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"Le point tournant"
Prostitution - Le Canada est prêt pour un "modèle canadien" ciblant les acheteurs

26 mai 2014

par Joy Smith, députée de Kildonan—St. Paul (Manitoba)

Joy Smith, députée de la circonscription Kildonan—St. Paul (Manitoba, Canada), a réagi par un rapport à la décision de la Cour suprême du Canada invalidant certains aspects des lois du pays sur la prostitution, ce que le ministre de la Justice, Peter Mackay est en train de faire à la suite d’une consultation publique qu’il a menée en février et mars 2014. La cour a donné au gouvernement un an pour réviser ses lois. Voici des extraits de ce rapport intitulé Le point tournant. Voici deux sections de ce rapport que l’on peut télécharger en version PDF intégrale en bas de cette page. La députée abolitionniste y demande de décriminaliser les personnes prostituées et de "cibler les acheteurs". Elle formule des recommandations qui devraient inspirer le ministre de la Justice du Canada dans la nouvelle législation sur la prostitution qu’il prépare.



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Introduction

Le 20 décembre 2013, la Cour suprême du Canada a jugé inconstitutionnelles les infractions relatives à la prostitution du Code criminel. La police se retrouve ainsi privée d’importants outils juridiques pour lutter contre le trafic sexuel et le crime organisé, proxénètes et trafiquants voyant désormais le Canada comme un endroit où l’exploitation sera légale à compter du 20 décembre 2014.

Malgré ce jugement, le débat entourant la prostitution est loin d’être terminé. Il y a ceux qui demandent la légalisation et la normalisation de l’industrie, ceux qui veulent en criminaliser tous les aspects, et ceux qui, comme moi, voient la prostitution comme un crime fondamentalement néfaste pour les femmes et les filles et, par conséquent, veulent l’éliminer.

Il ne faut pas légaliser la prostitution : elle déshumanise et dégrade la personne, la réduisant à l’état de produit commercialisable. Légaliser la prostitution porte directement atteinte aux droits et libertés fondamentaux des femmes, des filles et des personnes vulnérables. De même, continuer de criminaliser les femmes et les populations vulnérables qui se livrent à la prostitution crée des obstacles qui les empêchent de se sortir de la prostitution et renforcent les inégalités.

Le moyen le plus efficace de contrer la prostitution et le trafic sexuel est de s’attaquer à la demande de l’industrie du sexe en ciblant les acheteurs. Les pays qui ont légalisé et réglementé la prostitution ont assisté à une hausse considérable de l’exploitation sexuelle, de la traite des personnes et de la violence, principalement à l’endroit des femmes et des filles.

Par comparaison, des pays comme la Suède et la Norvège ont axé leurs efforts en vue de criminaliser et de cibler les prédateurs (proxénètes et clients) qui s’en prennent aux femmes et aux filles. Cette approche, le “modèle nordique” de la prostitution, a permis de réduire considérablement la prostitution et le trafic sexuel.

En tant que pays, nous devons veiller à ce que les proxénètes et les prédateurs soient sévèrement punis, et que les femmes et les filles prostituées ne soient pas criminalisées. Au contraire, il faut offrir aux personnes qui se prostituent des issues qui leur permettront de se sortir de la prostitution. Plus important encore, le Canada doit s’attarder à la cause profonde de la prostitution en ciblant les acheteurs de sexe. [...]

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Un modèle canadien


Le Canada est bien placé pour implanter une version canadienne du modèle nordique qui criminalise l’achat de services sexuels.

Précédent national

. En 1990, la Cour suprême du Canada a rendu un jugement dans lequel elle affirmait que l’élimination de la prostitution par des moyens juridiques était un objectif valide que le Canada devrait chercher à atteindre.

. Le Canada a pris des engagements à l’échelle internationale en vertu du Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, qui exige des États Parties qu’ils

    « adoptent ou renforcent des mesures législatives ou autres, telles que des mesures d’ordre éducatif, social ou culturel, notamment par le biais d’une coopération bilatérale et multilatérale, pour décourager la demande qui favorise toutes les formes d’exploitation des personnes, en particulier des femmes et des enfants, aboutissant à la traite. » (Article 9(5))

. En février 2007, le Comité permanent de la condition féminine a publié un rapport dans lequel il s’est prononcé en faveur du modèle nordique. Les députés conservateurs, libéraux et néo-démocrates ont donné leur appui aux recommandations suivantes, qui correspondent clairement au modèle nordique de la prostitution :

    . Recommandation 6 – Le Comité recommande la suppression de l’article 213 du Code criminel interdisant la communication à des fins de prostitution.

    . Recommandation 7 – Le Comité recommande que le Code criminel soit modifié pour faire de l’achat de services sexuels un acte criminel.

. Dans son rapport intitulé Tour d’horizon des pratiques prometteuses en réponse à la traite des personnes au Canada, le Centre international pour la réforme du droit criminel et la politique en matière de justice pénale (produit en 2010 pour le Forum fédéral-provincial-territorial des hauts fonctionnaires responsables de la condition féminine) a désigné le modèle nordique comme une pratique prometteuse que le Canada devrait envisager. Le rapport sommaire national de Sécurité publique Canada intitulé Consultations avec des groupes d’intervenants sur la traite de personnes 2012-2013 souligne que l’une des priorités des intervenants est “la nécessité de mener des campagnes plus ciblées axées sur la question de la demande (pour des services sexuels et de travail)”.

. Depuis quatre ans, j’ai déposé des pétitions signées par des dizaines de milliers de Canadiens d’un océan à l’autre demandant l’adoption du modèle nordique.

Précédent provincial

. En 2012, le Conseil du statut de la femme du gouvernement du Québec a produit un rapport intitulé La prostitution : il est temps d’agir. Le rapport recommande explicitement de suivre l’exemple de la Suède en adoptant des lois qui décriminalisent les femmes prostituées, mais criminalisent tous ceux qui les exploitent.

. Par suite du jugement de 2013 de la Cour suprême, l’Alberta a donné l’instruction à ses procureurs, le 4 février 2013, de continuer de poursuivre les clients, mais non les prostituées.

Précédent en matière d’application de la loi

De nombreux services de police au Canada ont adopté des modèles d’application de la loi correspondant à l’approche nordique selon laquelle la prostitution victimise les femmes, les filles et les populations vulnérables et leur cause de profonds préjudices.

. Le Service de police de Toronto, le plus grand corps policier municipal du Canada, exige de la Section spéciale des victimes de l’Unité des crimes sexuels qu’elle considère les « travailleuses du sexe » d’abord comme des victimes.

. L’Unité de lutte contre l’exploitation du Service de police de Vancouver reconnaît que les femmes autochtones sont surreprésentées chez les prostituées et axe ses efforts de manière à aider les filles à se sortir du commerce du sexe. Elle mène également des projets qui, souvent, ciblent à la fois les proxénètes et les clients.

. La nouvelle Unité de lutte contre l’exploitation du Service de police de Winnipeg a elle aussi adopté une approche orientée sur les victimes pour ses enquêtes.

Soutien des ONG

Le modèle nordique bénéficie d’un appui manifeste qui transcende les allégeances politiques, les religions et l’ethnicité, et les groupes suivants sont au nombre de ceux qui le favorisent :

. Association canadienne des centres contre les agressions à caractère sexuel
. Association des femmes autochtones du Canada
. Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry
. Action ontarienne contre la violence faite aux femmes
. La Concentration des Luttes contre l’exploitation sexuelle
. Le Regroupement québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel
. Vancouver Rape Relief Society
. Alliance évangélique du Canada
. Defend Dignity
. [free-them]
. Walk With Me
. Aboriginal Women’s Action Network
. Asian Women Coalition Ending Prostitution
. South Asian Women Against Male Violence
. London Abused Women’s Centre
. Ligue des femmes catholiques

Recommandations

1. Cibler les acheteurs de sexe

. Modifier le Code criminel de manière à criminaliser explicitement l’achat de services sexuels à l’instar du paragraphe 212(4).

. Prévoir des peines qui augmentent en sévérité, de l’amende à l’emprisonnement.

2. Décriminaliser les vendeurs de sexe

. Modifier le Code criminel de manière à exclure les femmes prostituées de l’application des articles 197, 210, 212 et 213.

3. Renseigner la population

. La réussite et l’efficacité des mesures de ciblage de la demande passent par une campagne nationale de sensibilisation s’adressant à tous les Canadiens.

. Une campagne nationale de sensibilisation doit présenter l’achat de sexe comme étant contraire aux valeurs canadiennes.

. Une campagne nationale de sensibilisation doit révéler la violence, les inégalités et la coercition qui sont inhérentes à la prostitution et promouvoir la dignité et la valeur de toutes les femmes et de toutes les personnes prostituées.

4. Programmes d’abandon de la prostitution

. Les programmes destinés à aider les femmes prostituées à abandonner la prostitution sont essentiels à la réussite du modèle nordique.

. Les programmes d’abandon devraient être coordonnés avec les provinces pour qu’ils soient disponibles à l’échelle nationale.

. Envisager des mesures pour financer les programmes d’abandon à partir des amendes payées par les acheteurs de sexe.

5. Lutter contre l’exploitation

. Instaurer une peine minimale obligatoire pour le proxénétisme afin de s’attaquer aux proxénètes et aux trafiquants.

. Modifier le Code criminel pour que l’alinéa 212 (1)j) continue de s’appliquer aux proxénètes et aux trafiquants.

. Modifier le Code criminel pour imposer des restrictions aux maisons de débauche sans criminaliser les femmes prostituées.

. Élaborer des règlements visant à empêcher la promotion de services en ligne et par les médias écrits.

Lire le rapport intégral ci-dessous.

* On peut consulter toutes les sources de l’auteure dans les fichiers en PDF ci-dessous, que nous encourageons à télécharger et à partager.

 Le rapport :



 Les trois annexes :

 On peut aussi télécharger le rapport en français et en anglais sur le site de la députée.

. Courriel de la députée à la Chambre des communes
. Site Web
. Compte Twitter de la députée Joy Smith : https://twitter.com/MPJoySmith

N.B. Événement à ne pas manquer : « Invitation à la soirée "Abolir la prostitution, un choix de société", le 10 juin à Montréal - La CLES

 Lire aussi la rubrique de Sisyphe sur la prostitution en Suède.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 mai 2014

Joy Smith, députée de Kildonan—St. Paul (Manitoba)

P.S.

 Lire aussi : « Consultation sur la prostitution – Soutenir les personnes prostituées et pénaliser prostitueurs et proxénètes », par Johanne St-Amour, collaboratrice de Sisyphe. Lettre adressée au ministre de la Justice du Canada, Peter Mackay, et signée par 138 personnes.




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