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Dignes dingues dons

19 avril 2007

par Michèle Bourgon

Je reviens de quelques courses et, à la sortie de chez le quincaillier, on me demande si je veux manger des hots dogs. C’est pour le club de football. Je prête donc mon estomac à reflux gastriques à cet exercice. Après tout, le sport, c’est sain.

Je me dirige ensuite au marché d’alimentation. A la caisse, on me demande si je veux faire un don pour Enfants soleil. En poussant mon chariot vers la sortie, la Fondation Mira me demande un don pour des chiens-guides. Au marché de légumes, d’autres jeunes filles, même pas gentilles ni polies, me poursuivent pour que je contribue à leur voyage en Floride (pour apprendre l’anglais). Au retour, je rencontre un sans-abri qui tend la main à l’arrêt d’un feu de circulation.

En rentrant à la maison, je passe chercher mon courrier et, surprise, une lettre de l’hôpital où je suis allée récemment. Je l’ouvre avec fébrilité : la Fondation de l’hôpital me demande de contribuer, étant donné qu’on m’a offert des services. Au travail, une lettre de Centraide (que je dois remettre à un représentant de mon département...) me propose de contribuer à toutes les semaines ; on prélèvera ce montant sur mon salaire. L’objectif à atteindre est de... et l’entreprise recevra une lettre de félicitations, et la nouvelle paraîtra dans le journal local. Go Habs Go ! (1)

Chouchou reçoit un appel de son ancienne université. On sollicite un don, étant donné la formation qu’on lui a dispensée. Il répond après avoir patiemment écouté tout le baratin de son interlocutrice : « Pas cette année ». On lui renvoie une lettre insistant sur le fait que la Fondation universitaire X est essentielle et que l’on compte sur lui. Pourtant, il a dû déménager vingt fois depuis et on arrive toujours à le retracer. Plus efficaces que Colombo, ces rabatteurs(teuses) !

Va me falloir à moi-même une fondation pour contribuer à toutes ces bonnes œuvres.

Au risque de paraître pingre, j’en ai marre. Ce n’est pas politiquement correct, mais c’est comme ça, et en en parlant autour de moi, j’ai constaté que l’immense majorité en a ras l’aumônière.

Oui, il est évident que toutes ces causes sont excellentes et que l’argent manque. Et oui, on devrait donner le plus qu’on peut. Mais là, il y a de plus en plus comme une forme de harcèlement qui est fort désagréable. Pourquoi ? Parce qu’on se sent agressé-e, culpabilisé-e. Et où qu’on aille, ILS-ELLES y sont.

Je donne ce que je peux et je le donne à qui je veux. Une année, à l’hôpital de ma région, l’autre à la Fondation des maladies du cœur, l’autre, à la marche contre le cancer, etc. et parfois même à plusieurs Fondations (mortalité oblige aussi), je donne d’une autre façon, en recevant un-e ami-e qui n’a pas beaucoup de sous et en lui faisant découvrir ma nouvelle région à mes frais. Réconforter un-e ami-e, lui permettre de changer d’air, ça aussi, c’est important.

Je refuse d’être harcelée, manipulée par l’immense industrie des Fondations. Je donne ce que je peux et je le fais généreusement comme vous tous probablement.

Les campagnes de financement devraient être repensées. Le marketing est trop agressif. Il devrait y avoir une coordination des demandes de fonds parce que le-la chasseur(se)-cueilleur(se) ne peut donner que ce qu’il a récolté et n’a pas à s’en sentir coupable. Plusieurs personnes sont incapables de supporter cette culpabilité, alors elles donnent partout où il y a des demandes.

Les Québécois-es sont indiscutablement généreux-ses, sont conscient-es des besoins et veulent une société plus juste.

Je veux bien de dignes dons, mais pas des dons dingues.

Note

1. Ban d’encouragement à notre équipe nationale de hockey, les Canadiens de Montréal.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 19 avril 2007

Michèle Bourgon


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