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Prostitution - Ce n’est tout simplement pas un métier

15 juin 2014

par Louise Langevin - Professeure titulaire, Faculté de droit, Université Laval

Six arguments féministes pour la criminalisation des « clients » qui achètent du sexe*

Le projet de loi C-36 déposé par le gouvernement conservateur visant à criminaliser les clients et les proxénètes est loin d’être parfait et ne peut se réclamer d’une parenté avec le modèle nordique dans le domaine. Le projet législatif ne survivrait pas à un examen de sa constitutionnalité par les tribunaux en raison de son article qui criminalise la prostitution de rue et qui pousse les prostituées dans des endroits possiblement dangereux. Les groupes de femmes s’entendent là-dessus. Il n’en reste pas moins que la criminalisation des clients qui achètent du sexe permet de respecter les droits fondamentaux des femmes.

Le modèle nordique bien compris et bien appliqué de la criminalisation des « clients » s’inscrit tout à fait dans la réflexion féministe. Le mouvement féministe canadien et québécois n’est pas monolithique. Le débat sur la prostitution le démontre encore une fois. Comme l’a fait Viviane Namaste, examinons de plus près les fondements et les conséquences de la criminalisation des « clients ».

1. Le modèle nordique permet le respect du droit à l’égalité des femmes. La prostitution ne peut être sortie de son contexte : elle se produit à 90% du temps dans une situation de déséquilibre économique, de déséquilibre de pouvoir, de déséquilibre genré et dans les cas de traite pour fins prostitutionnelles, de déséquilibre entre les rapports Nord-Sud. Dans une société patriarcale et capitaliste, les femmes ne décident pas. On ne peut pas parler de relation consensuelle. La prostitution porte atteinte au droit à l’égalité des femmes parce qu’il y a atteinte profonde à leur dignité humaine.

2. La prostitution constitue une forme très grave de violence à l’égard des femmes. Que la prostitution soit criminalisée ou encadrée, la violence envers les femmes demeure. Même dans les pays qui ont légalisé ou encadré la prostitution (Pays-Bas, Allemagne), la violence envers les prostituées demeure. Ce n’est pas le plus vieux métier du monde. Ce n’est pas un métier.

3. Le modèle nordique de criminalisation des « clients » vise à changer les mentalités. Dans une société où l’égalité pour les femmes constitue une des valeurs fondamentales, la criminalisation des « clients » envoie un message clair : la prostitution n’est pas acceptable dans notre société qui aspire à l’égalité de toutes et de tous. La marchandisation du corps des femmes ne fait pas partie de nos valeurs. La défense des droits individuels de quelques-unes (10% des prostituées) ne peut s’imposer aux droits de la majorité.

4. Comme l’a démontré le rapport analysant la première décennie de criminalisation des « clients » en Suède (1999), le lien entre la traite des filles et des femmes et la prostitution est clair, un alimentant l’autre en matière première. Puisqu’il est devenu trop risqué et peu payant de faire entrer des femmes en Suède pour des fins prostitutionnelles, les passeurs et les proxénètes se sont déplacés ailleurs. Le Canada est signataire de la Convention de Palerme qui vise à enrayer la traite des êtres humains. Il doit respecter ses obligations.

5. Puisque la prostitution est une atteinte au droit à l’égalité des femmes, le modèle nordique veut d’abord les protéger par leur réinsertion sociale, ce qui demande une volonté politique et des programmes étatiques. La criminalisation des « clients » est une deuxième étape. La mise en place des programmes de réinsertion et la diminution de la demande des « clients » exigent une période transition.

6. Et si le discours de la reconnaissance des « travailleuses du sexe » était en fait un discours très conservateur déguisé en allure très libérale ? Sous des airs très libéraux (je fais ce que je veux de mon corps, je décide pour moi-même), se cache l’exploitation des femmes et des filles qui s’y soumettent pour leur survie économique. Les clients, surtout des hommes hétérosexuels, sont satisfaits. Que dire des proxénètes… Les militantes pour le « travail du sexe » font alliance avec les conservateurs.

* En référence à l’article « Cinq arguments féministes contre la criminalisation des clients », publié dans Le Devoir, le 9 juin 2014.

Publié d’abord dans Le Devoir, le 12 juin 2014. Publié sur Sisyphe avec l’autorisation de l’auteure que nous remercions.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 14 juin 2014

Louise Langevin - Professeure titulaire, Faculté de droit, Université Laval


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