corps » dans la prostitution, tout en ne considérant l’autre comme corps à louer ou instrument masturbatoire qu’au prix d’une dichotomie entre le corps et l’âme, déniant à l’autre sa propre sexualité, puisque ce que le client achète n’est pas « une relation » mais le droit de jouir comme il l’entend par « la violence sans phrase de l’argent » (3).

Les conditions d’exercice de la prostitution, telles que nombre d’anciennes prostituées nous les ont décrites, sont en elles-mêmes intrinsèquement violentes et la demande des clients entraîne l’offre prostitutionnelle que les mafias s’empressent de fournir.

Mais ce discours est inaudible pour nos « 343 bites si légères qu’un rien les fait se dresser à l’insu de leur cerveau ».

La souffrance, la pauvreté, l’exil, les violences physiques et morales, les stress posttraumatiques, le suicide, le VIH dû à des milliers de relations non protégées anonymes, avec des clients qui réclament ces pratiques à risque, la détresse, l’absence de papiers et de protection sociale, ils n’en ont qu’à faire et, à la limite, ça les excite.

Ils veulent conserver leur « droit patrimonial » à la domination sexuelle.

Ils sont ringards, ne pensent qu’à leur propre liberté et sont par là même bien mal placés pour donner des leçons de civilisation à qui que ce soit, pour ne parler que d’un Eric Zemmour ou d’un Basile de Koch.

Notes

1. Manifeste paru en octobre 2013 dans Causeur dont la rédactrice en chef n’est autre qu’Élisabeth Lévy militante « pour la cause des hommes ».
2. La formule des 343 "salopes" est de Charly Hebdo. Le « manifeste des 343 », a paru le 5 avril 1971 dans le no 334 du magazine Le Nouvel Observateur. C’est la liste des 343 Françaises qui ont le courage de signer le manifeste « Je me suis fait avorter », s’exposant ainsi à l’époque à des poursuites pénales pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement. C’est un appel pour la dépénalisation et la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse. Plus d’information ici.
3. Pierre Bourdieu, De la domination masculine, Le Monde diplomatique, août 1998, préambule du livre paru au Seuil, Paris, en octobre 1998.

 Lire aussi sur le même sujet : « Non, Messieurs, la plupart des personnes prostituées ne le sont pas par choix », par Dimitri Guérin.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 23 avril 2014

Catherine Albertini, chercheure et membre de Choisir la cause des femmes


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