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Où va le Conseil du statut de la femme ?

16 mars 2015

par Micheline Carrier

Il y a une quinzaine de jours, dans une lettre adressée au Conseil du statut de la femme et à des médias, une centaine de femmes médecins ont accusé le CSF de les « laisser tomber », de diviser les femmes et, en appuyant le projet de loi 20 (qui imposera des quotas aux médecins), de « cautionner les visées totalitaristes » du ministre de la santé ».

La semaine dernière, Julie Latour, avocate membre du CSF depuis septembre 2013, reprochait notamment à la présidente du CSF, Julie Miville-Dechêne, d’avoir pris seule la décision d’appuyer ce projet de loi et de fermer tous les bureaux régionaux du CSF en raison des coupures de budget imposées par le gouvernement du Québec. Accusant la présidente de détourner le mandat du CSF, Julie Latour a démissionné, ne se sentant pas en mesure d’exercer les fonctions pour lesquelles on l’avait nommée.

J’ai pris connaissance des opinions exprimées par les unes et les autres, et j’aimerais proposer quelques réflexions.

Pour être tout à fait transparente, précisons d’abord que Julie Latour est une amie et une collaboratrice du site Sisyphe.org. Par ailleurs, je suis les activités du Conseil du statut de la femme depuis sa création et j’y ai travaillé comme contractuelle pendant quelque temps au milieu des années 70. Bien que j’aie parfois exprimé, au fil des années, mon désaccord avec certaines de ses décisions ou orientations, j’ai toujours défendu cet organisme comme étant un formidable instrument pour l’égalité et l’avancement des femmes. Un organisme dont la société québécoise peut être fière. Sur Sisyphe, plusieurs milliers de personnes ont signé, en 2004, une pétition déposée ensuite à l’Assemblée nationale pour soutenir le CSF lorsque des menaces planaient sur son existence. Enfin, par souci d’informer les femmes, nous relayons également sur ce site les communiqués et autres documents que l’organisme nous transmet. Ces choses étant dites, voici mes commentaires.

Décision unilatérale

Le noeud de la situation au Conseil du statut de la femme pourrait être le fait que la présidente interprète son mandat comme étant indépendant de celui de son Conseil. Elle admet qu’elle n’a pas consulté son Conseil « faute de temps » avant d’appuyer le projet de loi 20 du ministre de la santé. Un projet qui pénalisera notamment les femmes médecins et pourrait n’aider en rien les patientes les plus vulnérables. Ce qui plus est, la présidente du CSF soutient qu’elle n’avait pas à consulter parce qu’il lui revient de prendre position au nom du CSF. L’assemblée des membres n’est pas un conseil d’administration, dit-elle : « Ça se prononce sur les orientations de contenu. […] Toutes les questions de gestion et d’administration relèvent exclusivement de moi et de mon comité de direction. » Source ici.)

La gestion courante du Conseil du statut de la femme et son rôle de conseiller auprès du gouvernement sont deux choses. Si la présidente n’a pas à consulter le Conseil pour assurer l’administration courante (engager des secrétaires, donner des entrevues, rencontrer des groupes de femmes, donner des conférences et autres), il devrait en être autrement quand il s’agit d’analyser les dossiers et de donner des avis qui engagent l’organisme auprès du gouvernement et du public.

Rien d’ailleurs dans la loi qui a créé le CSF n’accorde à la présidente le pouvoir de décider seule. L’article 11 – le seul qui réfère nommément à son rôle - se lit ainsi : « Le président dirige les activités du Conseil et en coordonne les travaux ; il assume la liaison entre le Conseil et le ministre. » (N.B. la féminisation des titres n’était pas encore entrée dans l’administration publique de l’époque). « Diriger les activités et coordonner les travaux » suppose que d’autres personnes ont un rôle à jouer dans ces activités et travaux. « Assumer la liaison entre le Conseil et le ministre » suppose que l’assemblée du Conseil est l’entité dont on transmet les décisions. Tous les autres articles de cette loi décrivent les pouvoirs du Conseil. Il « doit ou peut » faire telle chose ou telle chose. Rien n’indique que la présidente peut se substituer à l’assemblée pour faire ceci ou cela.

Les décisions du Conseil devraient se prendre par consensus. La présidente aurait sûrement à trancher parfois en l’absence de ce consensus. Mais il est contestable qu’elle se donne le pouvoir de décider seule du contenu d’un avis ou d’une décision engageant l’organisme, qui, en plus, place les membres devant un fait accompli.

On présume qu’en nommant des membres représentant différents milieux socio-économiques pour assister la présidente du CSF dans son mandat, le législateur n’avait pas l’intention d’en faire de simples figurantes, des béni-oui-oui. Les membres du Conseil, nommées pour leur expertise dans leur domaine respectif consacrent des heures et des jours, bénévolement, à étudier des dossiers et à en débattre. Elles « conseillent » selon leur propre expérience. Cet exercice serait pour « la forme », la présidente pouvant toujours décider seule ?

Si le pouvoir de décision est vraiment entre les seules mains de la présidente, il faudrait réviser ce mode de fonctionnement. Les femmes ont beau être championnes de l’abnégation et du don de soi, il y a des limites à ne pas franchir surtout de la part d’un organisme voué à la défense de l’égalité et des droits des femmes.

Toujours en raison de délais jugés trop courts, Mme Miville-Dechêne s’est basée sur un avis déjà publié par le CSF en 2013. Donc, la position du conseil était connue, dit-elle. En tout respect, rafistoler à la dernière minute un avis publié un an et demi plus tôt, dans un contexte social et économique autre, me semble de l’amateurisme. Si les délais étaient trop courts pour présenter un mémoire, la présidente du CSF n’avait qu’à le dire au ministre et à refuser de se laisser bousculer, à prendre le temps de consulter son Conseil pour présenter une position de consensus. Les commissions parlementaires ne sont pas les seules voies pour donner des avis et le projet de loi n’est pas encore adopté. Elle pouvait transmettre cette position au ministre et la rendre publique dans d’autres circonstances.

Timidité ou résignation ?

De ce côté-ci de la clôture, en tant que défenderesse des droits des femmes et observatrice de l’évolution du CSF depuis des décennies, l’interprétation que la présidente donne à son mandat et le peu de vigueur qu’elle met à défendre l’organisme me semblent affaiblir le CSF. Je ne mets pas en cause l’engagement féministe ni les motivations de Mme Miville-Dechêne. Je constate simplement une certaine timidité, et peut-être même de la résignation, devant un ministre de la santé autoritaire et à une ministre à la condition féminine muette, alors que les droits des femmes sont menacés de toutes parts, y compris par le gouvernement du Québec. On ne s’attend pas que le CSF se comporte comme un syndicat. Mais il serait normal qu’il s’oppose et dénonce quand c’est nécessaire de défendre les acquis des femmes, comme il l’a fait maintes fois au cours de son histoire.

Pourquoi la présidente du CSF a-t-elle endossé les présupposés du ministre sur le projet de loi 20 sans les soumettre à un sérieux examen critique ?

« Pour le Conseil, dit-elle, il est impossible d’ignorer que les femmes, à titre de patientes, de proches aidantes, de parents et majoritaires chez la population vieillissante, sont les principales usagères du système de santé. Elles font donc les frais de ce manque d’accès à la première ligne, ce qui compromet leur santé, les condamne aux urgences, sans compter le stress et le temps perdu. Pour les femmes âgées, vulnérables, en perte d’autonomie, c’est encore plus dramatique. »

Que les quotas imposés aux médecins puissent accroître automatiquement l’accessibilité et la qualité des services médicaux n’est qu’un postulat non démontré. Ne soyons pas naïves. L’objectif du ministre et de son gouvernement est de réaliser des économies pour réduire le déficit. L’amélioration et l’accessiblité des services est un enrobage pour mystifier la population. Le ministre aurait donné certaines assurances verbales en commission parlementaire pour adoucir les effets de la loi pour les femmes médecins, déjà désavantagées. Que valent des assurances verbales ? De plus, imposer à des médecins un nombre X de patient-es entraînera sans doute la réduction du temps de consultation. Faisant partie de la "clientèle vulnérable", j’ai hâte de voir si les grandes manoeuvres du ministre amélioreront les services que je reçois. Je crains plutôt que les deux visites annuelles à ma médecin généraliste se réduisent à une car elle devra accepter plus de patient-es. Si la relation entre patient-es et médecins de famille est si secondaire pour le radiologiste qu’est le Dr Barrette, aussi bien demander aux médecins de mener des consultations et de distribuer des ordonnances par internet.

Il est notoire que le Dr Barrette a depuis un bon moment des comptes à régler avec les médecins généralistes. Il profite de sa position de ministre pour le faire. Il était maladroit de la part de la présidente du Conseil du statut de la femme d’ajouter de l’eau au moulin du ministre au détriment de certaines femmes. Si ce dernier, sur son orbite autoritariste, n’a pas envisagé les conséquences de ses actes, la présidente du CSF n’a pas à avaliser une telle inconscience. Pourquoi ne pas proposer, pour faire des économies, de modifier le mode de paiement des médecins et de supprimer les primes de tous genres dans les milieux de la santé ? Pour accroître l’accessibilité des services, pourquoi ne pas accroître le nombre de médecins ? Le ministre pourrait, par exemple, faciliter l’intégration au système de santé de médecins formés ailleurs qui vivent ici depuis longtemps sans pouvoir exercer leur profession. La population profiterait de leur expérience.

Quant à la coupure de 458,000$ du budget du CSF, la présidente y semble tout aussi résignée. Elle a accepté une amputation de 12% du budget (le CSF a perdu 25% de son budget au cours des 5 dernières années), en alléguant qu’il y avait de toute façon des coupures dans tous les services. Que diable ! Si celle qui est chargée de défendre les femmes contre ces coupures arbitraires se résigne aussi facilement, le gouvernement a la partie belle. Quant à la fermeture des bureaux régionaux, la présidente a dit avoir « fait les représentations qui se doivent à la ministre » Stéphanie Vallée afin de préserver autant que faire se peut les crédits octroyés au CSF. « C’est son point de vue que je n’aie pas protesté. J’ai dit ce que j’avais à dire [à Mme Vallée] ». C’est tout ? Pour une conséquence aussi importante que celle de fermer les derniers bureaux régionaux du CSF !

D’ailleurs, pourquoi "l’argument" des services à dispenser au plus grand nombre pour justifier le choix des patientes VS les femmes médecins « bien payés » ne vaut-il pas aussi en faveur des régions ? Une majorité de femmes du Québec vivent dans les régions. Elles seront privées des services et du soutien du CSF dans leur lutte pour l’accès à l’égalité qui est parfois plus difficile que dans les grands centres urbains. Le rôle du CSF n’est-il pas de défendre les intérêts de TOUTES les femmes du Québec, sans égard à leurs revenus, quand elles sont victimes de politiques discriminatoires ?

Finalement, les femmes médecins n’ont-elles pas raison d’affirmer que la présidente du CSF a « joué » des femmes les unes contre les autres ? Le ministre, en tout cas, a saisi rapidement l’aubaine. Il a salué comme « socialement responsable » la position de la présidente du CSF. Des propos risibles dans la bouche du Dr Barrette. Un homme qui a touché une commission de 1,2 million de dollars pour avoir extorqué à l’État une augmentation de 1,2 milliard de dollars des revenus des seuls médecins spécialistes sait-il vraiment ce qui est « socialement responsable » ? Le ministre n’a pu s’empêcher de distiller son mépris habituel envers les médecins généralistes en insinuant que les femmes médecins avaient été envoyées « au combat [pour] lire la cassette de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), c’est assez corporatiste ». Et la présidente du CSF n’a pas relevé cette déclaration misogyne du ministre qui considère les femmes médecins des marionnettes.

Et après ?

La présidente du CSF serait sans doute plus forte et plus écoutée si elle n’allait pas seule « au front » et s’appuyait sur les membres de son Conseil. Pourquoi n’a-t-elle pas aussi demandé au gouvernement d’appliquer l’analyse différenciée selon les sexes dans ses décisions ? Pourquoi n’a-t-elle pas cherché l’appui de l’ensemble des groupes de femmes du Québec pour faire pression sur le gouvernement face à des coupures excessives du budget du CSF ? Faut-il le rappeler, le CSF n’existerait pas sans les femmes qui l’ont soutenu depuis sa création. Elles s’attendent à ce que l’organisme remplisse sa mission de défendre leurs droits. Quelle que soit l’interprétation qu’on peut donne du mandat du CSF et de celui de sa présidente, en dernière analyse, l’organisme a des comptes à rendre aux femmes du Québec et non seulement au gouvernement.

Reste une question qui me turlupine. Le gouvernement a-t-il choisi délibérément une méthode d’étranglement du Conseil du statut de la femme pour le faire mourir à petits feux ? Si c’est le cas, ce n’est sûrement pas le rôle de la présidente de lui faciliter la tâche.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 16 mars 2015

Micheline Carrier

P.S.

 Lire aussi : CSF et projet de loi 20 : une position contre les femmes ?, par Collectif de femmes médecins




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