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La parité hommes-femmes en politique, une question de démocratie et de justice

28 mai 2014

par Johanne St-Amour, féministe radicale et collaboratrice de Sisyphe

Lors de l’assermentation des ministres, le 23 avril dernier, le gouvernement Couillard a brisé sa première promesse électorale. Le chef du Parti libéral du Québec, qui visait une zone paritaire de 40-60 au conseil des ministres, y a nommé seulement huit femmes sur vingt-six ministres, une représentation féminine de seulement 31%. C’est un recul par rapport au gouvernement Marois, dont le conseil des ministres comptait 35% de femmes, et un recul encore plus significatif en regard des conseils paritaires des gouvernements libéraux de 2007 et 2008.

Depuis l’élection du 7 avril 2014, l’Assemblée nationale du Québec ne compte que 27% d’élues. Selon l’Union Interparlementaire, qui analyse la composition des parlements dans le monde, si le Québec était un pays, il se situerait au 45e rang des 150 pays classés. (1) Pas de quoi pavoiser !

Il a fallu attendre 20 ans après l’obtention du droit de vote des femmes pour qu’une d’entre elles, Mme Marie-Claire Kirkland-Casgrain, siège à l’Assemblée nationale du Québec (1961). En 1976, les femmes ne représentaient toujours que 4,5% des député-es élu-es et, à l’issue des cinq dernières élections, la proportion moyenne se situait à 29%. (2) Une progression trop lente. « [Elle] est non seulement lente, mais elle n’est ni progressive, ni linéaire, ni constante. À ce rythme, la parité ne pourrait être effective qu’en 2040. » (3)

La résistance des femmes et celle de leurs détracteurs

Des femmes hésitent à se lancer en politique, que plusieurs compare à un combat dans lequel elles ne se sentent pas à l’aise, ou encore, elles évoquent les difficultés de la conciliation famille-travail. Mais les contraintes structurelles et l’opposition, parfois subtile, de leurs détracteurs sont des obstacles majeurs aussi importants.

Drude Dahlerup, professeure à l’Université de Stockholm, auteure de la première étude mondiale sur l’utilisation des quotas, identifie quatre manières d’exprimer la résistance à l’accès des femmes au pouvoir. (4)

La vision sexiste présente la politique comme une affaire réservée aux hommes. Une certaine vision féministe déplore la mesure des quotas, affirmant que celle-ci déprécie les femmes. La théorie libérale dit donner priorité au mérite sur le sexe des candidat-es. La quatrième vision concerne particulièrement les anciens régimes communistes, qui ne veulent pas rétablir les quotas instaurés antérieurement, tout en occultant le fait que les femmes n’avaient aucun accès aux postes élevés du pouvoir.

Quand Alain Finkielkraut, philosophe et académicien français, « s’inquiète de voir que les femmes doivent composer avec « le déni de la sensibilité, de la douceur, de la bienveillance - enfin ce que la bonne santé de la société espère d’elles » (!) (5), il évoque une résistance franchement sexiste.

Pour leur part, les tenants de la théorie libérale jettent un regard impitoyable sur les compétences des femmes. Cette vision sème un doute pernicieux dans les esprits. Lorsqu’il est question d’instaurer des quotas afin de pallier à la faible représentation des femmes aux postes décisionnels, la compétence des femmes est systématiquement remise en question.

Pourquoi cette méfiance envers les femmes ? « [L]es lois sur la parité ne sont pas faites pour porter des incompétentes au pouvoir mais pour éviter que des femmes compétentes n’en soient écartées », affirme Isabelle Germain, journaliste et fondatrice de NouvellesNews (6).

Quand ce n’est pas la compétence qui est mise en doute, ce sont les exigences envers les femmes qui deviennent irréalistes. On dit des femmes qu’elles ont des attentes de performance très élevées et souvent idéalistes, notamment lorsqu’il est question de viser des postes prestigieux. Jusqu’à quel point ces attentes ont-elles été insufflées par une société patriarcale anxieuse de perdre des acquis ? « Exige-t-on d’un homme qu’il ait occupé 14 ministères, comme Pauline Marois, pour devenir chef de parti ? demande Lise Payette. Jamais de la vie ! »(7)

L’attitude critique et de défiance concernant les quotas sont problématiques : « Vous ne voulez surtout pas qu’on dise que vous êtes un quota ! » On insinue, presque sans aucune subtilité, la honte et la culpabilité face aux espoirs des femmes en oubliant que l’accès des hommes au pouvoir est pratiquement sans limites et sans conditions. Il n’est pas étonnant alors que des féministes s’insurgent contre les quotas.

Procéder par quotas, ou autres moyens, semble toujours instiller le danger d’une démesure en défaveur des hommes. Et ce, alors même que la démesure actuelle en défaveur des femmes n’est jamais prise au sérieux, et est même parfois niée.

Les quotas seraient discriminatoires envers les hommes, précise Drude Dahrelup, si la situation était au départ équitable pour tous et toutes. « Il faut […] rappeler que les hommes sont élus depuis de nombreuses années sur la base de quotas officieux » (8).

Un partage équitable du pouvoir

Il faudrait cesser de scruter le curriculum des femmes, et revenir aux origines réelles du problème de leur faible représentation au pouvoir.

La libération des femmes a permis de briser les stéréotypes et l’hégémonie des représentants masculins aux différentes sphères de la société, politique, économique, sociale, religieuse, familiale. Elle a rendu possible un équilibre plus juste du partage du pouvoir, mais les représentants de certains secteurs, comme la religion et la politique, font preuve d’une forte opposition.

Épargnés des fonctions domestiques dévolues aux femmes, les hommes ont pu faire l’apprentissage et acquérir l’expérience du pouvoir : on leur donnait la légitimité, l’espace, le temps et tous les moyens dont ils avaient besoin. Et la compétence n’a jamais été une condition sine qua non. Il est important de rappeler que les femmes comme les hommes, en politique, ont l’occasion de déployer leurs capacités lors de la lutte électorale. Parler des compétences des femmes est donc un prétexte fallacieux.

Le pouvoir accordé aux hommes est tellement ancré dans les mœurs qu’il semble véritablement une seconde nature masculine. Tellement que tout ce qui est fait pour établir un nouveau projet de société s’interprète comme un traitement de faveur envers les désavantagées. C’est pourquoi le terme « discrimination positive » serait, selon moi, à bannir de notre vocabulaire. Nous devrions plutôt parler de l’abolition d’une iniquité ou encore de partage équitable du pouvoir.

Des moyens pour atteindre la parité

Des pays ont inscrit la parité dans leur Constitution. D’autres ont choisi d’établir des quotas.

Souvent cités en exemple, les pays nordiques ont les taux de représentation politique féminine les plus élevés au monde. Par ailleurs, la Suède (4e), la Finlande (8e), l’Islande (12e), la Norvège (13e) et le Danemark (15e) n’ont jamais légiféré, ni abrogé la constitution. L’avancement des femmes au niveau politique est le résultat des luttes féministes en général et de l’influence de certains groupes féministes à l’intérieur même des partis. (9)

Au Québec, les résultats tardent à se manifester, « les grands moyens (les réformes législatives) seraient la solution ultime pour faire changer les choses » et pour mettre fin au « boy’s club ». (10) Néanmoins, la ministre de la Justice et de la Condition féminine, Stéphanie Vallée, n’est pas convaincue de la nécessité de légiférer pour acccroître la représentativité des femmes à l’Assemblée nationale. Elle remet en question l’efficacité de certaines mesures, comme les quotas.

Pourtant, l’établissement de quotas serait une mesure de rattrapage temporaire, qui accélèrerait la progression vers une zone de parité 40-60 - d’un minimum de 40% et d’un maximum de 60% de représentant-es d’un sexe.

Les conseils d’administration des sociétés d’État sont passés de 27,5% à 52,4% en 5 ans, grâce à la loi sur la gouvernance des sociétés d’État de 2006. (11) Ce qui donne un indice des résultats possibles si on légiférait, souligne Esther Lapointe du Groupe Femmes, Politique et Démocratie. (12) Pourquoi cela ne pourrait-il se faire en politique ? Ce groupe d’éducation populaire, qui forme et accompagne les femmes désireuses de se lancer en politique, propose également que l’État, qui subventionne largement les partis politiques, légifère afin de leur imposer la parité des candidatures aux élections. Les partis politiques doivent « prendre conscience de leur fonction de filtrage » (13). Et remédier aux inégalités.

Il est essentiel d’établir des mesures incitatives très efficaces. La France étudie présentement un projet de loi afin d’assurer l’égalité réelle entres les femmes et les hommes et propose « de renforcer la réduction du montant (première fraction) attribué aux partis politiques ne respectant pas les objectifs de parité dès la prochaine législature ». (14) Au lieu de faire les efforts requis, les partis préféraient recevoir moins d’argent !

Au Québec, Françoise David, députée de Québec solidaire dans la circonscription de Gouin, propose d’accorder des bénéfices financiers aux partis qui obtiendraient un minimum de 40% de candidatures féminines et des amendes sévères pour ceux qui en recrutent moins de 30%. Le Conseil du statut de la femme a suggéré des mesures semblables dans le passé. Si les amendes m’apparaissent un message clair aux formations politiques, les récompenses révèlent un funeste affront aux femmes : si la volonté d’une représentativité égalitaire est réelle, on peut se passer de la couronner et de la rémunérer.

Le GFPD recommande également de continuer à accorder un financement approprié aux organismes qui soutiennent les femmes dans leur démarche. Éduquer les femmes et les jeunes à l’action citoyenne et démocratique, en soulignant l’importance de la parité, est primordial.
L’intérêt pour la politique croît avec la connaissance. Et plus les jeunes filles rencontreront des modèles de femmes au pouvoir, plus elles auront de chances et l’envie d’y accéder. Certains pays, comme les pays nordiques et la Belgique, initient les jeunes, dès le secondaire à une participation citoyenne égalitaire.

La vie politique demande, de plus, un engagement imposant. Pour que les femmes participent davantage, il faut accroître le partage des responsabilités familiales et développer des stratégies créatives pour bien concilier responsabilités et fonctions politiques.

La démocratie passe par la parité

De plus en plus, on s’accorde pour affirmer que la démocratie passe indubitablement par la parité (15). S’ils sont aussi démocratiques qu’ils le prétendent, les gouvernements n’auront d’autres choix que de prendre les moyens pour la réaliser.

Enfin, la parité en politique force également une représentation plus égalitaire dans d’autres domaines, comme dans le domaine juridique, dans les médias, dans les entreprises commerciales et ailleurs. Quelle société qui se targue de soutenir l’égalité des femmes voudrait sciemment s’en priver ?

Notes


1. Union interparlementaire, « Les femmes dans les parlements nationaux – classement mondial », 1er février 2014.
2. Ianick Marcil, « Représentation des femmes en politique - Une minorité visible historique », Ensemble Presse coopérative et indépendante, 30 avril 2014
3. Centre de développement Femmes et Gouvernance (CDFG) et Groupe Femmes, Politique et Démocratie (GFPD), « Pour une égalité de fait », présenté à la Commission des relations avec les citoyens, Consultations particulière et auditions publiques sur le document « Pour que l’égalité de droit devienne une égalité de fait – Vers un deuxième plan d’action gouvernementale pour l’égalité entre les femmes et les hommes », 2 février 2011.
4. Le Monde des parlements, « Les femmes, les quotas et la politique – Entretien avec Madame Dahlerup », 2006.
5. Isabelle Germain, « Quand Finkielkraut renvoie les femmes à la maison », Le blog de Hugo, 25 avril 2014.
6. Idem.
7. Amélie Daoust-Boisvert, « Lise Payette appelle les femmes à réinvestir le Parti québécois », Le Devoir, 6 mai 2014.
8. Le Monde des parlements, « Les femmes, les quotas et la politique – Entretien avec Madame Dahlerup », 2006.
9. Sous la direction de Julie Ballington et Marie-José Protais, « Les femmes au parlement : au-delà du nombre », International IDEA, Édition française (2002).
10. Mélanie Marquis de La Presse canadienne, « Le CSF espère mettre fin aux "boys club" en politique, La Presse, 16 avril 2014.
11. Gérard Bérubé, « Conseils d’administration des sociétés d’État - La parité hommes-femmes est atteinte », Le Devoir, 21 décembre 2011.
12. Centre de développement Femmes et Gouvernance (CDFG) et Groupe Femmes, Politique et Démocratie (GFPD), « Pour une égalité de fait », présenté à la Commission des relations avec les citoyens, Consultations particulières et auditions publiques sur le document « Pour que l’égalité de droit devienne une égalité de fait – Vers un deuxième plan d’action gouvernementale pour l’égalité entre les femmes et les hommes », 2 février 2011.
13. Le Monde des parlements, « Les femmes, les quotas et la politique – Entretien avec Madame Dahlerup », 2006.
14. Site du Sénat, « Égalité Femmes - Hommes - Projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes », le 10 mai 2014.
15. Claudine Blasco, « La parité, indicateur et outil du processus démocratique. Les conditions sociales de la démocratie », ATTAC France, 18 septembre 2007. Aussi : Annick Riani, « L’instauration d’une véritable démocratie passe par la parité », L’Afmeg, 27 avril 2006.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 26 mai 2014

Johanne St-Amour, féministe radicale et collaboratrice de Sisyphe


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