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Antoinette Fouque - Faire feu de tout bois

13 novembre 2014

par Élaine Audet

Antoinette Fouque, figure historique du Mouvement de libération des femmes (MLF)

née le 1er octobre 1936 à Marseille, est morte à Paris le 20 février 2014. Psychanalyste, essayiste, politologue et femme politique, elle a créé notamment le groupe Psychanalyse et Politique, les éditions et la librairie des femmes, l’Alliance des femmes pour la démocratie. En 2013, elle a conçu et publié avec ses collaboratrices Le dictionnaire universel des créatrices, une œuvre phare en 3 volumes de 5 000 pages. Elle a reçu les distinctions honorifiques de commandeure de la Légion d’honneur, commandeure de l’ordre national du Mérite et Officière des Arts et des Lettres.

Le 5 avril 2014, à la Maison de la Chimie à Paris, ses proches en provenance de divers milieux politiques, intellectuels et militants lui ont rendu un bel hommage. Dans le livre Avec Antoinette Fouque (1), qui vient de paraître, ses fidèles complices relaient, avec photos et textes inédits, les paroles pleines d’émotion qui, lors de cet après-midi mémorable, ont retracé son parcours, et ce que lui doit le mouvement des femmes d’hier et d’aujourd’hui. Je n’ai jamais rencontré cette femme exceptionnelle, mais une solidarité amicale et chaleureuse s’est établie entre nous au cours des dix dernières années de sa vie.

Le livre contient quelque cinquante témoignages, majoritairement féminins, dont celui de Aung San Suu Kyi, Édith Cresson, Delphine Batho, Irina Bokova, Isabelle Huppert, Chantal Chawaf, Élizabeth Roudinesco, Lidia Falcon, Hélène Cixous, Kate Millett, Taslima Nasreen, pour ne nommer que les plus connues d’entre elles. Les éditrices ont réparti les textes en quatre thèmes qui ont jalonné le parcours d’Antoinette Fouque : S’engager, créer, penser, libérer.

D’entrée de jeu, on est frappé par la qualité de cet hommage en termes d’écriture, de splendeur de l’iconographie, de beauté formelle. Il est vrai que les éditions des femmes nous ont habitué-es à une telle qualité et, comme le souligne à juste titre Hélène Cixous à propos de son amie : "Ne pas avoir peur de la beauté, c’est sa signature".

Au fil des pages, plusieurs personnes soulignent le courage d’Antoinette Fouque, sa force, son enthousiasme, son amour des femmes, sa générosité, son empathie. Certaines la remercient même de leur avoir sauvé la vie ou d’avoir changé le cours de celle-ci. C’est le cas notamment de Aung San Suu Kyi et de Taslima Nasreen qu’Antoinette Fouque a contribué puissamment à sauver de la dictature militaire et islamiste.

Pour la philosophe Blandine Kriegel, "en réfléchissant sur les liens qui existent entre la genèse, l’engendrement, la naissance et la connaissance, elle a ouvert toute une avenue de la pensée du féminin qui n’existait pas". À cette même Blandine Kriegel, Antoinette Fouque avait écrit en 2002 pour lui demander de réagir à l’assassinat sexiste de Sohane, jeune fille de dix-sept ans brûlée vive dans le local à poubelles d’une HLM. Rien de ce qui concernait les femmes ne lui était indifférent.

L’écrivaine Hélène Cixous, qui la connaissait depuis 1975, lui rend hommage dans un très beau texte qu’il conviendrait de citer en entier :

    Elle était la surprise même. Et une fois surprise par Antoinette, on allait à travers l’époque de surprise en surprise. Il y a très peu d’êtres surprenants. Une fois qu’on avait été surpris par Antoinette, ça n’arrêtait plus. Elle aurait peut-être appelé ce don si rare ’être en mouvement’.

Parmi les témoignages d’une cinquantaine de femmes figurent ceux de quelques hommes, notamment celui du sociologue Alain Touraine, de l’historien Pierre Nora, du psychanalyste Serge Leclaire (par l’entremise de sa fille, Odile). Des amis et interlocuteurs d’Antoinette Fouque qui ont toujours reconnu l’importance intellectuelle de sa pensée et de son travail novateur sur la langue. Un travail "poéthique" qu’elle jugeait essentiel pour exprimer au plus près la réalité des femmes, trop souvent inédite ou interdite. Alain Touraine salue ce qu’il a fallu à cette femme "de courage intellectuel pour s’engager contre les voies déjà traversées, pour aller sans cesse plus loin".

Jamais plus qu’Antoinette Fouque, personne n’a suscité autant de ressentiment durable que d’admiration, de reconnaissance, d’indéfectibles amitiés personnelles, militantes et intellectuelles. "Partout où elle passait, ça poussait. Une telle fécondité produit toujours aussi ses contraires, des antagonismes. C’est ainsi, ce qui croît, et jouit, suscite des résistances à la vie, c’est mécanique", résume bien l’écrivaine Hélène Cixous.

Antoinette Fouque n’a jamais craint de conjuguer les contraires, de dépasser la dualité. Elle considérait insuffisant le féminisme "égalitaire" qui, pour elle, se limitait à revendiquer pour les femmes le droit d’être des hommes comme les autres, en ne mettant pas l’accent sur leur spécificité :

    Égalité et différence ne sauraient aller l’une sans l’autre ou être sacrifiées l’une à l’autre. Si l’on sacrifie l’égalité à la différence, on revient aux positions réactionnaires des sociétés traditionnelles, et si l’on sacrifie la différence des sexes, avec la richesse de vie dont elle est porteuse, à l’égalité, on stérilise les femmes, on appauvrit l’humanité tout entière". (2)

Cette femme de pensée, de création et d’action, d’une énergie peu commune, atteinte très tôt d’une maladie dégénérative, a réalisé au cours de ses 77 ans de vie plus que beaucoup d’êtres bien portants. Et, pour terminer sur un mot qui l’anima, comme le rappelle Hélène Cixous : "Indépendance ! est un cri de ralliement et simultanément de solitude. [...] Indépendance avec dépendance réciproque, entretenue entre les vivantes et avec les mortes et les morts."

Notes
1. Avec Antoinette Fouque - Hommage, Paris, éditions des femmes, 2014.
2. Antoinette Fouque, Il y a 2 sexes, Paris, Gallimard, 2004, p. 292.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 6 novembre 2014

Élaine Audet

P.S.

Élaine Audet, Antoinette Fouque, entre féminisme et libération des femmes, Sisyphe, 2007.




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